Une approche stratégique à l’infrastructure numérique pour améliorer les services publics :
maîtriser le déficit et rattraper le retard de productivité du Canada par Neil DesaiDans les années précédant la pandémie mondiale de la COVID-19, le gouvernement du Canada a pris une décision politique, à savoir stimuler l’économie canadienne en réservant 160 milliards de dollars à dépenser dans l’infrastructure entre 2016 et 2028.
L’argument économique sous‑jacent est que cela favoriserait la croissance économique du Canada, car celle-ci traîne de l’arrière. L’argument le plus courant en faveur d’une hausse des dépenses publiques dans l’infrastructure est d’en tirer des biens tangibles, tout autant des ressources naturelles que des biens manufacturés à commercialiser. Par contre, ces actifs tangibles ont été, sur le plan économique, dépassés par des actifs numériques, intangibles, par exemple des logiciels et autres formes de propriété intellectuelle.
Même si, à lui seul, le gouvernement fédéral a dépensé 8 milliards de dollars par an pour sa technologie, ainsi que des milliards de plus dans des activités de développement économique, le Canada est plutôt mal placé dans une économie mondiale animée par des actifs intangibles. La capacité du pays d’innover pour servir son économie n’a cessé de décliner depuis 20 ans et, en même temps, le marché mondial a subi une transformation numérique. Par conséquent, les énormes dépenses publiques du Canada en programmation sociale subissent des pressions.
Les lacunes de notre système sont ressorties de façon aiguë dans la crise de la COVID-19. En raison de la pandémie, le déficit fédéral devrait s’élever à 343 milliards de dollars et sa dette dépassera 1,2 billion de dollars en 2020. La position économique précaire du Canada lui impose se doter de politiques novatrices permettant au secteur de la technologie de contribuer davantage au rétablissement après la pandémie. Le monde de l’après-COVID offre l’occasion d’amplifier considérablement le stimulus sur l’enveloppe actuelle de financement de l’infrastructure du Canada et, par des politiques novatrices, de réduire l’exposition budgétaire à long terme du gouvernement.
En élargissant la définition classique d’infrastructure au numérique, en appliquant un impératif stratégique au choix des projets, en élaborant des fondements politiques habilitants et en y acheminant une partie du financement multiplicateur et les fonds annuels de base consacrés à la technologie, le gouvernement fédéral peut commencer à s’attaquer à nombre de défis structuraux. Ainsi, le gouvernement peut établir l’infrastructure numérique dont a besoin son secteur public, ce qui mettrait également en place les bases d’un écosystème intensifiant ses extrants en matière d’innovation, exportations comprises, tout en améliorant les services publics et en créant des efficacités tangibles et, subséquemment, des économies budgétaires.
Au-delà des trains, des conduites maîtresses et des autoroutes (numériques) : moderniser l’approche du Canada en matière d’infrastructure
Au Canada, tous les paliers de gouvernement ont depuis longtemps opté pour une définition étroite de l’infrastructure économique. Ils se sont surtout concentrés sur l’infrastructure classique, par exemple les routes, les ponts et les ports. Ces investissements ont rapporté de forts dividendes dans la dernière génération de l’économie du pays en réduisant le coût d’acheminement des biens tangibles sur le marché. Sont venus compléter ces investissements des projets d’infrastructure sociale, par exemple la construction et la modernisation des hôpitaux, des écoles et des centres communautaires, qui visaient surtout à maintenir la qualité de vie de la population.
Par contre, l’expérience de la COVID-19 et l’arrêt connexe de l’économie ont fait ressortir que les gouvernements et les organismes qu’ils financent n’ont pas suffisamment investi dans l’infrastructure numérique pour appuyer et maintenir les services essentiels en des temps d’urgence, par exemple les soins de santé, l’éducation et le système judiciaire. Les tribunaux ont été presque stoppés. Les questions de santé non liées à la COVID et les chirurgies non essentielles ont été mises en suspens. De plus, les écoles publiques continuent à lutter pour offrir un semblant de programme d’études en ligne.
Le gouvernement du Canada n’a pu tirer parti de l’infrastructure de son logiciel de l’assurance-emploi (AE) pour offrir à bref délai la Prestation canadienne d’urgence. Le logiciel de l’AE a été écrit dans un langage de programmation qui remonte à plusieurs générations et n’était pas suffisamment dimensionnable pour desservir le grand nombre de Canadiens que la pandémie a forcé au chômage.
Le gouvernement fédéral, dans son plan actuel sur l’infrastructure, a mis l’accent sur l’« infrastructure verte ». De manière à répondre aux besoins découlant d’une urbanisation croissante et pour honorer les engagements nationaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre, l’investissement dans l’infrastructure verte s’est surtout traduit par le financement du transport en commun municipal dans les plus grandes villes du pays. De plus, les gouvernements qui se sont succédé ont également enrichi leur définition de l’infrastructure pour englober l’accès des collectivités rurales à l’Internet à large bande.
L’intention, par ces investissements, est surtout de servir la qualité de vie des Canadiens. Même s’ils sont un objectif louable, ces investissements ont un faible effet multiplicateur sur le plan économique. Cela signifie qu’ils ne contribuent pas de façon valable à une croissance économique durable, qui est en fait le but à long terme du financement de la relance.
L’infrastructure numérique peut être un des éléments fondamentaux du travail important qu’effectue le gouvernement. Le fait que le gouvernement ait compté sur la télésanté et le téléenseignement pendant la pandémie est la preuve de la capacité des plateformes numériques de potentialiser les services essentiels. Par contre, mettre en ligne les services existants ne suffira pas pour atteindre les grands objectifs du secteur public.
À tous les paliers de gouvernement, la politique sur l’infrastructure numérique doit commencer par une orientation nette sur des objectifs classés par priorités. L’un des points de départ évidents est d’améliorer les services publics qui peuvent être offerts aux Canadiens sur une base numérique.
Un autre point d’importance : les projets dont le mandat est clairement d’offrir des efficacités quantifiables sous forme d’économies budgétaires en aval. Le secteur public en général, aux échelons fédéral, provincial et municipal, est mûr pour un examen réfléchi portant sur la façon dont la technologie peut simplifier le déroulement des activités organisationnelles, autorisant le personnel à axer ses efforts là où il peut fournir ses services de la façon la plus valable, tout en tirant parti de la technologie pour se concentrer, avec rapidité et précision, sur les tâches courantes et répétables.
La possibilité d’économiser en aval grâce aux approvisionnements en infrastructure numérique n’interviendra pas de façon spontanée. Il faut qu’il y ait une prescription politique dans les mécanismes d’approvisionnement et de développement de l’infrastructure numérique.
À titre d’exemple, équiper les milliers de travailleurs de première ligne de l’Agence du revenu du Canada qui administrent l’AE d’un nouveau logiciel reposant sur une base de code plus moderne peut les rendre proportionnellement plus efficaces. Par contre, pour vraiment économiser sur le plan budgétaire, le gouvernement doit ré-imaginer comment fournir les services tout en réduisant l’intervention humaine. Ces économies au niveau opérationnel sont réalisables de façon humaine par attrition naturelle.
Les approvisionnements, par une approche de « codéveloppement » en gestion du risque et fondée sur des objectifs
Améliorer la prestation des services publics grâce à la technologie et économiser sur le plan budgétaire est théoriquement simple. Dans la pratique, le gouvernement du Canada a un piètre bilan en matière d’approvisionnements technologiques, particulièrement lorsqu’il s’agit d’acquérir un logiciel pour moderniser ses services et interactions avec les Canadiens. Le système de paye Phénix et le rajeunissement des sites Web du gouvernement du Canada ne sont que deux des exemples les plus récents des écueils rencontrés par le gouvernement pour remplacer des technologies courantes.
Au Canada, à tous les paliers, les approvisionnements technologiques des gouvernements étaient comparables à ce qui se passe pour l’infrastructure traditionnelle. Les demandes de propositions (DDP) énoncent la totalité des capacités nécessaires, telles que définies par l’utilisateur final, et l’évaluation est confiée à des hauts fonctionnaires indépendants des approvisionnements, qui s’attachent surtout à déterminer les soumissions les plus basses. Le gouvernement, s’il ne sait pas vraiment ce que le marché a à offrir, pourrait d’abord publier une demande d’information non contraignante dans la collectivité des fournisseurs pour informer la préparation d’une DDP. Dans cette approche, même des approvisionnements technologiques relativement modestes peuvent nécessiter des mois, voire des années à mener à bien. Dans l’intervalle, souvent, les technologies ont évolué et les DDP sont déjà désuètes lorsqu’elles sont affichées.
Cette approche, parce qu’inefficace, a permis à des grandes sociétés technologiques multinationales possédant le personnel et les bilans requis de se lancer dans des mécanismes aux horizons lointains. Ces entreprises, souvent, ont comme tactique de présenter une soumission délibérément basse. Si elles gagnent, elles commencent d’abord par tirer parti de leurs avoirs logiciels existants, car les produits logiciels de leur portefeuille courant ont coût de vente virtuellement nul. Elles s’attachent alors à compléter ces actifs par des solutions de « cataplasme » pour satisfaire aux exigences minimales de la DDP.
En retour, les coûts montent en flèche, bien au-delà du budget, les produits sont livrés en retard et il leur manque des capacités importantes, ou sont affligés d’un mélange de ces trois problèmes. Les entreprises débutantes, plus modestes et plus vives à réagir, commencent trop rapidement à investir dans des mécanismes délibérément laborieux qui aboutissent à des solutions technologiques moins qu’optimales.
Cela ne veut pas dire qu’on ne peut répondre à une partie des besoins d’infrastructure technologique du secteur privé par des approvisionnements en technologies disponibles dans le commerce. Il est impératif de toujours évaluer soigneusement les technologies existantes avant de les exclure. Par contre, lorsque les gouvernements acquièrent des technologies pour arriver à des efficacités organisationnelles, ils doivent toujours opter pour un processus hautement itératif rassemblant l’utilisateur final et le développeur. Tôt dans le processus, il faut définir un produit minimum viable et analyser, et exclure le cas échéant, toutes les options disponibles dans le commerce ou configurables, avant d’envisager le développement d’un logiciel sur mesure.
S’il n’existe pas de solution simple, le mécanisme traditionnel d’approvisionnement doit être souple. Tous les soumissionnaires potentiels doivent avoir accès aux utilisateurs ultimes de la solution envisagée. Le soumissionnaire retenu doit continuer d’avoir accès aux utilisateurs grâce à un processus de développement agile afin de pouvoir apprendre, et procéder au besoin par itération. C’est cette approche qu’on appelle souvent « codéveloppement ». La probabilité de réussite est meilleure car, tant les risques que les responsabilités concernant les résultats sont partagés entre le développeur, le responsable des acquisitions et l’utilisateur final.
De plus, l’évolution des approvisionnements doit aussi inciter les fournisseurs à élaborer progressivement et à offrir le produit minimum viable. Dans les approches classiques d’approvisionnement, les fournisseurs, particulièrement ceux dont la stratégie est de présenter des soumissions inférieures, sont en fait incités à ne pas réussir à satisfaire aux exigences dans les délais. Ceci est le fait d’une réalité bien connue : les acheteurs gouvernementaux, on le sait, modifient ou élargissent les contrats dans l’espoir de mettre les projets sur les rails. Dans nombre des approvisionnements technologiques de ce type, on intègre des hausses de coût et des reports du délai d’exécution.
Le codéveloppement constitue une dérogation aux méthodes classiques d’approvisionnement du gouvernement. Par contre, dans le cas des nouvelles technologies, il doit y avoir validation bidirectionnelle. Le premier élément de cette validation est de définir, avec un niveau élevé de spécificité, à quoi ressemble le succès. Il faut ensuite mener une évaluation pour savoir si la partie soumissionnaire a la capacité de livrer un prototype fonctionnel dans le respect des délais et des coûts prévus.
Cette approche se situe entre les DDP et les demandes d’information habituelles. Les modalités traditionnelles, où l’on érige des cloisons entre l’utilisateur final et les fournisseurs, ont été en grande partie élaborées pour maintenir la transparence et la reddition de comptes. Il s’agit de caractéristiques importantes des marchés publics au Canada et elles doivent faire partie intégrante des approvisionnements en infrastructure numérique. Par contre, elles ne peuvent remplacer le but escompté en tant qu’objectif du processus. Les interactions entre les utilisateurs ultimes et les développeurs favorisent la compréhension commune et l’interaction et peuvent comporter à la fois transparence et responsabilisation si le gouvernement est disposé à innover dans ses mécanismes d’approvisionnement.
Pour veiller à ce que les Canadiens soient bien servis, il est important de parvenir à ce que le secteur public soit efficace grâce à une infrastructure numérique. Par contre, à elle seule, celle-ci n’aura pas d’effet multiplicateur supplémentaire sur la stimulation globale de l’infrastructure au Canada. Si le gouvernement fédéral veut animer la croissance économique à long terme en investissant dans sa propre infrastructure numérique, il devra adopter des mesures concertées dans la conception de sa politique.
Le programme d’innovation Construire au Canada (PICC) est un programme d’approvisionnements technologiques côté offre qui fonctionne depuis plus d’une décennie. Il consent un financement modeste pour appuyer les fournisseurs canadiens de technologies et aider les ministères et organismes fédéraux à mettre à l’essai leurs prototypes. Le gouvernement n’est pas tenu d’acquérir le produit final. Le programme n’a donné que peu de résultats pour ce qui est de générer des efficacités ou une croissance économique appréciables au gouvernement.
En 2017, le gouvernement fédéral a créé un programme d’approvisionnement technologique canadien axé sur la demande et baptisé Solutions innovatrices Canada. Le programme suit le modèle créé par le gouvernement fédéral américain et intitulé Small Business Innovation Research ou SBIR (recherche en innovation pour les petites entreprises). Ce programme permet aux organismes gouvernementaux de préciser les plus grands défis qui, à leur avis, pourraient être résolus par des solutions technologiques. Les petites et moyennes entreprises (PME) américaines peuvent soumissionner pour régler ces défis à l’aide d’une approche de codéveloppement. Il existe des programmes analogues au Japon, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni.
Le gouvernement du Canada a regroupé la direction de Solutions innovatrices Canada et du PICC, renommant ce dernier « le volet de mise à l’essai ». Par contre, l’un et l’autre continuent à isoler leurs investissements technologiques dans leur propre infrastructure numérique élaborée par des fournisseurs canadiens, avec deux objectifs stratégiques cloisonnés :
- susciter la croissance économique par l’entremise des fournisseurs canadiens de technologies;
- parvenir à des efficacités dans leur propre fonctionnement par l’innovation technologique.
Aux États-Unis, le secteur de la technologie est vaste, diversifié, et regroupe un solide contingent de PME orientées vers les technologies du secteur public. Par conséquent, les défis du programme SBIR suscitent un intérêt considérable de leurs clients gouvernementaux et des fournisseurs de technologies. Les uns et les autres profitent des résultats, notamment l’élimination du risque d’investissement dans le développement initial, et le fait que l’entreprise et les extrants macro-économiques sont stimulés par les exportations subséquentes des technologies mises au point.
Par contre, au Canada, l’industrie de la technologie en est à ses premiers pas. Les entreprises qui se spécialisent dans les technologies liées au secteur public réduisent également le réservoir viable de celles qui pourraient offrir des gains d’efficacité dans les programmes et services gouvernementaux et susciter une croissance économique découlant de leurs travaux de développement grâce à un programme uniquement motivé par la demande.
Si le gouvernement du Canada veut gagner en efficacité dans la prestation des services publics, tout en se servant des marchés publics pour stimuler la croissance économique par la mise au point d’actifs intangibles, il faudra qu’il assume une approche stratégique pour ses investissements dans l’infrastructure numérique.
Les gouvernements devront mettre le doigt sur les perspectives optimales de susciter par la technologie des efficacités dans le secteur public. En même temps, ils devront découvrir au pays les sociétés technologiques naissantes capables de susciter des efficacités tangibles dans ces secteurs technologiques. Ils leur faudra alors façonner les approvisionnements en fonction des capacités spécifiques qu’offrent les sociétés canadiennes propriétaires de technologies exclusives ou capables de les développer, de les protéger et de les commercialiser à l’échelle mondiale.
Grâce à cette approche, on réduirait le risque de litiges commerciaux bilatéraux ou multilatéraux. Dans la majorité des accords commerciaux internationaux récents du Canada, on permet les soumissionnaires étrangers pour les marchés publics intérieurs, à tous les paliers de gouvernement. En orientant les investissements dans l’infrastructure numérique stratégique vers des domaines où les entreprises canadiennes peuvent répondre aux exigences spécifiques par des technologies ou capacités exclusives, le gouvernement fédéral continuerait à respecter ses obligations commerciales. Les entreprises étrangères ne seraient pas expressément exclues du processus d’approvisionnement, mais y seraient désavantagées sur le plan stratégique.
L’un des objectifs ultimes de la politique serait en même temps d’évaluer le potentiel d’exportation de ces technologies, car les approvisionnements intérieurs à eux seuls ne peuvent animer un multiplicateur économique solide. Par conséquent, les technologies devront être conçues expressément pour le marché canadien et conformément aux exigences et normes des autres clients mondiaux. Le gouvernement du Canada pourrait agir à titre de client de référence et normalisateur pour les nouvelles technologies sources d’efficacités pour les clients du reste du monde.
Les efficacités et les retombées économiques d’un programme d’approvisionnement en infrastructure numérique stratégique n’est possible que si le gouvernement scrute les grands fondements politiques autorisant la commercialisation des technologiques numériques. Dans l’infrastructure classique, les politiques fondamentales importantes rapprochent les besoins de capacité des considérations systémiques. Ainsi, le gouvernement construit des routes et des ponts d’après les besoins de la société et de l’économie, dans les limites des produits existants et des normes de sécurité. Il doit adopter une démarche politique analogue lorsqu’il s’agit du développement de l’infrastructure numérique.
L’un des facteurs essentiels au développement de technologies modernes à l’origine d’efficacités organisationnelles, par exemple l’automatisation et les applications d’intelligence artificielle, est celui des données habilitantes. Dans le domaine des services publics, cela peut comprendre des données sensibles touchant les soins de santé, l’éducation, l’application de la loi, l’emploi et les finances. Les gouvernements, partout au Canada, devront se doter d’une stratégie des données conciliant de multiples objectifs politiques, par exemple les droits à la protection des renseignements personnels, la souveraineté des données et l’utilisation efficace des données agrégées personnelles identifiées et brouillées pour les biens publics.
Le gouvernement devra également soit veiller à sélectionner des technologies dont la propriété intellectuelle appartient à des entreprises canadiennes, soit s’assurer que les entreprises canadiennes aient la capacité d’obtenir et de maximiser les avantages économiques d’un programme d’infrastructure numérique stratégique à l’échelle mondiale. Si les Canadiens veulent récolter les avantages des technologies dans lesquelles ils investissent, il est essentiel d’élaborer, en matière de propriété intellectuelle, une stratégie qui couvre totalement toute la recherche préliminaire et les activités de développement dans les entreprises et instituts de recherche, et toutes les étapes jusqu’à la commercialisation.
L’adoption, à l’échelle mondiale, de technologies élaborées conjointement par les gouvernements et les sociétés canadiennes n’entraînera pas nécessairement de croissance organique. Le marché mondial des technologies connaît une expansion rapide, y compris en des modes verticaux fortement contestés avec de gros acheteurs du secteur public, par exemple les technologies de la santé, les villes intelligentes et la cybersécurité.
Les entreprises canadiennes qui ont pu faire acheter leurs produits par les gouvernements du pays devraient sentir qu’elles peuvent les commercialiser à l’étranger. Les efforts de promotion consentis au nom des entreprises canadiennes par des organismes comme le Service des délégués commerciaux peuvent aussi favoriser l’adoption de technologies par des gouvernements étrangers. Un autre pas, stratégique cette fois, serait que les entreprises canadiennes et le gouvernement normalisent la technologie développée conjointement, par l’entremise d’organismes mondiaux comme l’Organisation internationale de normalisation (ISO). En rédigeant des normes harmonisées à des technologies exclusives, les entreprises canadiennes peuvent consolider les approvisionnements existants et augmenter leurs perspectives de vente sur les marchés adjacents.
La crise de la COVID-19 nous a rappelé que les services numériques et l’infrastructure qui leur permet d’exister sont non seulement essentiels à la qualité de vie des Canadiens, mais peuvent également stimuler la compétitivité de l’économie du pays. Pour qu’il en soit ainsi, les gouvernements doivent changer de rôle et ne plus être simplement des producteurs de DDP, mais devenir des co-concepteurs stratégiques des processus, systèmes et solutions qui améliorent les services et réduisent les coûts, par le développement de la propriété intellectuelle et l’accumulation et l’application des données. Ils ont aussi un rôle à jouer afin que ces technologies élaborées conjointement se retrouvent sur les marchés mondiaux.
Alors que l’orientation politique du gouvernement du Canada passe de la gestion des répercussions sanitaires de la COVID-19 à la réponse aux incidences économiques immédiates et à long terme de la pandémie, il ne fait aucun doute que l’infrastructure sera un volet clé de sa politique pour stimuler l’économie.
La modernisation de l’infrastructure sociale et des transports aura comme utilité d’améliorer la qualité de vie des Canadiens. Par contre, l’avantage qui s’entretient par lui-même repose sur le recours aux stimuli économiques pour donner un coup de pouce à l’investissement et à l’emploi par le développement, la mise au point et l’exportation d’outils et de services numériques. Ces actifs intangibles sont au XXIe siècle ce que les ressources étaient aux XIXe et XXe siècles.
L’après-COVID-19 offre au gouvernement fédéral l’occasion de consentir des investissements stratégiques dans des technologies qui permettent de concrétiser ses objectifs politiques par le codéveloppement, avec les PME canadiennes, de technologies exportables sur les marchés mondiaux. Le gouvernement fédéral dépense 5 milliards de dollars par an pour les technologies de l’information (TI) et 3 milliards de dollars de plus dans des applications et périphériques et dans la gestion du programme de TI. Entre ces ressources et le budget pour l’infrastructure, il y a la possibilité de définir les sources de financement afin d’investir habilement dans des technologies qui animeront de meilleurs services et créeront des efficacités internes tout en aidant les PME canadiennes à se hisser à l’échelon mondiale.
Comme tout investissement offrant de fortes possibilités de rendement, tout programme d’infrastructure numérique stratégique comporte des risques. Dans l’élaboration d’un programme de ce type, le gouvernement doit adopter une approche par portefeuille pour comptabiliser ce risque accru et imprégner de patience le processus d’évaluation. Le but ne devrait pas être de faire en sorte que, grâce à l’exportation, chaque projet génère des économies supplémentaires et stimule la croissance de l’économie. Il s’agirait plutôt de réunir un nombre raisonnable de projets qui offrent des économies exponentielles et, par la suite, des activités au niveau de l’exportation. Ce profil de risque, inévitablement, signifiera que certains projets échoueront et il faudra à cet égard sensibiliser l’opinion publique.
Connaître le succès dans les multiples objectifs d’un programme d’infrastructure numérique stratégique exige une approche qui redynamise la politique publique canadienne en ce qu’elle touche les approvisionnements, le risque et la collaboration avec les entreprises canadiennes. En se lançant dans un programme comme celui-là, le Canada serait dans une position plus solide et commencerait à supprimer certains des obstacles structuraux qui empêchent le secteur canadien de la technologie de soutenir la concurrence sur les marchés mondiaux. Cela offrirait également des retombées en favorisant la croissance de sociétés technologiques exploitées par des Canadiens et offrant des milliers d’emplois de qualité, tout en stimulant une croissance économique durable à l’avantage de tous les Canadiens.
PARTENAIRES
Partenaires du secteur privé : Manuvie et Shopify
Partenaire de consultation : Deloitte
Gouvernement : Gouvernement du Canada
Gouvernements provinciaux :
British Columbia, Saskatchewan, Ontario et Québec
Partenaires de recherche : Conseil national de recherches Canada et Centre des Compétences futures
Fondations: Metcalf Foundation
FPP tient à reconnaître que les points de vue et opinions exprimés dans cet article sont ceux des auteurs et ne reflètent pas nécessairement ceux des partenaires du projet.