Compte tenu de la propagation hors de contrôle de la COVID-19 aux États-Unis, la majorité des Canadiens et Canadiennes ne veulent surtout pas voir davantage de personnes arriver en provenance de l’étranger. Cependant, un an pourrait s’écouler avant l’arrivée d’un vaccin et bien plus encore avant que celui-ci ne soit administré à l’échelle mondiale. Si nous avons une leçon à tirer de la COVID-19, c’est que, cette fois, nous devons avoir une longueur d’avance en matière de contrôles frontaliers.

Tournés vers l’avenir, nous voyons le nombre quotidien de nouveaux cas de la COVID-19 diminuer de façon constante jusqu’à zéro, indiquant que le Canada est près de contrôler la transmission communautaire du virus à l’intérieur de ses frontières. Une fois cette étape franchie, les restrictions qui ont si sévèrement perturbé la vie économique et sociale pourraient être considérablement assouplies, à condition que le risque de nouvelles infections introduites par la frontière soit bien maîtrisé. Les écoles pourraient rouvrir normalement en septembre; des centaines de milliers d’emplois pourraient être recréés; les finances publiques pourraient commencer à se stabiliser et l’optimisme pourrait être ravivé. En ce qui concerne les politiques relatives à l’entrée des personnes à la frontière en ces temps de COVID-19, les enjeux ne sauraient être plus élevés.

L’approche actuelle du Canada de l’admission d’étrangers interdit l’entrée aux visiteurs, sauf pour un nombre limité de raisons non discrétionnaires, et demande à la plupart des personnes autorisées à entrer de se placer en quarantaine durant 14 jours. Les exceptions à cette exigence sont limitées aux personnes réputées fournir des services essentiels, p. ex. certains camionneurs, les travailleurs de la santé et des spécialistes de l’entretien. Cette quarantaine de 14 jours peut être un simple inconvénient pour les résidents et les étudiants qui reviennent au pays ou les visiteurs à plus long terme, mais elle est inadmissible pour les touristes et complètement irréaliste dans le cas des voyages d’affaires ou des séjours plus courts pour des raisons personnelles[1]. Cette situation était néanmoins nécessaire et tolérable tandis que la population canadienne s’unissait pour maîtriser l’épidémie de la COVID-19. Mais le pays ne peut rester indéfiniment fermé au reste du monde dans l’attente et l’espérance d’un vaccin. Les coûts sociaux et économiques cumulatifs seraient trop importants.

Toutefois, la quarantaine ne demeurent-t-elle pas nécessaires pour protéger les gains réalisés et maintenir la contagion à la COVID-19 hors du Canada? Le problème vient du fait que l’observation de la quarantaine au Canada est fondée sur un « système de bonne foi » et fondamentalement difficile à contrôler. La surveillance par des instances officielles, le plus souvent par des appels téléphoniques à la personne en quarantaine, est utile, mais ces appels sont sporadiques et il n’y a pas de système en place pour déterminer l’emplacement des téléphones cellulaires, lesquels sont utilisés par la majorité des gens. (Par exemple, Taiwan surveille le respect de la quarantaine à l’aide d’une « clôture électronique » : les fournisseurs de services avisent les autorités si un appel est reçu par un téléphone cellulaire situé à l’extérieur de la zone de quarantaine.) L’arrivée d’une certaine « lassitude » par rapport à la COVID-19 et la diminution du nombre de personnes infectées mèneront probablement à un plus grand non-respect du fardeau que représente une quarantaine de 14 jours, et les preuves anecdotiques à ce sujet ne manquent pas. En outre, la responsabilité de faire respecter la quarantaine est répartie le long d’une chaîne qui commence par l’Agence des services frontaliers du Canada, passe par l’Agence de la santé publique du Canada, puis par les autorités provinciales, pour finalement aboutir dans les mains des forces policières. Plusieurs maillons de cette chaîne peuvent se rompre.

En somme, le statu quo quant à la quarantaine apparaît comme le pire des deux mondes : il nuit à l’économie et protège inadéquatement. Il n’est pas viable. Nous avons besoin d’une meilleure façon de procéder pour rendre les services frontaliers plus transparents tout en maintenant le risque d’introduction du virus à un minimum acceptable[2].

Nous proposons que toutes les personnes souhaitant entrer au Canada (y compris les résidents revenant au pays) présentent un « Plan d’entrée » qui exigerait de donner suffisamment de renseignements pour pouvoir évaluer le risque que le visiteur transmette le virus durant son séjour au pays. Le plan contiendrait, par exemple, les renseignements personnels de base; le motif de la visite au Canada; le point d’arrivée et le moyen de transport; l’itinéraire et des contacts au Canada; les endroits récemment visités avant d’arriver au Canada; ainsi que la « situation » de la personne en matière de COVID, p. ex. les résultats de tests récents. Les détails relatifs aux renseignements demandés seraient établis de manière à assurer un équilibre entre les objectifs de sûreté et le fardeau de fournir le Plan.

Les Plans d’entrée seraient évalués par une unité formée et spécialisée du gouvernement fédéral, ou, dans certains cas, confiés à la province d’entrée. L’autorisation de voyage électronique, demandée aux visiteurs (autres que les citoyens américains) qui arrivent par avion de pays pour lesquels aucun visa n’est exigé, pourrait fournir l’infrastructure du système ainsi qu’un modèle de départ. Idéalement, les compagnies aériennes accepteraient de refuser l’embarquement aux passagers en provenance de l’extérieur du Canada qui ne présenteraient pas de Plan d’entrée approuvé.

Les restrictions quant aux voyages non essentiels en partance de pays à haut risque, c.-à-d. ceux aux prises avec une transmission communautaire de COVID-19 à grande échelle, demeureraient en vigueur[3]. Actuellement, cela comprendrait les États-Unis. Les arrivants en provenance de pays où la transmission communautaire est bien contrôlée seraient autorisés d’accès en fonction de l’évaluation de leur Plan d’entrée et se verraient prescrire l’une des deux marches à suivre.

La première marche à suivre – un calendrier de dépistage de deux semaines – ne requerrait normalement pas d’effectuer une quarantaine de 14 jours, mais de se soumettre (y compris les résidents revenant au pays) à un test de dépistage de la COVID-19 dans les 24 heures à l’un des endroits désignés; puis à un second, cinq ou six jours plus tard; et possiblement à un troisième au 11e ou 12e jour. L’arrivant devra probablement s’auto-isoler durant une courte période en attendant les résultats du premier test. (Puisque cette exigence ne poserait qu’un léger désagrément, le risque de non-respect serait bas.) Fondé sur l’évolution habituelle de la COVID-19, ce calendrier de dépistage détecterait, fort probablement, une personne contagieuse, et cette détection serait suivie d’un confinement immédiat avant qu’il n’y ait transmission. Surveiller le respect du calendrier de dépistage convenu dans le Plan d’entrée serait simple, car les établissements de dépistage désignés auraient reçu un avis.

La seconde marche à suivre – une exemption pour personne à faible risque – ne nécessiterait pas d’effectuer de quarantaine ou de test de dépistage. Cette option serait potentiellement offerte aux personnes dont le Plan d’entrée montre qu’elles représentent un risque suffisamment faible pour justifier de les exempter de l’obligation de se soumettre au calendrier de dépistage mentionné précédemment. L’exemption pour les personnes à faible risque a été créée spécialement pour les voyageurs d’affaires et les visiteurs de courte durée (p. ex. les touristes qui prévoient de rester au Canada quelques jours), bien qu’elle puisse être accordée à n’importe quel autre arrivant. Cette marche à suivre serait également donnée aux résidents qui reviennent au Canada, généralement après une courte absence pour un voyage d’affaires ou pour des raisons personnelles.

Tous les arrivants devraient être encouragés à se comporter de manière à réduire les risques de contagion, jusqu’à ce qu’ils aient obtenu le feu vert : porter un masque en public; éviter les grands rassemblements, surtout ceux à l’intérieur; redoubler de prudence lorsqu’ils sont en présence d’une personne à risque de développer de sérieuses complications de la COVID-19.

Pour aider dans la recherche de contacts advenant l’infection, tous les arrivants munis d’un téléphone intelligent devraient être tenus de télécharger l’application COVID Alerte recommandée, laquelle prévient les utilisateurs lorsqu’ils ont été en contact étroit avec un autre utilisateur qui a obtenu un résultat positif à la COVID-19, ainsi que l’application de COVID-19 du Canada, qui comprend un dispositif de suivi quotidien des symptômes. La localisation fondée sur la technologie GPS se perfectionne rapidement, et des exigences supplémentaires conciliant la protection de la vie privée et les fonctions améliorées de recherche de contacts pourraient éventuellement être justifiées compte tenu des avantages considérables pour la santé publique.

Plusieurs pays assouplissent actuellement les restrictions à la frontière ou n’exigent désormais plus que les arrivants effectuent une quarantaine. Certains utilisent des variantes des procédures proposées dans cet article. Le Canada a la chance de pouvoir apprendre de leur expérience.

Le coût de la pandémie pour l’économie du pays et des provinces est pour l’instant impossible à évaluer avec certitude, mais en nous fondant sur diverses estimations, il pourrait être de l’ordre de 6 à 10 % du PIB en 2020 (voire plus) et occasionner une faiblesse persistante au cours de l’année suivante. Une réduction du PIB national de, disons, 8 % représenterait environ 185 milliards de dollars en salaires et en profits perdus. La récente prévision d’un déficit fédéral sans précédent dépassant les 340 milliards de dollars montre les enjeux pour les finances publiques. Des mesures comme les procédures aux frontières que nous avons proposées peuvent commencer à atténuer ces conséquences pour la population canadienne et auraient, par conséquent, des retombées considérables.

Étant donné les enjeux pour l’économie en général, et en particulier pour les secteurs comme le transport aérien, l’hébergement et le tourisme, les procédures décrites ci-dessus doivent être mises en place le plus tôt possible. Cela peut paraître prématuré alors que les Canadiens et Canadiennes ont été pétrifiés par la résurgence de la COVID-19 au sud de la frontière. Mais la procédure proposée ne prévoit pas de rouvrir nos frontières aux résidents américains jusqu’à ce que nous puissions le faire de façon sécuritaire. Entre-temps, elle peut être mise en place pour de nombreux pays qui ont maîtrisé la propagation du virus.

On ne saurait trop insister sur le fait que le plan de réouverture de la frontière devra être communiqué au public de façon à créer un climat de confiance. Sans avoir la confiance de la majeure partie du public, les avantages économiques d’une plus grande ouverture s’en trouveraient considérablement freinés. Le public a appris à avoir une peur bleue du coronavirus, laquelle était nécessaire pour faire accepter le confinement. Toutefois, il sera probablement beaucoup plus difficile de calmer cette peur qu’il a été difficile de la semer. Cela s’explique du fait que le virus est encore présent dans le monde, que les médias misent toujours sur la peur en insistant sur les pires scénarios, que la pandémie est hors de contrôle aux États-Unis et que les experts nous mettent en garde contre une autre vague cet automne. Le défi de communication sera de convaincre de nombreuses personnes qu’une approche intelligente en matière de réouverture des frontières peut être sécuritaire et, parallèlement, en persuader d’autres, impatientes de revenir complètement à la normale, qu’une vigilance accrue aux frontières demeure nécessaire pour éviter une recrudescence de la transmission.

Les restrictions sévères, mais nécessaires, mises en place par le Canada pour combattre la COVID-19 ont porté leurs fruits, mais elles s’accompagnent d’un coût émotionnel et économique très élevé qui n’est pas viable, en particulier pour nos communautés marginalisées et moins favorisées. Heureusement, étant donné que le Canada est sur le point de contrôler la propagation du virus, nous aurons bientôt la possibilité de retourner à une « nouvelle normalité » : sortir les personnes et les entreprises du gouffre économique; ramener les enfants à l’école à temps plein; redonner l’espoir et l’optimisme sur lesquels repose le bien-être émotionnel et physique. Une approche intelligente en matière de gestion des frontières est cruciale pour y parvenir. Nous devons mettre en pratique ce que le Canada et le monde ont appris afin d’assurer à la fois plus d’ouverture et davantage de sécurité. La procédure que nous avons décrite peut atteindre cet objectif.

Notes

  1. Par exemple, le tourisme représente 2 % du PIB du Canada et presque 4 % des emplois. En 2018, on estimait les recettes des entreprises dépendant du tourisme à 100 milliards de dollars. La demande résultant du tourisme est un facteur déterminant dans la viabilité de plus de 100 000 petites entreprises, principalement des restaurants et des débits de boissons, ainsi que les secteurs des arts, de la culture et de l’hébergement. Sans une nette reprise du tourisme (tant national qu’international), un très grand nombre de ces entreprises ne survivront pas. Il s’agit bien souvent de domaines où il n’y a pas beaucoup d’autres débouchés.
  2. Il est impossible d’éliminer complètement le risque qu’une personne infectée entre au pays. Chaque jour, un nombre important de déplacements réellement essentiels doivent s’effectuer entre le Canada et les États-Unis sans être entravés par la quarantaine de 14 jours et aucune méthode pratique pour détecter la maladie n’est totalement infaillible. L’enjeu est de garder le nombre de personnes infectées venant de l’extérieur très bas afin que nos systèmes de santé publique hautement compétents puissent prévenir la propagation de la maladie à l’aide de tests de dépistage, de la recherche de contacts et du suivi de gestion des cas. En d’autres mots, plus le système de santé publique sera en mesure de contenir les cas qui passent entre les mailles du filet, moins les mesures adoptées aux frontières auront besoin d’être restrictives, toutes choses étant égales.
  3. La désignation d’un pays comme étant « à haut risque » pourrait être fondée sur des indicateurs statistiques mis à jour régulièrement relativement aux cas de COVID-19 (p. ex. le nombre quotidien de nouveaux cas par 100 000 habitants; le taux de dépistage) Cette approche générale a été récemment adoptée par l’Union européenne.

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