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Les obstacles sont fréquents en recherche, ce qui oblige les scientifiques à persévérer et à trouver des solutions. Pour les docteurs Xiangguo Qiu et Gary Kobinger, les obstacles auront été monnaie courante sur la voie de la découverte d’un traitement contre le virus mortel Ebola.

Œuvrant au Laboratoire national de microbiologie de l’Agence de santé publique du Canada à Winnipeg, les deux virologues ont axé leurs travaux sur des anticorps qui avaient été testés dans d’autres études et s’étaient révélés inefficaces. À plusieurs reprises, des homologues leur disaient que leurs recherches n’allaient mener nulle part. Même s’ils allaient à contre-courant de cette opinion dominante et malgré le contexte de coupes budgétaires massives qui ont eu pour effet de les priver de plus d’un tiers des ressources de leur programme, ils ont obstinément continué d’avancer. Ils ont finalement été en mesure de prouver leur théorie et de guérir des patients souffrant de la maladie au cours de la dévastatrice épidémie d’Ebola, en Afrique de l’Ouest.

« Nous n’avons jamais abandonné », assure la Dre Qiu, qui dirige actuellement la section de développement de vaccins et de traitements antiviraux du Programme des pathogènes spéciaux du laboratoire. Son principal champ d’études est l’immunologie, en combinaison avec la recherche sur le développement de vaccins, les traitements post-exposition et le diagnostic rapide de virus hémorragiques à haut risque, comme le virus Ebola.

« Le traitement par anticorps avait jusque-là échoué. Ils ne croyaient pas que ça fonctionnerait; nous avons prouvé le contraire », -Dre. Xiangguo Qiu.

« L’idée est très simple. Le défi était de la concrétiser », ajoute le Dr Kobinger, qui est maintenant professeur au Département de microbiologie-infectiologie et d’immunologie, et directeur du Centre de recherche en infectiologie de l’Université Laval, à Québec. Son travail porte sur le développement et l’essai de nouvelles plateformes de vaccin et de traitements immunologiques contre les virus émergents et réémergents à haut risque pour la santé publique.

‘Mon but est devenu d’empêcher la mort’

Leur quête d’un traitement contre le virus Ebola a commencé en 2005, lorsque la Dre Qiu, une médecin chinoise venue au Canada en 1996 pour poursuivre ses études supérieures, a commencé à travailler sur les traitements par anticorps. Les anticorps sont des molécules produites naturellement par le corps comme mécanisme de défense contre les infections, tels des missiles dans le sang qui s’attaquent à un pathogène étranger. La Dre Qiu a identifié huit anticorps prometteurs pour reconnaître et attaquer le virus Ebola. En 2008, elle avait réduit cette liste à un « cocktail » de trois anticorps. La clé de la combinaison des anticorps est qu’ensemble, ils ralentissent la progression rapide du virus Ebola, empêchant sa réplication. Cela permet de gagner du temps et de laisser le système immunitaire du corps combattre lui-même l’infection.

« Nous avons pu voir survivre de gros animaux; ils pouvaient être guéris du virus Ebola », précise le Dr Kobinger, qui dirigeait alors le Programme des pathogènes spéciaux du laboratoire de Winnipeg, en collaboration avec la Dre Qiu.

« C’était vraiment un moment eurêka! Le traitement de la maladie à virus Ebola à l’époque était de la science-fiction, parce que le virus tue l’hôte si rapidement. Vous n’avez qu’un délai très court pour tenter d’arrêter le processus  », explique le Dr Kobinger. Originaire de la ville de Québec, il se décrit lui-même comme un « décrocheur de l’école de médecine » qui a passé une année à planter des arbres et à voyager, pour finalement retourner à l’université lorsqu’il est rentré à la maison malade après un voyage en Inde. « J’ai commencé à être fasciné par les virus… Mon but est devenu d’empêcher la mort. »

Les deux chercheurs ont dû travailler avec un budget réduit de 36 pour cent. « Nous avons dû décider quels projets poursuivre et quels projets mettre en veilleuse. La Dre Qiu et moi jugions que cette avenue était prometteuse et que nous devions continuer  », se rappelle le Dr Kobinger, notant qu’une source de financement du projet sur les anticorps fut un programme du ministère de la Défense nationale qui finançait la recherche à haut risque liée au bioterrorisme.

Scientifiques disent que le traitement d’Ebola pourrait fonctionner sur d’autres maladies

Une fois qu’il a été confirmé que les trois anticorps combinés étaient efficaces chez les sujets animaux, le traitement a été développé et le médicament appelé ZMapp a ainsi été mis au point. Il a été utilisé avec succès chez l’homme pour des motifs de compassion et d’urgence pour la première fois en juillet 2014, afin de traiter les missionnaires médicaux américains Kent Brantly et Nancy Writebol. Infectés par le virus d’Ebola alors qu’ils étaient au Libéria, ils ont reçu ZMapp et un suivi médical de pointe pour finalement se rétablir complètement.

« Ma plus grande fierté a été de voir Kent et Nancy survivre », explique le Dr Kobinger. Le traitement a été administré à 28 patients au total infectés par le virus Ebola, et 25 d’entre eux ont été guéris. Pour le Dr Kobinger, le plus grand legs de leur découverte est

« la réponse de la communauté scientifique qu’elle a suscitée : « Attendez, cette approche fonctionne vraiment contre les agents pathogènes infectieux. Si cela fonctionne contre l’Ebola, ça fonctionnera aussi contre beaucoup d’autres virus », a-t-elle réalisé. »

ZMapp est maintenant le précurseur d’une panoplie de recherches similaires menées dans la lutte contre d’autres maladies infectieuses telles que le VIH, la fièvre de Lassa et le virus de Marburg, affirme la Dre Qiu.

« Tant de laboratoires développent des thérapies par anticorps pour d’autres maladies, dit-elle. Je suis très heureuse. Nous n’avons pas seulement trouvé un remède pour le virus Ebola : notre travail a un impact sur toute la communauté scientifique. Il est devenu un modèle pour le traitement de ces autres maladies infectieuses. »

Pour être plus innovateur, le Canada devrait…

… soutenir les jeunes chercheurs parce que c’est en début de carrière que vous viennent toutes ces idées folles. C’est ça, l’innovation. Ce que j’aimerais, c’est aussi voir des organismes de financement prendre des risques, autant de risques que prennent ces jeunes scientifiques. Parce que c’est en poursuivant ce qu’on appelle des idées folles que les nouveaux concepts et les projets transformateurs voient le jour.   —Dr Gary Kobinger

Notre plus grande fierté …

… a été quand le premier patient atteint du virus Ebola a été sauvé par ZMapp.

—Dre Xiangguo Qiu

Mon conseil aux innovateurs est…

Être un innovateur ne se limite pas à avoir une idée, encore faut-il la réaliser. Et pour la concrétiser, il faut ne jamais abandonner et continuer de trouver des solutions. C’est presque une approche au jour le jour… vous voulez juste avoir suffisamment d’idées et de ressources pour le lendemain, chaque jour.

—Dr. Gary Kobinger