En 1997, le Québec se dotait d’une nouvelle politique familiale, avec comme objectifs de faciliter la conciliation travail-famille, de favoriser le développement des enfants dans une perspective d’égalité des chances et de mieux structurer le soutien financier offert au familles. L’un des moyens pour y arriver est la création de centres de la petite enfance (CPE), des organismes à but non lucratif dont la gouvernance est effectuée par des parents utilisateurs et avec un tarif accessible pour tous de 5 $/jour. ­Ce choix de société a porté fruit, et a permis à un grand nombre de femmes d’accéder au marché du travail, ce qui fait en sorte que parmi 32 États membres de l’OCDE, le Québec se classe au 2e rang, derrière la Suède, quant au taux d’emploi chez les femmes de 25 à 54 ans.

Le modèle québécois des CPE a servi d’inspiration au gouvernement fédéral dans sa volonté d’établir un système de services éducatifs à l’enfance abordable et de qualité pour les familles, à l’échelle du Canada.

Néanmoins, au fil des années, les gouvernements successifs ont priorisé le développement de différents types de service de garde, dont la qualité et le coût pour les familles sont inégales. Différentes pressions sur le réseau, dont un manque de reconnaissance des professions de la petite enfance, des efforts importants consentis par les professionnels de la petite enfance pour opérer les services de garde d’urgence, et une baisse démographique annoncée de la population active créant une rareté de main-d’œuvre dans plusieurs secteurs de l’économie québécoise, ont contribué à une pénurie importante de main-d’œuvre qualifiée en petite enfance. Celle-ci sera le défi qu’aura à surmonter le Québec dans les prochaines années afin de maintenir l’accessibilité, la qualité et l’universalité de son réseau.

Les services de garde éducatifs à l’enfance au Québec

On retrouve 4 types de services de garde éducatifs à l’enfance (SGÉE) destiné à accueillir les enfants de 0-5 ans et leur famille.

Le réseau de la petite enfance au Québec se compose actuellement d’une majorité de places subventionnées (75 %), offertes aux parents au tarif de 8,70 $/jour, à travers trois types de structures. En date du 31 juillet 2021 :

  • 35 % des places sont offertes en CPE, des organismes à but non lucratif dont la gouvernance est effectuée par des parents utilisateurs
  • 17 % par des garderies privées subventionnées (à but lucratif, pour la plupart)
  • 23 % sont disponibles en milieu familial, c’est-à-dire opérées par une travailleuse autonome qui accueille dans un domicile entre 6 et 9 enfants; celle-ci est reconnue par un bureau coordonnateur, qui veille au respect des lois et des normes, et qui lui offre un soutien pédagogique sur demande

Portrait du réseau des services de garde éducatifs à l’enfance au Québec
31 juillet 2021

Le quatrième type de service de garde éducatif est constitué des garderies privées non subventionnées, majoritairement à but lucratif, qui composent 25 % des places offertes au Québec. Celles-ci déterminent leur propre tarif, et ne reçoivent aucune somme du gouvernement. Les parents ont accès à un crédit d’impôt remboursable, qui permet de couvrir entre 67 et 78 % des coûts. Le coût d’une place non subventionnée demeure néanmoins significativement plus élevé pour les parents que le tarif subventionné, et des pressions sont exercées pour opérer une conversion de ces garderies vers le modèle subventionné. Néanmoins, des enjeux se posent à cette conversion, notamment la difficulté de plusieurs garderies non subventionnées d’atteindre les critères et les exigences du ministère de la Famille en matière de qualification des employées, et de qualité éducative.

Malgré tout, l’offre de places actuelle ne suffit pas à répondre aux besoins ni aux préférences de tous les parents qui souhaitent obtenir une place pour leur enfant. Par exemple, l’offre en milieu familial a diminué de 24 202 places entre 2016 et 2022, alors que 4 485 responsables de garde en milieu familial ont choisi de fermer leur service de garde.

Pour répondre aux besoins, le gouvernement du Québec a annoncé, le 21 octobre 2021, le développement de 37 000 nouvelles places subventionnées d’ici 2025, soit une augmentation de 17 % du réseau subventionné. Il s’est aussi engagé à suivre et estimer les nouveaux besoins annuellement. Le gouvernement du Québec a laissé entendre que la grande majorité de ces places pourrait être allouée en CPE.

Effectif existant

Il est certain que ces nouveaux développements nécessiteront une main-d’œuvre qualifiée, engagée, et en nombre suffisant afin d’être en mesure d’offrir des services éducatifs de qualité aux enfants et à leur famille.

En 2018, 103 000 personnes travaillaient à titre d’éducateurs ou d’éducatrices à l’enfance (0-12 ans), dans différents milieux, dont des CPE, des garderies, des maternelles, des organismes pour enfants en difficulté et dans d’autres milieux où des services d’éducation à l’enfance sont fournis. C’est la proportion la plus élevée de travailleurs en petite enfance au Canada, par rapport à la population occupée.

De ce nombre, on retrouvait plus spécifiquement en SGÉE, en 2019-2020 :

  • 36 568 éducatrices et éducateurs, qualifiés ou non[1]
  • 11 173 responsables de services de garde en milieu familial

La majorité, soit près de 96,4 % des personnes travaillant dans les services éducatifs à l’enfance au Québec, sont des femmes.

Pour être reconnue comme qualifiée, un éducateur ou une éducatrice doit avoir complété un diplôme d’études collégiales en techniques d’éducation à l’enfance (DEC), une formation technique d’une durée de 2460 heures, soit environ 3 ans à d’études à temps plein, ou l’équivalent. Ces équivalents sont souvent des diplômes spécialisés en petite enfance d’une durée plus courte, auxquels se cumulent près de 5000 heures d’expérience avant d’être reconnue comme qualifiée.

L’employeur doit s’assurer qu’au moins 2 membres du personnel éducateur sur 3 sont qualifiés et présents auprès des enfants chaque jour. Cette obligation a toutefois été temporairement abaissée à 1 personne qualifiée sur 3 pendant la période de l’urgence sanitaire liée à la COVID-19. Le retour au ratio de 2 : 3 est prévu 21 mois après la fin de l’urgence sanitaire, dont la date n’a pas encore été fixée, au moment d’écrire ces lignes.

Quant au nombre d’enfants dont peut s’occuper un éducateur ou une éducatrice en installation, il évolue en fonction de l’âge des enfants et du groupe.

Personnel/enfants
Poupons de 0 à 18 mois 1 : 5
Enfants de 18 à 48 mois 1 : 8
Enfants de 4 à moins de 5 ans 1 : 10
Maternelle 4 ans ou 5 ans (offert dans le réseau scolaire) 1 : 17

Le secteur de la petite enfance québécois est présentement ébranlé par une pénurie de main-d’œuvre importante, particulièrement pour le poste d’éducatrice ou d’éducateur à l’enfance. Cette pénurie se profilait déjà avant la pandémie, mais a été exacerbée par une pénurie de travailleurs dans plusieurs autres secteurs d’emploi, causé entre autres par une population vieillissante et un nombre plus faible de travailleurs étrangers accueilli en 2020.

Une collecte de données effectuées en novembre 2021 recensait plus 3780 postes vacants pour le personnel éducateur, un nombre inquiétant qui explique la pression sur les employeurs et la difficulté à maintenir le service aux familles. En effet, dans la dernière année, des bris de services ont commencé à être vécus par les familles particulièrement lors d’absences non prévues du personnel éducateur (maladie, période d’isolement en raison de la COVID-19, etc.). Plusieurs SGÉE ont dû inviter les parents à garder leurs enfants à la maison, certains jours, en raison de l’impossibilité de trouver du personnel de remplacement.

Étant donné l’objectif de développement de 37 000 places subventionnées, le ministère de la Famille estime qu’il faudra recruter près de 17 800 personnes additionnelles, et qualifier 8000 personnes parmi les éducatrices en poste qui ne possèdent pas encore leur qualification.

Dans ce contexte, un rattrapage salarial historique a été consenti en 2021 dans le réseau subventionné. Cette hausse, variable selon les corps d’emploi, correspond à une augmentation de 18 % pour les éducatrices qualifiées et les éducatrices spécialisées, de 10 % pour les éducatrices non qualifiées, et oscille entre 8 et 12,5 % pour les autres fonctions (aide-éducatrice, secrétaires, responsable en alimentation, agentes)[2].

Éducatrice qualifiée Éducatrice
non qualifiée
Aide-éducatrice
$ $ $
Échelon minimum 21,60 18,52 17,85
Échelon maximum 30,03 27,78 19,61
Nombre d’échelons 10 14 4

Des avantages sociaux font partie de la rémunération des employées du réseau subventionné, dont une contribution de 6,6 % de l’employeur au Régime de retraite du personnel des CPE et des garderies privées conventionnées du Québec à prestations déterminées, des assurances collectives, 13 journées fériés et de 2 à 5 semaines de vacances, selon l’ancienneté.

Développement de la main-d’œuvre actuelle

Afin d’agir sur la question, le gouvernement du Québec a lancé une Opération Main-d’œuvre, et investi près de 295 millions $ dans des mesures de formation, requalification et recrutement de la main-d’œuvre[3].

Ces mesures sont récentes, et il est encore tôt afin d’en juger l’efficacité. Leur succès dépendra de la capacité du gouvernement québécois de les déployer en collaboration avec les acteurs des milieux de la petite enfance, de l’emploi, de l’enseignement supérieur et de l’immigration.

L’attraction envers la profession est un enjeu : les inscriptions en petite enfance ayant décliné de 14 % entre 2017 et 2020. Afin d’inverser cette tendance, une campagne de valorisation et promotion du métier d’éducatrice et d’éducateur a été diffusée dans les médias.

Des bourses d’études de 1500 $ par session seront versées aux étudiants après chaque session à temps plein complétée avec succès, ce qui représente un potentiel de 9000 $ pour la durée du DEC en TÉE. Également, des travaux sont menés pour améliorer l’attractivité du programme collégial en petite enfance. Déjà, certains établissements offrent des modalités d’apprentissage en milieu de travail (AMT), ce qui permet de concrétiser les apprentissages vus en classe.

Par ailleurs, un programme de formation rémunérée en alternance travail-études vise à attirer et former 2400 personnes intéressées à réorienter leur carrière vers la petite enfance, ou à former celles qui ont déjà fait ce pas. Ce parcours, d’une durée de 18 mois, permet aux SGÉE de rémunérer les participants pendant trois journées d’études chaque semaine, tout en leur allouant des disponibilités pour travailler 2 jours par semaine en SGÉE.

Pour le personnel éducateur possédant plusieurs années d’expérience de travail pertinente mais n’ayant pas obtenu leur qualification, un nouveau programme permettra aux employeurs de faciliter l’accès à la démarche de reconnaissance des acquis et des compétences (RAC) en rémunérant une partie des heures de la démarche. Ce projet vise à qualifier 6750 éducateurs et éducatrices.

Pour la première fois, les éducateurs et éducatrices non qualifiées ont un incitatif financier clair afin d’obtenir leur qualification. Auparavant, leur échelle salariale finissait, au bout d’un certain temps, par rejoindre le niveau atteint par celle des éducatrices qualifiées. Désormais, une éducatrice qualifiée pourra obtenir un taux horaire maximal de 30,03 $/h, alors qu’une éducatrice non qualifiée obtiendra un maximum de 27,73 $.

Le gouvernement québécois mise beaucoup d’espoir sur des modalités d’accélération de la formation par la collaboration à l’implantation de formations offertes de façon intensive et pour lesquelles les personnes sans emploi sont rémunérés pendant la formation. Ces formations d’appoint viseront entre autres les personnes ayant un diplôme connexe (éducation spécialisée, adaptation scolaire, travail social, action communautaire, intervention en loisir, etc..) ou un diplôme en petite enfance obtenu ailleurs au Canada, ou à l’étranger, afin de faciliter la requalification et la réorientation des personnes intéressées à travailler en petite enfance.

Il reste que le Québec tout entier est touché par une pénurie de main-d’œuvre, et qu’il faudra explorer de nouveaux bassins de main-d’œuvre. D’autres mesures sont prévues, notamment :

  • Une prime salariale afin d’attirer les travailleuses retraitées à revenir travailler en petite enfance
  • Des travaux en cours afin de recruter davantage de travailleurs étrangers francophones formés en petite enfance
  • La simplification du processus de qualification avec l’implantation d’un service de certification, afin de faciliter la reconnaissance de la qualification des personnes ayant obtenu un diplôme hors Québec

Le rattrapage salarial historique est l’une des mesures en laquelle le réseau de la petite enfance québécois place le plus d’espoir en ce qui a trait à l’attraction et la rétention des professionnelles et professionnels de la petite enfance. Cet aspect est en effet souvent nommé par les éducatrices et éducateurs d’expérience comme une cause d’insatisfaction, qui y voient un manque de de reconnaissance de l’importance de cette profession.

Déjà, la pénurie de main-d’œuvre frappe actuellement plus durement les garderies privées non subventionnées, qui offrent généralement des salaires et conditions de travail moins avantageuses que les CPE et garderies subventionnées.

On constate par ailleurs des taux de rétention plus élevés dans des milieux de travail qui favorisent et valorisent l’autonomie professionnelle, investissent dans le soutien pédagogique et le développement professionnel, encouragent l’engagement et le sentiment d’appartenance, et mettent en place des mesures de santé et mieux-être.

Bien que mises en place à des degrés variables par les employeurs, des mesures structurantes visant à favoriser la rétention des nouvelles recrues et du personnel expérimenté seront également nécessaires (mentorat, amélioration des possibilités de développement professionnel, etc.)

C’est donc sur différents plans que des actions concertées sont nécessaires afin d’arriver à relever le défi d’avoir une main-d’œuvre engagée, qualifiée et en nombre suffisant pour offrir le meilleur accueil qui soit aux enfants et aux familles du Québec : des pratiques de gestion jusqu’aux stratégies gouvernementales, en passant par les éducatrices et éducateurs eux-mêmes comme ambassadeurs de leur profession.


 

  1. Pour un détail des autres catégories d’emploi 
  2. Radio-Canada. « CPE : les syndiqués de la CSN entérinent l’entente de principe à 93 % » https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1846827/cpe-greve-entente (13 décembre 2021)
  3. Pour plus d’informations sur ces mesures : Devenir éducatrice ou éducateur à l’enfance