Le programme fédéral vise à soutenir l’apprentissage continu, mais les analystes réclament des changements
La nature changeante du travail - Étude de casEnjeux en action
Cette étude de cas illustre les sujets du rapport de Harvey Weingarten au sujet de l’amélioration de l’arrimage entre les universités et les lieux de travail
Ces dernières années, les gouvernements du monde entier ont cherché des moyens d’encourager les travailleurs.euses à améliorer leurs compétences et à adopter l’apprentissage continu. En 2020, le gouvernement canadien a lancé l’Allocation canadienne pour la formation, une mesure phare dans ses efforts visant à encourager le recyclage professionnel des travailleurs.euses adultes. Cette prestation comporte deux principaux volets : un crédit d’impôt pour la formation professionnelle et une prestation d’assurance-emploi (AE) qui permet aux travailleurs.euses de bénéficier d’un congé payé pour suivre une formation.
Cependant, un an après son introduction, les analystes de politique demandent que des changements soient apportés au programme. « Le gouvernement fédéral a fait preuve d’une certaine clairvoyance en introduisant [l’Allocation canadienne pour la formation], qui présente un immense potentiel en termes de soutien aux apprenant.e.s », déclare André Côté, consultant en affaires publiques et ancien conseiller principal du gouvernement de l’Ontario. Toutefois, M. Côté et d’autres personnes ont exhorté le gouvernement à réviser le programme, en augmentant le niveau de soutien financier mis à la disposition des individus et en ciblant les personnes à faible revenu.
Cette prestation comporte deux dispositions principales. La première, le crédit canadien pour la formation, offre aux travailleurs.euses âgés de 25 à 64 ans un crédit d’impôt de 250 $ par année, jusqu’à un plafond total à vie de 5 000 $. Les fonds s’accumulent dans un compte de formation géré par l’Agence du revenu du Canada et peuvent être utilisés pour couvrir jusqu’à la moitié du coût des programmes offerts par les collèges, les universités et d’autres établissements qui dispensent des formations professionnelles. Au bout de quatre ans, un/une travailleur.euse typique aura accumulé un solde créditeur de 1 000 $, qu’il/elle pourra déduire des frais de scolarité de 2 000 $ ou plus.
- L’Allocation canadienne pour la formation comporte deux dispositions principale:
1. Le crédit canadien pour la formation offre aux travailleurs.euses âgés de 25 à 64 ans un crédit d’impôt de 250 $ par année, jusqu’à un plafond total à vie de 5 000 $
2. La prestation de soutien à la formation d’assurance-emploi accorde aux travailleurs.euses jusqu’à quatre semaines de prestations d’assurance-emploi à 55 % de la rémunération hebdomadaire assurable du/de la participant.e pendant leur formation.
Pour pouvoir en profiter, les Canadiens et Canadiennes sont tenus de régler la formation en amont et de demander le crédit au moment de la déclaration de revenus pour obtenir un remboursement. Pour la première fois, les Canadiens et Canadiennes ont pu bénéficier de ce crédit au cours de l’année fiscale 2020, mais on ignore pour le moment combien d’entre eux/elles l’ont utilisé.
La deuxième disposition, la prestation de soutien à la formation d’assurance-emploi, accorde aux travailleurs.euses un congé payé pendant leur formation. Elle prévoit jusqu’à quatre semaines de prestations d’assurance-emploi à 55 % de la rémunération hebdomadaire assurable du/de la participant.e. La prestation d’assurance-emploi était prévue pour 2020, mais les consultations avec les parties prenantes et la pandémie de COVID-19 ont retardé son lancement.
Lors de son témoignage devant le Comité permanent des ressources humaines de la Chambre des communes en mars, Carla Qualtrough, ministre de l’Emploi, du Développement de la main-d’œuvre et de l’Inclusion des personnes handicapées, a indiqué que le volet « prestations d’assurance-emploi » du programme serait révisé, mais le récent budget fédéral présenté en avril ne comportait aucune modification de cette disposition.
Le programme est accueilli comme « un bon premier pas »
Un article du Forum des politiques publiques rédigé par André Côté, Jake Hirsch-Allen et Gladys Okine-Ahovi recommande trois changements importants à apporter au programme : augmenter le montant du crédit d’impôt de 250 $ à 1 000 $ par an, jusqu’à un plafond total à vie de 20 000 $; adapter le niveau des prestations en fonction du revenu ou introduire des mesures de soutien renforcées pour les personnes à faible revenu; et rendre les prestations accessibles aux Canadiens et Canadiennes dès le départ, à l’instar de la prestation canadienne d’urgence, qui fournit un soutien financier aux personnes ayant perdu leur emploi à la suite de la pandémie de COVID-19.
Le Conseil des Compétences futures, un groupe consultatif du gouvernement, a qualifié l’Allocation canadienne pour la formation de « bon premier pas » pour encourager les gens à suivre une formation professionnelle, mais a déclaré que bien plus encore était possible dans ce domaine. Dans un récent rapport, il a recommandé aux décideurs.euses politiques d’envisager d’autres outils, tels que l’augmentation des déductions fiscales et des remises sur les frais de scolarité, afin de réduire les obstacles financiers de départ, et de cibler les mesures sur les personnes à faible revenu ou occupant des emplois précaires.
L’Allocation canadienne pour la formation compte parmi les nombreuses initiatives politiques que le gouvernement fédéral a mises en place pour encourager le recyclage professionnel des Canadiens et Canadiennes. Jennifer Robson, professeure à l’Université Carleton, affirme que les mesures incitatives se répartissent généralement en trois grandes catégories : les programmes qui s’adressent directement aux personnes, les programmes destinés aux employeurs.euses et les initiatives afférentes à l’offre telles que les ententes bilatérales de transfert relatives au marché du travail qui fournissent des fonds aux provinces destinés à couvrir les programmes de développement de la main-d’œuvre relevant des provinces.
L’Allocation canadienne pour la formation fait partie de la première approche : verser de l’argent directement aux bénéficiaires. Elle fonctionne un peu comme un bon d’achat, explique Mme Robson, sauf que le crédit n’a pas de valeur monétaire initiale. Le programme ne couvre que les coûts directs de la formation, tels que les frais de scolarité, et exclut les frais accessoires tels que les frais de transport ou de garde d’enfants, qui peuvent être difficiles à assumer pour les personnes, en particulier pour celles à faible revenu, explique Mme Robson.
Toutefois, le problème plus général tient au fait que les initiatives de recyclage professionnel ont tendance à être suivies principalement par les travailleurs.euses à revenu élevé qui ont déjà une formation et un enseignement, et qui sont plus susceptibles de travailler pour un.e employeur.euse prêt à les financer. « Il est essentiel de commencer par un dispositif qui réponde mieux aux besoins des travailleurs.euses à faible salaire », déclare Mme Robson.
Les initiatives de recyclage professionnel ont tendance à être suivies principalement par les travailleurs.euses à revenu élevé qui ont déjà une formation et un enseignement, et qui sont plus susceptibles de travailler pour un.e employeur.euse prêt à les financer. « Il est essentiel de commencer par un dispositif qui réponde mieux aux besoins des travailleurs.euses à faible salaire », selon prof. Jennifer Robson.
En outre, il peut être difficile pour les gens de trouver des programmes de formation appropriés et de calculer le montant qu’ils peuvent récupérer au moment de la déclaration de revenus. « Ces calculs ont une grande importance pour les personnes à faible revenu », explique Mme Robson. Elle propose une solution envisageable : convertir le crédit en un véritable bon d’achat, de sorte que les travailleurs.euses disposent de l’argent au moment où ils/elles s’inscrivent à un programme et engagent les frais.
Une autre option consisterait à axer le programme sur les personnes à faible revenu en le conditionnant au revenu, ajoute Mme Robson, qui fait remarquer que les personnes ayant un revenu plus élevé ont d’autres options de recyclage professionnel à leur disposition, comme le régime d’encouragement à l’éducation permanente, qui permet aux personnes de retirer des fonds d’un régime enregistré d’épargne-retraite en vue de suivre une formation.
L’aspect positif, c’est que le crédit pour la formation complète les programmes de microcrédits que les établissements postsecondaires déploient de plus en plus, note Mme Robson. Transformer le crédit en un bon d’achat destiné plus particulièrement aux personnes à faible revenu et versé directement aux établissements « inciterait fortement les établissements à améliorer l’étendue et la qualité des options de microcrédits », affirme-t-elle.
L’Ontario lance un crédit d’impôt temporaire pour la formation
En réponse à la pandémie de COVID-19, le gouvernement de l’Ontario a récemment introduit un crédit d’impôt similaire pour la formation, bien que temporaire. Le crédit d’impôt de l’Ontario temporaire pour la formation, qui fonctionne à peu près comme le crédit d’impôt fédéral, offre un crédit d’impôt remboursable d’une valeur maximale de 2 000 $ pour couvrir jusqu’à la moitié des dépenses liées aux frais de programme. Pour demander le crédit, les personnes doivent avoir un solde créditeur au titre du crédit canadien pour la formation pour 2021.
Lorsque le gouvernement fédéral a annoncé le programme de l’Allocation canadienne pour la formation dans le budget de 2019, il a estimé que cette prestation coûterait 1,7 milliard de dollars sur cinq ans. Le budget de 2021 contient plusieurs nouvelles initiatives visant à promouvoir la formation professionnelle. Il prévoit notamment 960 millions de dollars sur trois ans pour un nouveau Programme de solutions pour la main-d’œuvre sectorielle, qui vise à aider les associations sectorielles et les employeurs.euses à concevoir et à offrir une formation pertinente pour les entreprises, et 298 millions de dollars sur trois ans pour un nouveau programme Compétences pour réussir, qui a pour but d’aider les Canadiens et Canadiennes à améliorer leurs compétences en lecture et écriture, en calcul et à acquérir d’autres compétences transférables. Un autre programme a pour objet d’aider les collectivités à élaborer des plans pour identifier les organisations à forte croissance et les mettre en contact avec des prestataires de formation.
Un récent rapport des Services économiques TD sur la nécessité de stratégies de recyclage professionnel destinées aux travailleurs.euses du secteur pétrolier et gazier de l’Alberta indique que la mosaïque de politiques en matière de recyclage professionnel et de perfectionnement des compétences au Canada « laisse beaucoup à désirer ». Il note que les travailleurs.euses « doivent se frayer un chemin dans un réseau complexe de programmes offerts par une multitude d’organisations et d’institutions, sans savoir si les compétences acquises correspondent réellement à leurs besoins ».
Le rapport, qui a été publié avant le budget de 2021, recommande l’adoption d’un système similaire au programme SkillsFuture de Singapour, qui offre aux citoyen.ne.s un crédit initial pour la formation de 500 $, qui est bonifié périodiquement par le gouvernement. Toutefois, ce crédit ne constitue qu’une composante d’un programme plus vaste comprenant des services de conseil et des « plans de transformation » qui identifient les parcours professionnels, les professions, les tâches professionnelles et les compétences requises pour chaque tâche.
Pourtant, selon Mme Robson, même Singapour a rencontré des problèmes pour mettre son programme en œuvre. « Personne n’a trouvé la solution parfaite », dit-elle. « Je pense qu’aucune juridiction n’a percé le secret. »
Mme Robson note que le Canada a longtemps fait l’impasse sur une culture de l’apprentissage continu. « On ne peut pas provoquer un changement de culture du jour au lendemain », affirme-t-elle. Cependant, l’Allocation canadienne pour la formation « est un début ».