Le Michener Institute a révolutionné le domaine de la formation en soins de santé – Les autres secteurs pourraient-ils en tirer des leçons?
La nature changeante du travail - Étude de casEnjeux en action
Cette étude de cas illustre les sujets du rapport de Harvey Weingarten au sujet de l’amélioration de l’arrimage entre les universités et les lieux de travail
Il y a quelques années, lorsque Jaspreet Singh terminait ses études de premier cycle en biologie à l’Université Wilfrid-Laurier, elle se demandait ce qu’elle ferait ensuite. Elle envisageait de faire carrière dans la recherche, mais souhaitait également travailler avec les patient.e.s. Bon nombre de ses ami.e.s peinaient également à s’orienter vers un parcours professionnel.
« Nous étions nombreux.euses à être diplômé.e.s et à ne pas trop savoir quoi faire. Nous étions un peu perdu.e.s », raconte-t-elle. « Nous ne savions pas comment mettre nos connaissances en pratique. » Comme beaucoup de jeunes qui tentent de décrocher leur premier emploi et de travailleurs.euses plus âgé.e.s qui s’en cherchent un nouveau, Mme Singh a constaté que bon nombre d’employeurs.euses exigeaient plus qu’un diplôme de premier cycle, même pour des emplois de premier échelon.
Après avoir évalué ses options, elle s’est inscrite à un programme de trois ans en inhalothérapie au Michener Institute of Education du Réseau universitaire de santé, à Toronto. Avec son rythme rapide, le travail d’un.e inhalothérapeute lui semblait exigeant, mais aussi valorisant. « J’ai tout de suite été attirée par la profession », explique-t-elle.
En avril 2020, alors que Mme Singh s’apprêtait à terminer ses études, les hôpitaux et les unités de soins intensifs se sont remplis de patient.e.s souffrant de la COVID-19. Certain.e.s d’entre eux/elles avaient besoin de ventilateurs; les inhalothérapeutes étaient soudainement très sollicité.e.s. Pour répondre à la demande croissante, Mme Singh et le reste de sa promotion ont terminé leur formation et obtenu leur diplôme un mois plus tôt que prévu. Elle a immédiatement décroché un emploi comme inhalothérapeute autorisée au Toronto Western Hospital, l’un des quatre établissements hospitaliers à faire partie du Réseau universitaire de santé.
Le rapide changement de parcours « n’a certainement pas été de tout repos », raconte Mme Singh, âgée de 29 ans. « Les unités de soins intensifs ont été continuellement bondées. » Elle fait partie d’un groupe de professionnel.le.s de la santé qui décident ensemble si un.e patient.e a besoin d’intubation, exécutent la procédure et tentent de limiter l’exposition des autres membres du personnel.
Même si le travail comporte parfois son lot de risques et d’émotions fortes, il était tout indiqué sur le plan professionnel. « L’expérience a été positive du début à la fin », affirme Mme Singh.
Avant même que la pandémie mette des milliers de Canadiens et Canadiennes au chômage, les décideurs.euses politiques tâchaient de trouver le meilleur moyen de réagir aux forces qui modifient le marché de l’emploi du Canada afin d’aider les jeunes comme Mme Singh et les travailleurs.euses plus âgé.e.s ayant perdu leur emploi à y accéder. La pandémie a fait ressortir le besoin pour de nouveaux types de formation destinés aux Canadiens et Canadiennes.
La pandémie a fait ressortir le besoin pour de nouveaux types de formation destinés aux Canadiens et Canadiennes.
Un nouveau genre d’établissement
Le secteur des soins de santé pourrait tirer des leçons du modèle du Michener Institute. Après de modestes débuts dans un laboratoire vacant situé au sous-sol du Toronto General Hospital, le Michener Institute est devenu le seul établissement postsecondaire au Canada à se consacrer exclusivement à la formation en sciences de la santé appliquées. Tandis que les médecins, infirmiers.ières, physiothérapeutes et autres professionnel.le.s de la santé reçoivent leur formation dans les universités et les collèges, le Michener Institute forme des inhalothérapeutes, des podologues, des radiothérapeutes, des perfusionnistes cardiovasculaires, des technologistes de laboratoire médical et une foule d’autres travailleurs.euses en soins de santé appliqués qui font partie intégrante du système de santé canadien.
L’établissement a été fondé en 1958 par Diana Schatz, une biochimiste du Toronto General Hospital. Mme Schatz a cerné un besoin pour un nouveau type de formation médicale et le laboratoire vacant présentait l’occasion parfaite. Elle a alors fondé le Toronto Institute of Medical Technology pour former des technologistes de laboratoire médical. À l’époque, ces derniers.ières étaient formé.e.s à l’hôpital. Mme Schatz, fille de l’ancien gouverneur général Roland Michener, de qui l’établissement tient son nom, souhaitait trouver un moyen d’enrichir cette formation pratique en ajoutant des connaissances scientifiques.
« Au départ, elle n’essayait pas de créer un nouveau genre d’établissement, mais a fini par révolutionner le secteur de la formation en soins de santé », raconte Fiona Cherryman, directrice des affaires universitaires et des opérations.
L’établissement, qui existait avant la création du système collégial de l’Ontario, est aujourd’hui principalement un établissement d’enseignement qui octroie des diplômes et des certificats de cycles supérieurs dans plus d’une douzaine de programmes. Ceux-ci durent entre 16 mois et trois ans. Pour rester fidèle à la vision de Mme Schatz, chaque programme allie la formation en classe à l’apprentissage par l’expérience « afin que les étudiant.e.s soient prêt.e.s à passer à l’action », explique Mme Cherryman.
La plupart de ceux/celles qui s’inscrivent au Michener Institute ont déjà une formation de premier cycle, comme Mme Singh. Plusieurs de ses programmes comprennent un processus d’autorisation d’exercer ou d’agrément encadré par un ordre professionnel. Le Michener Institute est le seul établissement hors Québec à offrir certains programmes, comme celui de podologie, tandis que d’autres peuvent également être suivis dans des collèges.
Tisser des liens étroits avec le système de santé
Tandis que la plupart des établissements postsecondaires de la province sont financés par le ministère des Collèges et Universités, c’est le ministère de la Santé de l’Ontario qui finance le Michener Institute, l’un des rares établissements au pays à obtenir son financement de cette façon.
Depuis 2016, l’établissement a été intégré au Réseau universitaire de santé, le plus vaste réseau d’hôpitaux universitaires au pays, semblable à certains égards au modèle de la Mayo Clinic, aux États-Unis. Grâce à divers partenariats et stages cliniques, le Michener Institute a également des ramifications qui s’étendent dans d’autres provinces.
Selon Brian Hodges, vice-président directeur de l’éducation et médecin chef du Réseau universitaire de santé, l’effet de ces partenariats est immense. Il y a donc une étroite collaboration entre les hôpitaux et l’établissement. Qui plus est, la structure offre un lien étroit entre les besoins du système de santé, en particulier les besoins en ressources humaines, et le système de formation. « Nous savons que le but de l’établissement est de réagir rapidement pour répondre aux besoins du système de santé », explique M. Hodges.
Cette nécessité n’a jamais été aussi évidente que durant la dernière année, alors que les hôpitaux faisaient face aux défis liés à la pandémie de COVID-19. En plus de diplômer des inhalothérapeutes comme Mme Singh un mois plus tôt que prévu, le Michener Institute a mis sur pied un programme pour former plus de 500 technologistes-adjoint.e.s en laboratoire, lesquel.le.s étaient très recherché.e.s pour aider à analyser les résultats de tests de dépistage de la COVID-19; lancé un nouveau programme en ligne pour former rapidement et redéployer des médecins, des infirmiers.ières et d’autres prestataires de soins de santé afin de travailler dans des foyers de soins longue durée; et créé un autre programme en ligne pour préparer les professionnel.le.s de la santé à travailler dans des unités de soins intensifs avec des patient.e.s gravement atteint.e.s de la COVID-19.
Ce type de demande peut provenir du ministère provincial de la Santé, des hôpitaux ou d’autres employeurs.euses. « Nous ne pouvons pas tout faire, mais nous essayons de nous adapter », souligne M. Hodges.
Le Michener Institute sonde régulièrement les employeurs.euses et les ordres professionnels pour vérifier si ses diplômé.e.s possèdent les compétences requises, pour peaufiner ses programmes et pour cerner les pénuries de personnel à venir et les perspectives dans des domaines émergents. En septembre, l’établissement lancera un programme de deux ans en santé numérique et analyse des données, lequel formera des étudiant.e.s afin qu’ils/elles puissent utiliser la science des données, l’intelligence artificielle, l’apprentissage automatique et d’autres technologies dans le but d’améliorer les résultats pour les patient.e.s et la prestation de soins de santé. Le programme a été conçu et approuvé en un peu moins d’un an, soit en beaucoup moins de temps que ce que nécessitent généralement les programmes postsecondaires.
« Il n’existe aucun autre établissement du genre au Canada. Dire que les hôpitaux devraient soigner et que les établissements d’enseignement devraient enseigner est faux. Nous croyons que le modèle [Michener] a un avenir. » Brian Hodges, vice-président directeur de l’éducation et médecin chef du Réseau universitaire de santé
Plusieurs autres provinces ont manifesté de l’intérêt envers le fonctionnement du Michener Institute et, selon M. Hodges, le modèle pourrait être reproduit ailleurs. Il est moins clair s’il peut être facilement adopté à l’extérieur du système de santé. Toutefois, M. Hodges souligne que, même avant la pandémie, il était de plus en plus admis que les travailleurs.euses de tous les secteurs allaient avoir besoin de formation et de perfectionnement tout au long de leur carrière. Il considère que le modèle Michener pourrait servir de guide sur la façon de faire.
Quant à Mme Singh, elle souhaite un jour mener des recherches dans son domaine ou assumer un poste de gestion. « En tant qu’[inhalothérapeute], les possibilités de travailler ailleurs qu’au chevet des patient.e.s sont vastes », estime-t-elle. « Il y a tant à faire. »