Auteurs : Jules Maitland, Amanda Hachey


Les centres de services de garderie éducatifs, et le personnel éducatif qui y travaille, constituent l’infrastructure invisible du Nouveau-Brunswick. Ils sont restés ouverts tout au long de la pandémie de COVID-19, mais ont reçu beaucoup moins d’attention de la part des politiques publiques et des médias que d’autres services essentiels. Ils permettent à la société d’aujourd’hui de fonctionner tout en offrant aux générations futures une éducation de base et des soins essentiels. L’initiative fédérale-provinciale récemment annoncée, qui vise à fournir ce service essentiel pour 10 $ par jour, promet d’accroître davantage la demande exercée sur un secteur déjà mis à rude épreuve.

Il est donc opportun que le gouvernement du Nouveau-Brunswick ait récemment élaboré sa première Stratégie de main-d’œuvre pour le personnel éducatif de la petite enfance, en promettant des augmentations de salaire et un plus grand soutien à la formation postsecondaire, au perfectionnement professionnel, au recrutement et à la rétention des éducatrices et des éducateurs de la petite enfance (EPE).

Au Nouveau-Brunswick, les services de garde d’enfants sont principalement offerts dans des centres et des foyers privés à but lucratif. Seulement un tiers du secteur se compose d’organismes sans but lucratif. Au moment de rédiger le présent document, le Nouveau-Brunswick est la seule Province de l’Atlantique à ne pas compte d’association professionnelle ou de certification pour les EPE, bien que des pourparlers soient en cours à ce sujet.

kids at school

Contexte actuel

Le ministère de l’Éducation et du Développement de la petite enfance détermine la politique, la législation et les règlements généraux de la Province pour les centres de services de garderie éducatifs. La Loi sur les services à la petite enfance énonce les exigences relatives à la délivrance de permis aux établissements de garderie éducative (EGE) et aux foyers de services de garderie éducatifs.

Un sondage de 2019 a révélé que

59,1 % des enfants âgés de cinq ans et moins participent à une forme quelconque d’apprentissage précoce et de garde d’enfants non parentale.

Des places en centre à temps plein ou partiel réglementé existent désormais pour 45 % des enfants âgés de cinq ans et moins (une hausse par rapport à la donnée de 35 % de 2019), avec 15 034 places en garderies éducatives réglementées offertes pour le nombre estimé de 33 048 enfants de moins de cinq ans.

Comme seule Province officiellement bilingue, la langue du service de garde est une considération importante. Le recensement de 2016 a révélé que la langue maternelle est l’anglais pour 65,4 %, le français pour 32,4 %, les langues autochtones pour 0,3 % et les autres langues pour 3,1 % de la population du Nouveau-Brunswick. En mars 2020, on compte 839 établissements (503 Anglophones, 336 Francophones), dont :

  • 58,8 % offrent des services en anglais
  • 39,7 % offrent des services en français.
  • 1,6 % offre des services bilingues.

En 2019, la Province a achevé la mise en œuvre d’une désignation pour les centres de services de garderie éducatifs, pour reconnaître les établissements autorisés qui offrent des services aux enfants d’âge préscolaire et inclure des obligations comme la promotion de l’accessibilité et de l’inclusion et la mise en œuvre d’un plan annuel d’amélioration de la qualité. Ouverte aux établissements à but lucratif et non lucratif, l’admissibilité est déterminée par la conformité aux politiques de permis, l’offre de services préscolaires aux enfants âgés de cinq ans et moins et la mise en œuvre du programme d’études provincial (anglais ou français). En mars 2020, 91 % des établissements admissibles avaient obtenu leur désignation.

Les centres de services de garderie éducatifs réglementés ont droit à un maximum de 60 places au total, avec le ratio personnel/enfants et la taille de groupes suivants :

Groupe d’âge Ratio personnel-enfants Taille maximale du groupe
0 à 12 mois 1:3 6
13 à 24 mois 1:5 10
25 à 35 mois 1:6 12
3 ans 1:8 16
4 ans 1:10 20

La capacité maximale des établissements réglementés de services de garderie éducatifs, y compris les propres enfants de moins de 12 ans du ou de la prestataire, dépend de l’âge des enfants présents. Pour les enfants d’âge préscolaire, la taille maximale des groupes est de trois enfants jusqu’à l’âge de 24 mois et de cinq pour les groupes d’enfants âgés de deux à cinq ans. Les groupes d’âge mixte de cinq enfants au maximum sont autorisés, mais doivent comprendre un enfant d’âge scolaire et ne peuvent pas dépasser deux nourissons.

Les frais de garde d’enfants ont continué d’augmenter régulièrement : les données de 2020 estimaient le coût de la garde à temps plein à 36,21 $ par jour pour les nourrissons et à 31,46 $ par jour pour les enfants d’âge préscolaire. Un programme de subvention pour les parents est offert aux familles d’enfants qui fréquentent des centres désignés (âgés de cinq ans et moins). Il offre un soutien selon l’échelle de revenus aux familles dont le revenu annuel brut du ménage avant déductions est de 80 000 $ ou moins, ou dont les frais de garde d’enfants représentent plus de 20 % du revenu annuel brut du ménage avant déductions. Une aide financière est également offerte aux familles dont les enfants fréquentent des centres non désignés et des services périscolaires et dont le revenu net est inférieur ou égal à 55 000 dollars (sous réserve de critères d’admissibilité supplémentaires).

En décembre 2021, la Province a signé une entente de financement fédérale-provinciale, selon laquelle elle s’engage à fournir aux familles néo-brunswickoises des services de garderie à 10 $ par jour, en moyenne, d’ici 2026.

Bien qu’il s’agisse d’une bonne nouvelle pour les parents, on ignore ce que cela signifie pour la viabilité financière du système de garderie du Nouveau-Brunswick.

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Effectif existant

Les données du recensement de 2016 ont révélé que 3 680 personnes travaillaient comme EPE et aides EPE au Nouveau-Brunswick. De ce nombre, 95 % sont des femmes, six pour cent sont des Autochtones, cinq pour cent sont des immigrantes et trois pour cent font partie des minorités visibles. Un quart d’entre elles (25 pour cent) ont 45 ans ou plus et, dans l’ensemble, les EPE plus jeunes ont une proportion plus élevée d’études postsecondaires.

Les exigences minimales en matière de formation pour travailler comme EPE dans les établissements du Nouveau-Brunswick sont la réussite des certificats de premiers soins et de RCR, et un certificat d’EPE ou un équivalent approuvé. Tout le personnel éducatif non formé doit suivre le cours en ligne de 90 heures d’introduction à l’éducation de la petite enfance de la Province.

Pour obtenir un titre d’EPE, les candidates et candidats doivent suivre avec succès un programme d’EPE d’un an à temps plein dans un établissement d’enseignement approuvé par la Province. Une formation supplémentaire peut être nécessaire pour travailler comme EPE dans les centres des Premières nations, en fonction de l’obligation de rendre des comptes à plusieurs organes directeurs différents.

Depuis le 1er juillet 2020, 50 % du personnel éducatif d’un établissement devront être titulaires d’un certificat d’un an en éducation de la petite enfance ou d’un certificat équivalent. En outre, toutes les personnes formées qui travaillent dans un établissement désigné doivent suivre 30 heures de perfectionnement professionnel tous les trois ans.

En 2020, on estimait à 4 543 le nombre d’éducatrices et d’éducateurs dans les établissements réglementés de services de garderie éducatifs.

De ce nombre, 46,9 % sont considérés comme n’ayant pas de formation, 39,5 % sont titulaires d’un certificat ou d’un diplôme reconnu en EPE et les autres sont titulaires d’un baccalauréat en éducation ou d’un autre diplôme universitaire. Si l’on considère les différences entre les secteurs anglophone et francophone, on estime que 57,9 % des éducatrices et des éducateurs Anglophones sont formés, comparativement à seulement 45,1 % des éducatrices et des éducateurs Francophones.

Tous les établissements de services de garderie éducatifs agréés peuvent s’inscrire au Programme de soutien salarial au personnel éducatif de garderie de la Province, qui offre un supplément salarial de 3,15 $ l’heure pour les EPE débutant.e.s qui satisfont aux exigences minimales de formation et de 7,25 $ l’heure pour les EPE titulaires d’un certificat, d’un diplôme ou d’un diplôme universitaire (EPE ou autre). Si l’on tient compte du supplément salarial, le salaire actuel du personnel éducatif au Nouveau-Brunswick varie entre 15,15 $ l’heure (sans titre de compétence en EPE) et 20,37 $ l’heure (avec titre de compétence en EPE, certificat d’un an ou plus). Si l’on prend l’extrémité supérieure de cette échelle, on obtient un salaire annuel de 42 369 $, ce qui représente 52 % du salaire d’une enseignante ou d’un enseignant.

Au moment de rdiger le présent document, le salaire minimum au Nouveau-Brunswick est de 11,75 $ l’heure. Il augmentera en deux étapes pour atteindre 13,75 $ l’heure d’ici octobre 2022. L’échelle salariale actuelle du personnel éducatif augmentera également de 2 $ l’heure. En plus de l’annonce récente des frais de 10 $ par jour, la Province a récemment annoncé qu’elle s’engageait à augmenter les salaires des EPE de près de 25 % d’ici 2026. Il n’est pas encore clair si cette augmentation de 25 % s’ajoute à l’augmentation de 2 $ de l’heure introduite en raison de l’augmentation prévue du salaire minimum.

La pandémie a exercé une pression supplémentaire sur une main-d’œuvre déjà surchargée. Bien qu’il n’existe pas de données pour quantifier la pénurie de main-d’œuvre, on estime qu’il y a eu une rotation supplémentaire de 40 % pendant la pandémie.

children in school

Développement de la main-d’œuvre

Diverses options, établies de longue date ou émergentes, s’offrent aux personnes désireuses d’obtenir leur certification d’EPE. On offre dans plusieurs établissements postsecondaires des options traditionnelles de formation à temps partiel et à temps plein pour des certificats d’un an et des diplômes de deux ans (la deuxième année du diplôme français fait actuellement l’objet d’une révision). Les deux collèges communautaires de la province offrent des options en ligne. Et de plus, l’Université du Nouveau-Brunswick offre un baccalauréat en éducation de la petite enfance aux personnes qui ont obtenu un diplôme d’EPE de deux ans. Il s’agit d’un programme mixte comprenant 60 heures-crédits au collège communautaire et 78 heures-crédits à l’université. Le programme peut être suivi à temps plein en deux ans ou à temps partiel en cinq ans au maximum.

Le Programme de remboursement des frais de scolarité – éducatrices et éducateurs de la petite enfance de la Province rembourse les frais de scolarité jusqu’à concurrence de 3 000 $ après qu’une personne a obtenu son certificat ou son diplôme. Bien qu’utile, ce programme exige que les étudiantes et les étudiants paient leurs frais de scolarité d’abord, pour se faire rembourser par la suite. Pourtant, malgré cet obstacle potentiel ainsi que les efforts continus pour accroître l’offre de cours en ligne, les listes d’attente persistent.

En 2020, le ministère de l’Éducation et du Développement de la petite enfance a participé au Labo sur l’éducation à la petite enfance du Canada atlantique, avec le New Brunswick Community College (NBCC), le Collège communautaire du Nouveau-Brunswick (CCNB), des exploitants et du personnel éducateur, afin d’explorer les défis et les possibilités concernant le soutien aux EPE qui doivent étudier tout en travaillant.

L’équipe francophone du Labo sur l’éducation à la petite enfance du Nouveau-Brunswick a exploré le recours limité des éducatrices et des éducateurs expérimentés à la reconnaissance des acquis par le CCNB, qui pouvait faire reconnaître et accréditer jusqu’à 80 % de leurs cours d’EPE en prouvant leur expérience dans le domaine. L’équipe a constaté que :

  • le recrutement se fait à la dernière minute et il est difficile pour les éducatrices et les éducateurs de planifier en conséquence.
  • le processus actuel de preuve de l’expérience de travail exige un niveau élevé de confiance et de mémoire de la part des propriétaires exploitants des établissements où travaillent les éducatrices et les éducateurs, et n’est pas fondé sur les compétences. Le CCNB est en train de refondre son programme d’EPE pour en faire un programme basé sur les compétences pour l’automne 2023, ce qui permettra de prouver l’expérience de travail de manière plus rigoureuse en fonction des compétences.
  • la tendance à perdre le personnel expérimenté au profit du système scolaire public après qu’il est qualifié décourage la reconnaissance des initiatives d’apprentissage antérieur pour les opérateurs qui gèrent les établissements.

L’équipe anglophone du Labo sur l’éducation à la petite enfance du Nouveau-Brunswick s’est penchée sur le manque de temps dont disposent les EPE qui travaillent (pour étudier, pour passer du temps avec leur famille ou pour prendre soin d’elles-mêmes ou d’eux-mêmes). Un programme de 12 semaines portant sur le soutien à un congé de formation a permis de constater que :

  • les congés de formation rémunérés ont apporté de nombreux avantages aux EPE participantes et participants, notamment de meilleures notes, la possibilité d’être plus présente et présent au travail tout en étudiant ainsi qu’une plus grande efficacité personnelle et un intérêt accru pour la poursuite des études.
  • bien que l’utilité d’avoir des remplaçantes régulières et des remplaçants réguliers pour l’AGJE ait été affirmée, le prototype a mis en évidence le temps et les efforts nécessaires de la part des centres pour recruter des remplaçantes et des remplaçants.
  • ce que les remplaçantes et les remplaçants trouvent attrayant dans ce rôle varie selon l’étape de leur carrière, par exemple, les EPE à la retraite, les nouvelles arrivantes et les nouveaux arrivants au Canada et les nouvelles arrivantes et les nouveaux arrivants en EPE.

Dans la Stratégie de main-d’œuvre pour le personnel éducatif de la petite enfance de 2021-2022, la Province a reconnu « besoin pressant d’accroître l’accès à la formation postsecondaire et ainsi que favoriser la longévité du recrutement et de la rétention des éducatrices et éducateurs qualifiés ».

Il existe de nouvelles options de formation pour le certificat d’EPE qui reflètent l’accent mis par la Province sur l’augmentation des possibilités pour les éducatrices et les éducateurs actuels de terminer leur certificat d’EPE d’un an tout en travaillant. Il s’agit notamment de l’apprentissage intégré au travail, des micro-titres de compétences et de la reconnaissance des acquis par l’expérience. La totalité des frais de scolarité et des livres sont également couverts dans ces formes de formation en français et en anglais.

L’apprentissage intégré au travail offert par le CCNB est ouvert aux EPE ayant au moins trois ans d’expérience, ce qui leur permet d’intégrer le travail et les études à temps partiel. Des binômes d’étudiantes et d’étudiants provenant de centres de services de garderie éducatifs suivent des cours en ligne deux jours par semaine. Ils suivent deux cours par session pendant 72 semaines. Le CCNB offre également l’apprentissage intégré au travail aux EPE qui travaillent avec des enfants d’âge préscolaire, ce qui leur permet d’intégrer le travail et les études à temps partiel pendant deux ans.

Les micro-titres de compétences, qu’offrent également le CCNB, proposent un apprentissage expérientiel aux EPE ayant au moins trois ans d’expérience. Les éducatrices et les éducateurs suivent deux cours de trois heures en ligne par semaine pendant 26 semaines et deux ateliers en personne.

En plus de l’apprentissage professionnel, la Stratégie de main-d’œuvre parle également de l’importance de la croissance et du développement professionnel des EPE existantes et existants, en décrivant un plan pour développer deux nouveaux programmes :

  • Un programme de croissance et de développement professionel des éducatrices et éducateurs de la petite enfance qui a pour but d’aider les éducatrices et les éducateurs de la petite enfance dans leur cheminement de carrière.
  • L’Institut des leaders émergents se veut un programme de perfectionnement professionnel approfondi conçu pour préparer les éducatrices et les éducateurs à devenir des leaders dans leur domaine.

Pour résoudre les problèmes de recrutement et de rétention, en plus des initiatives énumérées précédemment pour augmenter les salaires des EPE, la Stratégie de main-d’œuvre décrit plusieurs actions à entreprendre au cours de l’année à venir, notamment :

  • Créer une campagne de sensibilisation du public pour promouvoir la profession d’éducatrice et d’éducateur de la petite enfance.
  • Établir un mécanisme pour reconnaître les qualifications des éducatrices et éducateurs de la petite enfance qui ont complété leur formation à l’extérieur du Nouveau-Brunswick et envisager la possibilité de mettre en place une base de données d’éducatrices et éducateurs remplaçants, dans le but de promouvoir le recrutement de nouveaux arrivants dans la province et/ou au Canada.

Des questions subsistent quant à la façon dont l’initiative à 10 $ par jour aura un impact simultané sur la demande et les ressources d’un système et d’une main-d’œuvre déjà mis à rude épreuve. Cependant, nous avons bon espoir que la mise en œuvre de la première Stratégie de main-d’œuvre en EPE de la province et le développement potentiel d’une association professionnelle soient le signe d’une main-d’œuvre en EPE plus visible, valorisée et appuyée au Nouveau-Brunswick.