L’entreprise Irving Shipbuilding inc. s’est retrouvée au cœur d’une industrie en rapide évolution et a dû s’adapter à l’évolution des besoins en main-d’œuvre et en infrastructures. Leur stratégie de perfectionnement sur place pourrait être l’approche à adopter dans d’autres secteurs ayant subi des perturbations. Consultez cette étude de cas rédigée par Sherry Scully et abordant la gestion de la transformation dans un secteur en perturbation. Cette étude s’inscrit dans le cadre du projet La nature changeante du travail du FPP, qui porte sur l’avenir du travail.

Enjeux en action

Cette étude de cas illustre les thèmes du rapport de Lori Turnbull au sujet de la transformation et les perturbations sectorielles.

Sur l’autoroute reliant Bedford à Halifax en août 2011, les vues d’un port très fréquenté étaient dominées par des bannières sur lesquelles on pouvait lire en caractères gras : « Les navires commencent ici ». Les bannières étaient si nombreuses qu’on les retrouvait sur les pelouses des gens, dans les vitrines des magasins et même sur les murs des nombreux pubs de la ville. La campagne « Les navires commencent ici » a été lancée par le gouvernement provincial, le slogan étant un rappel peu subtil à Ottawa du long héritage de la Nouvelle-Écosse en matière de construction navale. Son objectif était double : être au premier plan, car le gouvernement fédéral cherchait à savoir quels chantiers navals se verraient attribuer des contrats de plusieurs milliards de dollars pour renouveler la flotte de la marine canadienne; et convaincre les populations locales en proie au doute de soutenir le programme de construction navale fédéral en leur promettant un « essor » après plus de 20 ans d’échecs en lien avec ce même programme. Et ce soutien était indispensable, car le fardeau inutile d’un héritage de démarrages et d’arrêts avait sapé la confiance de la main-d’œuvre en l’avenir du secteur, raison pour laquelle il fallait multiplier les bannières et les affiches pour faire renaître une flamme d’espoir. 

Trois ans plus tard, en 2014, la Stratégie nationale de construction navale a été lancée, offrant un catalyseur financier pour donner un nouveau souffle à une industrie maritime nationale morose. Bien que l’industrie de la construction navale soit apparue comme l’épicentre de cette nouvelle initiative, on s’attendait à ce que les effets de cette initiative fédérale touchent d’autres secteurs maritimes qui interviennent dans sa chaîne d’approvisionnement et dans l’ensemble de l’industrie, une stratégie exprimée par le régionalisme : « une marée montante soulève tous les bateaux ». Une bonne stratégie, mais à une importante variable près.

Le dernier cycle de démarrages et d’arrêts avait dispersé le marché du travail, laissant des lacunes béantes en matière de compétences, d’expérience et de capacités, ainsi que des plans de relève superficiels marqués par des discontinuités importantes entre les talents les plus et les moins expérimentés.

Pendant cette période d’accalmie, non seulement les travailleurs.euses les plus qualifié.e.s et les plus expérimenté.e.s ont été attiré.e.s par des industries plus stables, mais les lacunes des projets ont limité le transfert naturel des connaissances. En effet, une grande partie de la main-d’œuvre qui faisait la queue aux premiers salons de recrutement était soit nouvelle et inexpérimentée, ou soit qu’elle possédait des compétences et des connaissances obsolètes ou inutilisées depuis trop longtemps. 

Irving Shipbuilding Inc. (ISI) s’est retrouvée dans une impasse : elle devait investir dans l’infrastructure, l’innovation et le développement de la main-d’œuvre pour attirer à nouveau les talents dans l’industrie et, en même temps, elle avait besoin que les talents reviennent pour justifier ces investissements. On espérait que la promesse d’un contrat de 30 ans rétablirait la confiance dans la durabilité et la prévisibilité du secteur et ramènerait les talents clés dans la région. Mais les défis qu’allaient devoir relever les équipes de recrutement de Irving au début de ce programme dépasseraient les clichés du genre « trouvez-les, formez-les, retenez-les », car il s’agissait d’une industrie en pleine transformation, présentant de multiples facteurs de rupture. 

Bay Ferries' Fundy Rose is docked at Irving's Halifax Shipyard in Halifax Harbour at night. The ferry replaces the Princess of Acadia and will provide a passenger ferry service from Saint John New Brunswick to Digby Nova Scotia across the Bay of Fundy.
Halifax, Canada -7 juillet, 2015: Le Fundy Rose de Bay Ferries est amarré à nuit au chantier naval d’Irving à Halifax dans le port d’Halifax. Le traversier remplace le Princess of Acadia et offrira un service de traversier pour passagers de Saint John au Nouveau-Brunswick à Digby en Nouvelle-Écosse à travers la baie de Fundy.

Pendant que le programme canadien des frégates somnolait au tournant du siècle, la conception des navires et les chantiers navals du monde entier évoluaient et se modernisaient, donnant naissance à des installations de fabrication à forte intensité technologique qui intégraient la robotique, l’intelligence artificielle et la fabrication additive. Ces progrès ont a ensuite engendré un nouveau type de travailleurs.euses dont les compétences privilégient désormais le cerveau au détriment des muscles. L’accent mis sur les compétences cognitives, technologiques et en matière de résolution concertée des problèmes parmi les travailleurs.euses de chantier a également bouleversé l’équation compétences/expérience, de nombreux.euses travailleurs.euses plus récent.e.s possédant plus d’aptitudes, ou de dispositions, que leurs homologues en poste. Cela a représenté un changement fondamental dans la relation mentor.e/subalterne qui caractérisait la plupart des effectifs de l’industrie. En même temps, des voix de plus en plus nombreuses se sont élevées pour réclamer l’inclusion des travailleurs.euses sous-représenté.e.s. Cette rupture couvrait les produits fabriqués, la façon d’effectuer le travail, les compétences nécessaires, les personnes qui accomplissaient le travail, la façon dont les connaissances étaient transférées aux nouveaux.elles travailleurs.euses (et aux plus ancien.ne.s) et, surtout, la culture en milieu de travail qui était au cœur de tout cela. Il est courant pour une organisation de s’attaquer à un seul domaine de changement à la fois, mais ISI s’est retrouvée à devoir coordonner toutes ces transformations majeures en même temps. Très peu de choses sont restées en l’état initial, et c’est à l’industrie de se démener pour s’adapter.  

Pendant que ISI consacrait des centaines de millions de dollars à la mise à niveau et à la modernisation de son chantier naval, son équipe chargée des talents s’est employée à comprendre les exigences minimales plus élevées requises pour les nouvelles recrues. Un rapport du Conference Board du Canada a confirmé qu’entre 2016 et 2024, le projet Navires du Canada au chantier naval de Halifax générerait 8 200 emplois dans tout le pays, dont 3 500 en Nouvelle-Écosse. Avec des milliers de postes ouverts au recrutement et une durée de carrière de 30 ans, il est devenu évident qu’il fallait saisir l’occasion sans précédent de revitaliser tous les aspects de la main-d’œuvre. Et cela signifiait ouvrir les portes à un éventail de talents plus large que les recrutements homogènes qui avaient dominé le chantier depuis que la première coque avait pris forme. La gestion de cette nouvelle main-d’œuvre diversifiée exigeait une combinaison plus complexe et plus nuancée de compétences techniques et interpersonnelles de la part des dirigeant.e.s et des superviseurs.euses, des compétences qui peuvent être rares dans un environnement où l’ancienneté l’emporte toujours sur les compétences de mentorat. Ce qui est apparu très tôt, c’est l’exigence de compétences plus complexes et plus larges à tous les niveaux de la main-d’œuvre.

Cette prise de conscience a été suivie d’une triste constatation : les programmes postsecondaires actuels desservant l’industrie ne parvenaient pas à fournir ces aptitudes et compétences évoluées.  

En plus des consultations avec d’autres établissements postsecondaires et des prestataires de formation privés, ISI a travaillé de concert avec le Collège communautaire de la Nouvelle-Écosse (CCNÉ) pour mettre à jour les programmes d’apprentissage, de technicien.ne et de technologue. Les nouveaux.elles arrivant.e.s ont été jumelé.e.s à des mentor.e.s possédant les compétences requises. Dans un premier temps, une grande partie de ces talents expérimentés et chevronnés ont été recrutés à létranger pour favoriser le transfert des connaissances indispensables au renforcement de la main-dœuvre. En même temps, le Centre d’excellence de Irving Shipbuilding a été créé au CCNÉ. Initiative entièrement financée par Irving et assortie d’un programme phare sur mesure appelé Cheminements vers la construction navale, ce programme utilise un modèle de cohorte conçu pour offrir aux groupes sous-représentés un point d’entrée dans les carrières de la construction navale. Le président du CCNÉ, Don Bureaux, s’en est félicité. « Le collège est très fier du programme Cheminements vers la construction navale du Centre d’excellence Irving, qui a préparé des groupes historiquement sous-représentés à travailler dans des métiers maritimes clés. Le succès de ces programmes de cheminement et de ces bourses est le fruit de partenariats positifs avec la collectivité, le gouvernement, les syndicats et le secteur, lesquels se sont traduits par un taux d’emploi très élevé », a déclaré M. Bureaux. Cette fierté n’était pas injustifiée, car en 2019, le programme a remporté la médaille d’or dans le cadre du Prix d’excellence CICan du meilleur programme de formation postsecondaire au Canada. 

Axé sur les métiers spécialisés (par exemple, les métiers du métal, le travail du fer, la soudure, le montage de tuyaux), avec des cohortes exclusivement féminines, autochtones et afro-néo-écossaises, ce programme a enregistré un taux d’embauche de 89 % après l’obtention du diplôme et un taux de rétention dans la population active de 95%. Selon l’apprenti soudeur Ruquaiyah Abduh-Allah, ce programme n’a pas seulement ouvert l’accès à l’industrie, il a aussi fait naître parmi les autres le sentiment que des possibilités existent bel et bien. 

“Pour moi, il a été important d’avoir l’occasion de rejoindre le programme Cheminements vers la construction navale et de savoir que je suis sur la voie de la réussite professionnelle. Il est important que des programmes comme celui-ci existent pour que plus de personnes issues des communautés noires comprennent qu’il est possible de travailler au chantier naval de Halifax.”, a-t-il commenté.  

Aujourd’hui, alors que la production est bien engagée, ISI se focalise sur le développement d’un bassin de talents nationaux. « ISI poursuit, dans le cadre d’une stratégie visant à concrétiser ses objectifs commerciaux, une approche de croissance à domicile pour développer et faire passer ses effectifs de 1 200 à 2 800 employé.e.s sur une période de huit ans. La stratégie de croissance locale consiste à travailler avec le CCNÉ et les universités locales pour former la prochaine génération de constructeurs.trices de navires. Le Centre d’excellence (Irving) est un élément clé de cette stratégie et vise à offrir un accès équitable aux possibilités, aux programmes et à la formation pour que les Néo-Écossais.es puissent travailler efficacement dans l’industrie maritime », déclare le directeur de la participation industrielle de ISI, Aaron Plamondon. Rétrospectivement, les complexités de la rupture sont devenues la planche de salut de la revitalisation de la main-d’œuvre de Irving, et ont fini par changer le discours sur la place de l’industrie dans l’économie bleue en plein essor. Cette collaboration réussie peut servir de modèle aux industries qui cherchent des moyens de naviguer dans un cycle d’expansion et de ralentissement des affaires.    


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