Auteur : Jamison Steeve, directeur de la stratégie, YMCA du Grand Toronto


Tout au long de la pandémie, beaucoup en sont venus à reconnaître que des services de garde accessibles, abordables, inclusifs et de haute qualité sont essentiels au développement de l’enfant, à des résultats positifs pour la famille, à une plus grande équité entre les sexes, à la réduction de la pauvreté et à l’économie de l’Ontario.

Au cœur d’un système de garde d’enfants de haute qualité se trouve une main-d’œuvre de qualité, composée d’éducatrices et d’éducateurs de la petite enfance (EPE) exceptionnels.

On s’accorde en général aujourd’hui à reconnaître (en anglais) « tant sur le plan de la recherche que sur celui du bon sens, que les ressources humaines jouent un rôle fondamental pour déterminer si la qualité de la garde d’enfants est élevée, médiocre ou mauvaise » [traduction]. Un bulletin de l’UNICEF de 2008 (en anglais) allait jusqu’à affirmer que « la qualité de l’éducation et de l’accueil des jeunes enfants dépend avant tout de la capacité de la personne qui s’en occupe à tisser des relations avec les enfants et à contribuer à leur offrir un environnement sûr, cohérent, sensible, stimulant et enrichissant » [traduction].

Au moment où nous écrivons ces lignes, les gouvernements de l’Ontario et du Canada sont en train de négocier une entente visant à offrir des services de garde d’enfants à 10 $ par jour en Ontario – la dernière Province à se joindre à un régime fédéral visant à dépenser 30 milliards de dollars sur cinq ans pour réduire les frais de garde d’enfants à une moyenne de 10 $ par jour dans tout le pays. Ce faisant, les deux ordres de gouvernement doivent reconnaître l’importance des éducatrices et éducateurs de la petite enfance pour la réussite du projet.

Et ils devraient également reconnaître que, d’après les entrevues menées auprès des dirigeants des services de garde du YMCA de toute la province, la main-d’œuvre des services de garde en Ontario est assiégée, sous-compensée, en sous-effectif et épuisée tandis qu’elle doit faire face à des complexités et des défis croissants parmi les enfants auxquels elle fournit des soins.

La résolution de ces problèmes sera cruciale pour le succès du programme et des enfants de l’Ontario.

Kids at Kindergarten

Le ministère de l’Éducation de l’Ontario, par l’entremise de la Division de la petite enfance et de la garde d’enfants, établit la politique, la législation et les règlements généraux pour le secteur de la petite enfance et de la garde d’enfants, en vertu de l’autorité de la Loi de 2014 sur la garde d’enfants et la petite enfance, et délivre des permis aux fournisseurs de services de garde d’enfants dans toute la province. Les services de garde d’enfants réglementés peuvent être fournis dans des centres de garde d’enfants (y compris les services de garde d’enfants à temps plein et les programmes avant et après l’école) ou par des fournisseurs de services de garde d’enfants en milieu familial sous contrat avec une agence agréée. Au 31 mars 2020, l’Ontario comptait 5 565 centres de garde d’enfants agréés offrant 462 802 places. Parallèlement, 131 agences de garde d’enfants en milieu familial agréées étaient en activité et étaient autorisées à passer des contrats avec un maximum de 8 296 foyers approuvés. Toutes ces places ne sont pas utilisées en raison de la pénurie de main-d’œuvre dans l’ensemble du système de garde d’enfants, ce qui entraîne des listes d’attente et des frustrations.

Au 31 mars 2020 :

  • 75 % des centres de garde d’enfants étaient sans but lucratif (administrés par des organismes sans but lucratif et les Premières Nations) et 25 % étaient à but lucratif.
  • 79 % des places en services de garde d’enfants se trouvaient dans des centres sans but lucratif et 21 % dans des centres à but lucratif.
  • 80 % étaient des agences de services de garde en milieu familial agréées sans but lucratif et 20 % étaient à but lucratif.
  • 88 % des domiciles approuvés étaient affiliés à des agences sans but lucratif et 12 % à des agences à but lucratif.

En outre, la Province verse des fonds à 47 gestionnaires de systèmes de services locaux, que l’on appelle gestionnaires des services municipaux regroupés (GSMR) et conseils d’administration de district des services sociaux (CADSS), pour financer des services de garde agréés et des programmes pour l’enfant et la famille autorisés. Ces gestionnaires de système de services sont habilités à déterminer les priorités en matière de financement au sein de leurs systèmes locaux, pourvu qu’ils se conforment aux lois, aux politiques et aux lignes directrices provinciales. Cette couche d’administration donne lieu à un système disparate, qui entraîne des complexités et des variations en matière de conformité, de réglementation, de financement, de frais quotidiens et de rémunération du personnel.

En ce qui concerne le coût, les données de 2019 montrent que les frais médians pour les parents (en anglais) dans les centres agréés allaient de 66 $ par jour pour les poupons à 22 $ par jour pour les enfants d’âge scolaire. Les frais médians dans les centres de services de garde d’enfants en milieu familial agréés variaient de 46 $ par jour pour les enfants de moins de deux ans à 25 $ par jour pour les enfants âgés de six à douze ans. Ces coûts sont généralement beaucoup plus élevés dans les centres urbains, les coûts pour les poupons atteignant plus de 90 à 100 $ par jour dans les centres de garde d’enfants dans des villes comme Toronto. Il existe toutefois un solide programme de subventions en Ontario, déterminé par un test de revenu, et des subventions complètes sont offertes.

D’après ces chiffres, la quête de services de garde à 10 $ par jour en Ontario sera un défi, car il existe un écart important entre la réalité actuelle des paiements et l’objectif final. À mesure que la demande et l’accessibilité augmentent, le besoin en places supplémentaires – et en éducatrices et éducateurs de la petite enfance – augmentera également.

kids at school

Une profession d’éducatrice ou d’éducateur de la petite enfance bien considérée et reconnue est essentielle pour le système pancanadien de services de garde agréés.

Pour être considéré comme une ou un EPE (en anglais), il faut obtenir un diplôme en éducation de la petite enfance d’un collège ontarien ou un diplôme d’un programme postsecondaire approuvé par l’Ordre des éducatrices et des éducateurs de la petite enfance, qui réglemente et régit les éducatrices et les éducateurs de la petite enfance inscrits en Ontario.

La main-d’œuvre du système de garde d’enfants de l’Ontario (en anglais) essemble beaucoup à celle de l’ensemble du Canada : une majorité écrasante de femmes et des salaires toujours bas, même par rapport à d’autres professions à prédominance féminine.

L’an dernier, le collège a recensé (en anglais) 58 867 membres, dont 56 pour cent travaillaient dans des services de garde d’enfants agréés, tandis que d’autres travaillaient dans des domaines tels que l’éducation et les programmes de soutien à la famille. Soixante-cinq pour cent avaient moins de 45 ans et 31 % avaient entre 25 et 34 ans. Un pourcentage important de la main-d’œuvre des services de garde d’enfants se compose d’assistantes et d’assistants à la petite enfance (APE) et de personnel de soutien.

Le salaire annuel moyen d’une ou d’un EPE était de 43 243 $ (en anglais), ce qui, à titre de comparaison, représentait 46 % du salaire moyen des enseignantes et des enseignants de l’Ontario.

L’Ontario, comme de nombreuses autres provinces, a établi des ratios en fonction de l’âge des enfants et de l’emplacement du centre de services de garde. Voici les ratios pour les services de garde en centre :

Groupe d’âge Personnel/enfants EPE agréé.e/enfants Nombre maximum
Poupons Jusqu’à 18 mois. 3/10 1/3 10
Bambins 18 mois à 2,5 ans 1/5 1/3 15
Préscolaire 2,5 à 5 ans 1/8 1/2 16; 1/3 24 24
Âge scolaire – Maternelle temps plein 4 à 5 ans 1/13 1/2 26
Âge scolaire 6 à 12 ans 1/15 1/2 30
Âge scolaire 9 à 12 ans 1/20 1/1 20

Un fournisseur de services de garde d’enfants en milieu familial qui est sous contrat avec une agence est soumis à des ratios différents. Les fournisseurs de services de garde d’enfants en milieu familial peuvent prendre en charge jusqu’à six enfants de moins de 13 ans, y compris leurs propres enfants de moins de quatre ans. Trois enfants au maximum peuvent être âgés de moins de deux ans.

Les fournisseurs de services de garde d’enfants de tout le secteur connaissaient déjà avant la COVID-19 une crise de recrutement, qui n’a fait que s’aggraver. Les congés de maladie, les départs et les conditions de travail de plus en plus difficiles ont mis à rude épreuve le personnel existant et ont compliqué le recrutement et la rétention.

Bien qu’il soit difficile d’obtenir une mesure précise de la pénurie de main-d’œuvre actuelle, les YMCA de l’Ontario, qui sont les plus grands fournisseurs de services de garde d’enfants sans but lucratif de la province, auraient besoin de pourvoir 1 230 postes pour revenir à la capacité antérieure à la COVID-19, et de pourvoir 2 400 postes pour fonctionner à pleine capacité en vertu de leurs permis actuels.

Kids at school

Des recherches ont montré (en anglais) que « les environnements de travail comportant une proportion plus élevée de personnel formé et ayant accès à la formation continue et/ou au développement professionnel sont associés à des niveaux plus élevés de satisfaction professionnelle ».

Il existe des possibilités formelles et informelles pour les éducatrices et les éducateurs en services de garde d’enfants d’améliorer leurs qualifications en Ontario. En 2017, l’Ontario a été la première Province à signer une entente dans le cadre de ce que l’on appelle Accord Canada-Ontario sur l’apprentissage et la garde des jeunes enfants, d’une durée de trois ans. Elle a alloué 6 millions de dollars pour appuyer des approches novatrices qui donnaient accès à des possibilités de formation et d’apprentissage professionnel de haute qualité pour la main-d’œuvre des services de garde d’enfants et de la petite enfance. Ce financement a été utilisé pour augmenter le nombre d’étudiantes et d’étudiants appuyés par le Programme de mise à niveau des qualifications des éducatrices et des éducateurs de la petite enfance et pour appuyer d’autres possibilités d’apprentissage professionnel.

Mais les défis sont encore nombreux. L’obligation d’effectuer des stages non rémunérés dans le cadre de l’amélioration des qualifications dissuade de nombreuses personnes qui travaillent actuellement dans le secteur d’améliorer leurs compétences. Dans l’ensemble, sans une augmentation des salaires et un changement de culture qui persuade les EPE de considérer la garde d’enfants comme une carrière à long terme, la participation au recyclage sera faible.

La gestion des performances dans l’ensemble du système conduit au mentorat, tout comme les placements d’étudiantes et d’étudiants. Cependant, l’augmentation de la charge de travail et de la pression sur le personnel pendant la pandémie a réduit les possibilités de mentorat.

En outre, certaines personnes craignent que l’augmentation de la demande liée aux services de garde à 10 $ par jour n’exerce une pression sur les organismes de réglementation pour qu’ils réduisent les normes et les qualifications. À cette fin, une stratégie de main-d’œuvre plus large devra faire partie de toute négociation réussie entre les deux ordres de gouvernement.

kids drawing

Tandis que les gouvernements provincial et fédéral s’apprêtent à conclure un accord final pour garantir le financement de services de garde d’enfants améliorés et abordables en Ontario, certains éléments doivent faire partie de l’accord pour que le succès soit plus probable.

Premièrement, l’accord devrait reconnaître et aborder les pénuries actuelles de main-d’œuvre dans le domaine des services de garde. L’Ontario a déjà besoin de plus d’EPE pour satsifaire à la demande actuelle.

Si l’on ne s’attaque pas à ce problème, les efforts visant à accroître l’accès et à réduire les coûts seront difficiles et risquent de mettre encore plus à l’épreuve le public frustré et le système de garde d’enfants.

En outre, les négociateurs doivent être conscients que la population actuelle d’enfants entrant en service de garde est de plus en plus complexe et a des besoins spéciaux. Ces enfants méritent ce qu’il y a de mieux dans notre système actuel.

Deuxièmement, à l’appui de ce qui précède, la Province devrait travailler en étroite collaboration avec le secteur des services de garde d’enfants afin d’élaborer une stratégie globale de la main-d’œuvre qui puisse réagir à la myriade de problèmes auxquels sont confrontés les EPE. L’objectif devrait être d’aborder les questions d’éducation, de rétention et de recrutement dans le but d’améliorer la qualité des soins et les résultats observés dans le système de garde d’enfants de l’Ontario. La stratégie devrait également viser à aider les APE à obtenir leurs titres de compétence comme EPE. Le système de garde d’enfants compte beaucoup sur les APE et nombre d’entre elles et eux ont une expérience supérieure à celle des EPE. Nous devons nous attaquer aux obstacles auxquels ces personnes sont confrontées dans l’espoir que cela contribuera à faire d’une carrière à long terme en services de garde une option plus viable et valorisée.

Troisièmement, et c’est fondamental pour tout succès futur, on trouve la question de la rémunération. Bien que les services de garde aient été jugés essentiels par de nombreuses personnes, les salaires des EPE restent bas et ne suffisent pas pour continuer à recruter et à retenir le personnel de qualité nécessaire à un système de garde d’enfants de classe mondiale. Les deux ordres de gouvernement pourraient envisager une grille salariale provinciale pour l’Ontario ou, à tout le moins, un mouvement vers la parité entre les EPE qui travaillent à l’intérieur et à l’extérieur du système scolaire.

Enfin, l’accord bilatéral devrait prendre des mesures pour créer un financement stable et cohérent des services de garde d’enfants en Ontario. Des mesures pourraient être prises pour réduire les écarts dans les décisions de financement entre les régions et les municipalités de la province qui créent de la concurrence et de la complexité. À l’heure actuelle, ces différences de financement entraînent des comportements et des incitations pervers, notamment en matière de ressources humaines. Souvent, les fonds publics sont utilisés pour faire concurrence aux régions voisines de la province pour attirer les talents, ce qui crée des pressions salariales et des pénuries de main-d’œuvre. La Province devrait prendre des mesures pour rationaliser et centraliser le contrôle de ces fonds.

Si un accord est signé, on peut s’attendre à ce que la première chose à faire pour les deux gouvernements soit de réduire les frais de garde d’enfants pour les familles ontariennes. Bien que cela soit compréhensible, il serait bon que les décideurs politiques s’attaquent simultanément aux problèmes de main-d’œuvre décrits plus haut, afin de montrer qu’ils sont conscients des problèmes et qu’ils s’engagent à assurer la qualité, la viabilité et l’accessibilité financière à long terme.

Les exploitants de services de garde d’enfants, les familles et les enfants savent à quel point des soins de qualité sont importants pour les enfants et l’économie de l’Ontario. De grands progrès ont été réalisés et la perspective de croissance et d’accès accru est prometteuse. Ottawa et Queen’s Park doivent reconnaître la situation actuelle en matière de main-d’œuvre des services de garde et le rôle essentiel que les EPE doivent jouer dans la réussite future de notre province.