Les microcertifications pour requalifier la main-d’œuvre du Canada est-elle une aubaine ou tout simplement du battage publicitaire?
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Cette étude de cas illustre les sujets du rapport de Harvey Weingarten au sujet de l’amélioration de l’arrimage entre les universités et les lieux de travail
Alors que le Canada se prépare à la reprise économique postpandémique, les gouvernements et les établissements postsecondaires introduisent de plus en plus de microcrédits (des programmes courts conçus pour aider les apprenant.e.s adultes à rapidement améliorer leurs compétences) comme moyen de requalifier des groupes particuliers de personnes qui ont perdu leur emploi.
Désormais, plusieurs provinces financent des programmes de microcertifications dans les collèges et les universités. Dans son budget 2020, le gouvernement ontarien a prévu un volet budgétaire triennal de près de 60 millions de dollars dans le but de soutenir le développement de programmes de microcertifications. Il a également élargi la couverture du Régime d’aide financière aux étudiantes et étudiants de l’Ontario en incluant à peu près 600 programmes de microcertifications, faisant de l’Ontario la première province à agir ainsi. Le budget 2021 de l’Ontario a également prévu 2 millions de dollars supplémentaires pour l’élaboration d’un passeport-compétences virtuel permettant de suivre numériquement les compétences des apprenant.e.s et de les partager avec des employeurs potentiels.
Le gouvernement de la Colombie-Britannique a investi 4 millions de dollars pour financer 24 microcertifications dans des occupations en forte demande. Les cours comprennent le marketing numérique et les compétences en fondements et applications Blockchain. Le Bow Valley College de l’Alberta s’est associé à IBM pour créer la première IBM Skills Academy du pays, qui propose des programmes courts de certification technique pour les carrières dans le secteur des TI. Le Québec et la Saskatchewan financent également des programmes de microcertifications dans les établissements d’enseignement postsecondaire.
Bien avant l’apparition de la pandémie, la population active subissait déjà des changements structurels. Un rapport de la Business Council of Alberta rendu public en Juin 2020 a rabâché un refrain familier parmi les groupes d’entreprises : qu’alors que la province connaissait des niveaux de chômage historiques, notamment chez les jeunes, des milliers d’emplois n’étaient pas pourvus parce que les employeurs ne trouvaient pas de personnes qualifiées pour occuper ces postes. Afin de résoudre le problème, la Business Council of Alberta a suggéré au gouvernement de l’Alberta et aux établissements d’enseignement postsecondaire de décomposer les programmes de diplômes et de grades existants en programmes plus courts microcertifications. Et le rapport de conclure : « Les microcertifications sont essentiellement un moyen de moderniser l’éducation ».
Un rapport de la Business Council of Alberta rendu public en Juin 2020 a noté qu’alors que la province connaissait des niveaux de chômage historiques, notamment chez les jeunes, des milliers d’emplois n’étaient pas pourvus parce que les employeurs ne trouvaient pas de personnes qualifiées pour occuper ces postes.
Selon Ryan Craig, auteur et cofondateur de l’University Ventures, une société d’investissement américaine « les microcertifications pourraient servir de « formation de finition » pour combler l’écart entre l’enseignement postsecondaire et les compétences que les employeurs recherchent chez les nouveaux employé.e.s ».
« Il n’est pas clair quels sont les cheminements vers ces bons emplois ne pour les nouveaux arrivants sur le marché du travail, ni pour les travailleurs.euses plus âgés qui risquent d’être évincés des secteurs désuets de l’économie », a-t-il renchéri.
« Bien que les collèges et les universités fassent un bon travail en enseignant la pensée critique et d’autres compétences fondamentales essentielles à la réussite à long terme des étudiant.e.s, ils ne sont pas aussi aptes à préparer les étudiant.e.s à leur premier emploi », a affirmé M. Craig. Simultanément, les employeurs.euses cherchent de plus en plus le/la « candidat.e idéal.e, servi sur un plateau d’argent », même au niveau débutant. Craig pense que de nouveaux intermédiaires sont nécessaires pour assurer cette formation.
« Il est temps de changer notre modèle d’affaires ».
« Ce n’est pas seulement le marché de l’emploi qui fluctue; les besoins des apprenant.e.s le font également », a affirmé Robert Luke, directeur général d’eCampusOntario, un organisme financé par la province qui a piloté plus de 30 programmes de microcertifications. Selon M. Luke, la notion d’apprenant.e traditionnel.le, c’est-à-dire une personne qui obtient un diplôme de fin d’études secondaires et qui entre ensuite sur le marché de l’emploi, est surannée. « L’éducation est continue et itérative tout au long de notre vie. Comment se fait-il que nous offrons toujours le même produit et service à un marché qui a subi de profondes mutations ? Peut-être qu’il est temps que nous changions de stratégie »
Luke compare le besoin en microcertifications aux forces qui ont remodelé l’industrie de la musique. Les mélomanes sont aujourd’hui plus enclins à écouter des chansons diffusées en continu qu’à acheter un album entier. « Nous vivons un moment de perturbation similaire dans l’enseignement postsecondaire, explique-t-il, où les aptitudes et les compétences sont de plus en plus dissociées des diplômes et des titres traditionnels ».
« Pendant de nombreuses années, la formation de base pluriannuelle offerte par les collèges et les universités était la seule option pour les étudiant.e.s », dit M. André Côté, consultant en affaires publiques et ancien conseiller principal du gouvernement de l’Ontario. Aujourd’hui, on assiste à une « réaction contre la rigidité de ce système éducatif », qui ne permet pas d’assister les travailleurs.euses tout au long de leur carrière.
« Nous devrons affiner nos compétences le long de notre carrière, ce qui nécessitera de courtes périodes d’éducation et de formation intense », a expliqué M. Côté (de courtes périodes d’éducation comme pour ceux/celles qui s’inscrivent aux microcertifications).
Les collèges et les universités proposent depuis longtemps des programmes destinés aux adultes, généralement par l’entremise de leurs départements de formation continue. Les gouvernements ne financent pas ces programmes, ni directement ni par l’entremise de programmes d’aide financière ; les étudiant.e.s doivent payer les frais entiers de leur formation eux-mêmes. Les microcertifications marquent un changement radical. Les gouvernements mettent désormais des fonds à disposition pour des programmes courts ciblant les aptitudes et les compétences.
Denise Amyot, présidente et directrice générale de Collèges et instituts Canada, indique qu’une récente enquête auprès des membres de l’association a fait état de ce que 89 % des répondant.e.s étaient prêts à lancer ou offraient déjà des programmes de microcertifications. Mais une plus grande souplesse dans le financement public sera nécessaire pour soutenir leur croissance continue. Mme Amyot fait remarquer, à titre d’exemple, que les microcertifications ne sont pas couverts par le programme fédéral Bourses et prêts canadiens d’études. « Pour moi c’est un problème », déclare-t-elle.
Les établissements d’enseignement postsecondaire ont également exprimé leur préoccupation qu’en l’absence de normes communes réglant le domaine florissant des microcertifications, un afflux de fournisseurs pourrait offrir des enseignements de qualité douteuse. Aux dires de Sarah Watts-Rynard, directrice générale de Polytechnics Canada, la pandémie de COVID-19 a mis en évidence la nécessité de trouver des moyens rapides et peu coûteux afin de requalifier les personnes déplacées. Mais, dit-elle, ces programmes ne doivent pas être seulement « rapides et bon marché ». Ce qu’on attend des microcertifications est qu’elles valident et articulent les compétences d’un.e l’apprenant.e. Elles devraient indiquer non seulement quelles compétences sont enseignées, comment elles le sont, et comment elles évaluer afin de montrer aux employeurs ce que l’étudiant.e a appris de quoi il/elle est capable.
Mme Watts-Rynard relève que la pandémie a frappé de manière disproportionnée les travailleurs.euses à faible revenu, marginalisés et occupant des postes précaires. « J’ai vraiment du mal à prendre des apprenant.e.s qui sont déjà défavorisés sur le marché du travail et de les convaincre de la valeur de cette formation si les employeurs ne voient pas leur importance. C’est un problème de taille ».
Des goulots d’étranglement demeurent.
Il n’existe pas encore de données fiables permettant de déterminer si les microcertifications mènent à de meilleurs résultats en matière d’emploi, mais elles seront essentielles à l’avenir pour prendre des décisions pertinentes en termes de politiques. Robert Luke, d’eCampusOntario, dit que l’organisation a appris des employeurs et des apprenant.e.s que les microcertifications sont « utiles et exploitables », mais il reconnaît qu’il s’agit là en grande partie de preuves anecdotiques recueillies auprès d’un petit nombre de programmes pilotes à inscription limitée.
Un rapport d’eCampusOntario, le Centre des compétences futures et l’Université Ryerson fait remarquer que les microcertifications revalorisent les diplômes et les grades traditionnels, offrent une voie vers l’éducation et la formation pour ceux/celles qui n’ont pas de titres de compétences officiels, favorisent l’apprentissage tout au long de la vie et créent des passerelles vers le marché du travail. Toutefois, le rapport concède que l’absence d’une définition et de normes claires en matière de micro-certification pourrait entraver leur mise en œuvre.
André Côté fait remarquer qu’au Canada, diverses organisations et gouvernements ont introduit des cadres de travail et des définitions, tandis que l’Organisation de coopération et de développement économiques et d’autres organisations internationales ont les leurs. « De solides processus de validation et d’assurance qualité de type industriel seront nécessaires pour garantir que les microcertifications débouchent sur des opportunités d’emploi », ajoute-t-il. Et les apprenant.e.s auront besoin de soutien pour s’y retrouver dans un espace de plus en plus complexe de possibilités de formation.
« De solides processus de validation et d’assurance qualité de type industriel seront nécessaires pour garantir que les microcertifications débouchent sur des opportunités d’emploi » – André Coté
Les États-Unis dament le pion au Canada, pays où les établissements d’enseignement publics, privés et à but non lucratif offrent un large éventail de programmes, allant des fournisseurs de cours en ligne ouverts massifs (MOOC) tel Coursera aux établissements postsecondaires plus traditionnels, en passant par les cours de codage intensifs. M. Côté admet que des facteurs particuliers favorisent le changement au sud de la frontière, tels que le coût exorbitant de l’enseignement postsecondaire, ainsi qu’un état d’esprit plus entrepreneurial et une volonté de d’expérimenter. Toutefois, l’expérience américaine offre des leçons pour les établissements postsecondaires canadiens. À titre d’exemple, la Southern New Hampshire University était à une époque une petite institution d’arts libéraux faisant face à une baisse des inscriptions et des problèmes fiscaux. Elle a fondamentalement redéfini son modèle commercial pour devenir une institution de renom en ligne qui répond aux besoins des travailleurs.euses adultes et qui, aujourd’hui, possède un effectif de 135 000 étudiants.
Certes, « les microcertifications ne sont pas la panacée, il y a une surenchère sur le marché », déclare M. Côté. Il est peu probable que les microcertifications remplacent de sitôt les diplômes et grades traditionnels. Pourtant, les besoins de nombreux apprenant.e.s restent jusqu’à présent insatisfaits.
« Nous avons besoin d’un éventail de possibilités de formation et de recyclage, ajoute-t-il, et les microcertifications en font partie ».