Ceci fait partie d’une série de profils des lauréats des Prix du Gouverneur général pour l’innovation de 2018. Voir tous les récipiendaires.


Comme beaucoup de nouveaux pères, le Dr Tom Chau s’est émerveillé du miracle que représente d’avoir un enfant en santé. Il s’est dit : « ce doit être très difficile pour les nouveaux parents lorsque les choses ne se passent pas comme prévu. »

Il a pu le constater par lui-même : sa mère emmenait ses enfants à l’unité de soins palliatifs où elle travaillait. Comme bénévoles, ils aidaient à faire manger les patients lourdement handicapés. Puis avec l’arrivée de son propre fils, à la fin des années 90, le Dr Chau a pris conscience qu’il pouvait utiliser sa formation en génie électrique et informatique à meilleur escient que dans le cadre de son emploi chez IBM, où il modernisait des processus d’affaires pour des entreprises manufacturières.

« J’éprouvais un réel désir de faire quelque chose qui aurait un effet plus direct sur les gens », se rappelle le Dr Chau. Il a ainsi quitté son emploi et communiqué avec le Bloorview Research Institute à Toronto, lequel met au point des technologies d’assistance pour les enfants handicapés. Peu après, il a entrepris des études postdoctorales en génie biomédical dans le but d’obtenir du financement pour ses recherches sur les nouvelles « voies d’accès » destinées aux enfants et aux jeunes nés avec des pathologies congénitales graves.

« Je n’ai jamais regretté », assure-t-il.

‘Nous réinventons notre manière de communiquer’

Aujourd’hui, le Dr Chau est directeur de l’institut et vice-président de la recherche au Holland Bloorview Kids Rehabilitation Hospital. Son travail porte sur le développement de technologies donnant une voix à ceux qui n’en ont pas : il aide les personnes non verbales qui sont aussi atteintes d’une déficience physique grave.

« Nous réinventons de façon audacieuse notre manière de communiquer », explique le Dr Chau, qui est également professeur à l’Institute of Biomaterials and Biomedical Engineering de l’Université de Toronto.

« Nous croyons que le corps communique, même en l’absence de parole et de gestes. Nous ne sommes tout simplement pas habitués à l’écouter. » – Dr. Tom Chau

Les domaines de recherche de son équipe multidisciplinaire incluent les signaux hémodynamiques, soit l’exploitation du flux et de l’oxygénation du sang dans le cerveau pour permettre de contrôler un ordinateur par la simple pensée. Parallèlement, son laboratoire a mis au point des appareils comme le« hummer » (le bourdonneur), un capteur posé à la base du cou qui détecte les vibrations des cordes vocales et permet à la personne de choisir des lettres sur un clavier affiché à l’écran. « Une trentaine d’enfants peuvent maintenant réaliser leurs activités scolaires et contrôler des éléments de leur environnement simplement en bourdonnant. »

La thermographie du visage, laquelle utilise une caméra sensible aux variations de la température dans certaines parties du visage pour contrôler des appareils, a été une découverte. Tout a commencé par un patient de 25 ans atteint d’une infirmité motrice cérébrale grave et d’une scoliose. Il pouvait ouvrir et fermer la bouche, une zone particulièrement chaude, pour choisir parmi les lettres d’un tableau, lesquelles s’illuminaient une à une. « Après avoir travaillé avec lui pendant deux ans, nous ignorions son niveau d’alphabétisation, s’il pouvait épeler ou reconnaître des mots, se souvient le Dr Chau. Placé devant la caméra thermique, il a lentement tapé M-U-T-H-E-R (maman). C’est le premier mot qu’il a dit de façon indépendante. Il a appelé sa maman à 25 ans. C’était un moment très émouvant pour nous et pour cette elle. »

‘Une guérison n’est pas envisageable’

De telles avancées ont de profonds effets sur les personnes, les familles et les aidants. Mais le financement demeure un défi, surtout lorsque les bénéficiaires sont relativement peu nombreux, que les solutions sont personnalisées, que les améliorations sont progressives et qu’une « guérison n’est pas envisageable », reconnaît le Dr Chau.

« Les organismes subventionnaires veulent que vous fassiez la preuve des retombées économiques de vos recherches. »

Les progrès dans les appareils électroniques grand public, comme les téléphones intelligents et les maisons intelligentes, ont rendu les technologies plus accessibles et plus abordables aux personnes ayant un handicap. Cependant, ces appareils doivent être adaptés aux capacités particulières de la personne et nécessitent un entraînement considérable, « comparable à l’apprentissage d’une nouvelle langue, explique-t-il. On ne peut pas simplement donner un appareil ou une application à quelqu’un et lui dire : « voilà, le problème est résolu ». »

Le Dr Chau est inspiré par les jeunes chercheurs dans le domaine qui « veulent créer un avenir réellement sain et valorisant pour nos enfants ». Il espère que le Canada reconnaisse l’importance du travail interdisciplinaire, lequel peut passer entre les mailles du filet, mais débouche pourtant sur des « approches originales qui, à long terme, nous sont bien utiles. »

Des populations plus importantes d’adultes ayant subi un accident vasculaire cérébral et atteints de SLA (sclérose latérale amyotrophique) ou d’une maladie dégénérative comme la sclérose en plaques pourraient bénéficier des technologies que le laboratoire met au point pour les enfants. La perspective d’une interface cerveau-ordinateur directe suscite d’ailleurs beaucoup d’enthousiasme.

Ce concept a attiré l’attention et le financement de sources telles que Neuralink, l’entreprise de neurotechnologie fondée par Elon Musk de Tesla. Facebook s’y intéresse aussi puisqu’une telle technologie pourrait être utilisée dans des domaines comme les jeux vidéo et la réalité virtuelle, explique le Dr Chau. « Cela nous aide certainement à changer les choses pour l’avancement de ce type de recherches. »

 

Les moments où j’ai ressenti le plus de fierté…

… sont les moments que nous appelons les « premiers mots », quand des enfants qui ont été muets toute leur vie ont pu communiquer pour la toute première fois. Pour certains de ces enfants, le premier mot a été le nom d’un jeu vidéo. Pour d’autres, c’était le nom d’un proche. Pour l’un en particulier, les premiers mots qu’il a voulu communiquer sont « je veux un gros câlin ». Je crois que c’est dans ces moments-là que nous trouvons notre travail le plus valorisant. »

Quel conseil donneriez-vous aux innovateurs?

La peur limite notre créativité, et il est très facile de rejeter une idée. Je crois que chaque personne mérite, à un certain moment dans sa vie, de simplement laisser aller ses idées les plus folles. On ne sait jamais où elles peuvent mener. J’encourage les gens à remettre en question le statu quo et à penser différemment. Les choses ne doivent pas toujours demeurer telles qu’elles sont.

Une source d’inspiration dans ma vie …

… a été Tom McKillop, le curé de notre paroisse. Il a consacré une bonne partie de sa vie à travailler avec les jeunes. Il a été un mentor pour moi. Son conseil qui m’a le plus saisi est le suivant : « Si tu n’éprouves pas de difficultés, c’est que tu n’occupes probablement pas le bon emploi. Si chaque jour apporte son lot de dérangements, c’est que tu fais le bon travail. »