La Prince Edward Island BioAlliance a adopté une approche d’équipe afin de résoudre son problème de main-d’œuvre. Voici ce que le reste du Canada peut apprendre.

Le secteur des sciences biologiques de la plus petite province du Canada, en pleine croissance, suscite un vif intérêt de la part des concurrents mondiaux, grâce à une approche innovante d’un problème mondial.

Le dernier plan stratégique de la Prince Edward Island BioAlliance vise un chiffre d’affaires de 500 millions de dollars pour les entreprises de la grappe de haute technologie d’ici 2025. Il prévoit également d’ajouter 1 000 employés aux quelque 2 000 personnes travaillant déjà dans ce secteur à l’Île-du-Prince-Édouard.

Cet objectif implique de recruter des centaines de travailleurs qualifiés sur une île dont la population équivaut à celle d’une banlieue de grande ville. Une rare collaboration entre divers intervenants s’attaque à ce problème de taille grâce à l’Alliance canadienne pour les compétences et la formation en sciences de la vie (CASTL).

Selon les personnes à l’origine de cette initiative, les résultats obtenus sur l’île offrent des exemples importants à suivre pour d’autres régions du Canada qui sont confrontées à des pressions sur la main-d’œuvre qui nuisent à la productivité.


Fondée il y a 17 ans, la PEI BioAlliance est un organisme sans but lucratif qui regroupe et coordonne les efforts d’une soixantaine d’entreprises du secteur des sciences biologiques, de sept organismes de recherche, de partenaires universitaires et d’organismes gouvernementaux afin de créer une grappe concurrentielle.

Chargée d’attirer de nouvelles entreprises du secteur des sciences biologiques, de stimuler les exportations, d’attirer des capitaux privés et de créer de nouveaux emplois, la BioAlliance affiche des chiffres impressionnants. Son impact économique sur l’île a doublé entre 2016 et 2019, où elle a enregistré plus de 260 millions de dollars de revenus.

Pour Rory Francis, directeur exécutif de longue date de la BioAlliance, la base de la réussite actuelle a été posée il y a une dizaine d’années, lorsque les entreprises du secteur privé ont compris qu’elles devraient jouer un rôle de premier plan dans la collaboration avec le gouvernement afin de favoriser le développement de leur secteur sur l’île.

« Nous avions pour mauvaise habitude de demander et d’attendre que les gouvernements règlent notre problème », a-t-il déclaré.

Francis, qui a longtemps été un haut fonctionnaire du gouvernement provincial, a perçu une occasion.

« Vous vous rendez compte de l’écart entre la façon dont nous dépensons l’argent et la façon dont nous le gagnons », a-t-il dit. « À l’instar de la plupart des provinces de l’Atlantique, nous connaissons un déficit et dépendons du gouvernement fédéral pour équilibrer les comptes. Nous ne sommes pas autonomes, alors que nous devrions l’être. J’ai toujours été obnubilé par cette question ».

Il a donc créé la PEI BioAlliance, constituée en 2005 en même temps qu’une nouvelle présence du Conseil national de recherches sur l’île.

Alors sous-ministre du ministère de la Santé de la province, M. Francis a pu orienter le projet dans une direction différente de celle des organismes de défense des sciences biologiques ou des organisations commerciales qui existent ailleurs.

« Je voulais étudier l’idée d’une grappe d’entreprises, dont le conseil d’administration comprendrait des partenaires du monde des affaires, de la recherche, de l’enseignement et du gouvernement », a-t-il expliqué.

« Le fait de voter ou de ne pas voter n’était pas important. Ce qui comptait, c’était que chacun adhère à une stratégie et s’engage à faire ce qui était nécessaire. »

Cette décision s’est avérée des plus judicieuses.

Cette dynamique a récemment abouti à une solution locale à un problème auquel sont confrontés les employeurs du monde entier : la pénurie de main-d’œuvre qualifiée.

M. Francis a anticipé le défi, après une décennie d’enquêtes trimestrielles sur les conditions du marché du travail. Pendant des années, les experts ont lancé des avertissements au sujet du vieillissement de la population sur l’île et dans tout le pays et de la collision entre ce vieillissement et un secteur de plus en plus à la recherche de talents.

Ces dernières années, ces enquêtes ont révélé l’impact de la croissance du secteur sur l’île. Chaque année, quelques centaines de nouveaux emplois spécialisés s’ajoutent aux quelque 2 000 personnes qui travaillent déjà dans ce secteur à l’Île-du-Prince-Édouard.

« Pour une base de population comme la nôtre, la situation devenait difficile, et nous assistions à une augmentation du phénomène des « chaises musicales » et des employés passant d’une entreprise à l’autre », a déclaré M. Francis. « Autour de notre table, nous nous sommes dit que nous pouvions rester assis à nous plaindre ou que nous pouvions faire quelque chose ».

Leur solution a été la création de l’Alliance canadienne pour les compétences et la formation en sciences de la vie.

Le concept n’est pas tant de réinventer la roue que d’adopter une roue qui fonctionne déjà dans d’autres pays, a déclaré Penny Walsh-McGuire, directrice générale de CASTL.

Le programme d’études provient du National Institute for Bioprocessing Research and Training (NIBRT) de Dublin, qui fournit une grande partie de la main-d’œuvre qualifiée requise par le secteur irlandais des sciences de la vie, leader mondial.

« Le gouvernement irlandais a soutenu le secteur de manière significative, et dix des plus grandes entreprises pharmaceutiques sont basées dans la région », a déclaré Mme Walsh-McGuire. « Le NIBRT forme les talents qui travaillent dans ce secteur et en fait l’un des secteurs les plus importants du pays. »

Francis a perçu le même potentiel pour l’Île-du-Prince-Édouard et a convaincu les gouvernements des deux côtés de l’Atlantique de permettre à la BioAlliance d’acheter les droits exclusifs du programme d’études de NIBRT pour le Canada.

Deux ans plus tard, CASTL utilise le programme d’études pour mettre en place trois volets de programmes conçus en étroite collaboration avec le secteur et les universités de l’Atlantique afin de répondre à la demande sans précédent de main-d’œuvre dans ce secteur.

Le premier volet, intitulé « Nouvelles compétences », vise les écoles postsecondaires qui offrent déjà des programmes de biotechnologie ou de génie médical CASTL propose son programme d’études à l’université pour l’intégrer aux cours existants, ce qui permet aux éducateurs d’apporter facilement des changements à leur offre de cours.

Dans un deuxième volet, intitulé « Renouvellement des compétences », des groupes de 20 habitants de l’île sans emploi ou sous-employés ayant une certaine expérience des sciences ou de la biofabrication suivent un cours intensif de 12 semaines. Le programme, tous frais payés, les prépare entièrement à des postes de techniciens de production de premier niveau dans le secteur.

Selon Mme Walsh-McGuire, les participants qui possèdent un diplôme scientifique quelconque mais qui ne travaillent pas dans le domaine sont des candidats idéaux Les nouveaux arrivants, dit-elle, représentent environ 60 % des inscrits jusqu’à présent.

Le programme est entièrement financé par le gouvernement, à raison de 10 000 à 12 000 dollars par participant. Des subventions couvrant les frais de déplacement et de garde d’enfants sont offertes afin de réduire les principaux obstacles à la participation.

La demande pour ce programme est impressionnante, chaque groupe recevant généralement plus de 70 candidatures. À la fin du programme de 12 semaines, trois étudiants sur quatre ont reçu une offre pour un premier emploi de technicien, souvent rémunéré de 18 à 20 $ de l’heure et ouvrant la voie à des postes plus élevés, a indiqué Mme Walsh-McGuire.

Mary Hunter, directrice du développement de la main-d’œuvre de la province, a fait part de sa grande satisfaction quant aux profils des habitants de l’Île qui profitent du programme. Il a attiré des personnes d’âges, de nationalités et de sexes différents, et a permis à des travailleurs sans diplôme ni compétence de participer pleinement à l’économie de l’île.

Le projet pilote initial est devenu une solution permanente, a déclaré M. Hunter. Parmi les entreprises concernées figurent de grands fabricants qui, ces dernières années, ont connu des difficultés accrues pour trouver les bons travailleurs qualifiés, ainsi que des petites et moyennes entreprises de la BioAlliance qui ressentent de plus en plus les mêmes pressions.

Le dernier volet est consacré au perfectionnement des personnes déjà employées dans le secteur, afin de répondre aux besoins en travailleurs plus qualifiés et expérimentés.

Mme Walsh-McGuire a indiqué qu’une collaboration étroite entre les partenaires du secteur et de l’éducation est essentielle CASTL collabore étroitement avec les partenaires du secteur, et exige des informations actualisées sur les emplois disponibles et les compétences nécessaires, ainsi que sur la manière de recruter.

Un autre élément clé du programme tient au fait que les personnes qui enseignent possèdent souvent une expérience de la biofabrication dans le secteur privé, a-t-elle ajouté. Les instructeurs sont généralement des personnes en fin de carrière qui souhaitent apporter leur contribution au secteur.

Surita Maddox, directrice générale de la région de l’Atlantique à Innovation, Science et Développement économique Canada (ISDE), a déclaré que la vision de M. Francis d’un « triangle » codépendant a été la clé de sa réussite. Ce triangle réunit le gouvernement, le secteur et les associations, ainsi que les partenaires universitaires, qui collaborent au développement du secteur.

Cette dépendance a permis à tous les angles du triangle de s’épanouir, dit-elle, plutôt que d’être entraînés par la compétitivité du secteur privé, les caprices politiques et les querelles de personnalités.

« Les relations sont extrêmement importantes dans notre province », a déclaré Mary Hunter, du ministère de la Croissance économique, du Tourisme et de la Culture de l’Île-du-Prince-Édouard.

« Nous sommes une population d’un peu plus de 160 000 habitants. Nous sommes fiers d’entretenir des relations solides ».

Stefanie Corbett l’a vécu de près, immédiatement après être devenue directrice générale d’Innovation PEI, la société d’État dédiée au développement économique et un partenaire clé de la BioAlliance.

« Vingt-quatre heures après l’annonce de ma nomination, Rory Francis a été la première personne à me contacter, à part pour me féliciter, et à demander une réunion», a-t-elle déclaré.

« La BioAlliance fait un excellent travail de communication, et c’est quelque chose que les autres secteurs pourraient apprendre. »

Mme Maddox a abondé dans le même sens, soulignant que la « convergence des objectifs » est en grande partie attribuable au travail de fond de la PEI BioAlliance, et de M. Francis en particulier.

Elle attribue à l’expérience de M. Francis dans la bureaucratie sa capacité de surmonter les caprices des partenaires du secteur et de convaincre des gouvernements de différentes allégeances politiques d’adhérer à la vision à long terme de la BioAlliance.

Tim Wartman, directeur des politiques de l’Île-du-Prince-Édouard à l’ISDE, a également fait l’éloge de l’approche de la BioAlliance.

« Ils ont réussi à envisager les avantages globaux pour le secteur plutôt que de se concentrer sur les avantages pour leur entreprise », a-t-il déclaré. « Attirer un employé ici est positif pour l’ensemble du secteur, et non pour une seule entreprise. »

Hunter salue les réunions trimestrielles ouvertes et transparentes entre l’équipe de M. Francis et son sous-ministre, avec davantage de communication si nécessaire. Cela fonctionne, dit-elle, lorsque le gouvernement n’est jamais surpris par les demandes qui lui sont adressées.

Selon Mme Maddox, il est essentiel que les membres du conseil d’administration accordent la priorité à la collaboration et au respect plutôt qu’à l’ego.

« J’ai travaillé dans une autre région du pays et j’ai également travaillé au siège social pendant environ la moitié de ma carrière », a-t-elle déclaré. « Et si vous disiez cela à quelqu’un d’autre dans une autre région, il serait [surpris]. Au centre de tout cela se trouvent des gens qui se soucient de la croissance du secteur, et pas seulement de leur propres intérêts ».

De son côté, M. Francis a mentionné d’autres dirigeants qui ont donné le ton dès la création de BioAlliance, notamment Regis Duffy, cet insulaire qui a fondé Diagnostic Chemicals Limited et les entreprises dérivées BioVectra et Sekisui Diagnostics.

« [Duffy est] l’homme de la situation, car il travaille toujours au-delà de ses intérêts personnels et tout le monde le sait, ce qui est précieux », a déclaré M. Francis.

La prochaine étape, selon Mme Walsh-McGuire, consistera à appliquer le programme de CASTL à d’autres centres au Canada. Il est en cours de traduction pour être utilisé au Québec, et des discussions sont actuellement menées à travers le pays pour élaborer des programmes de formation pour des secteurs similaires ailleurs.

« Nous avons des nuances et des domaines de spécialité technique qui sont mis au premier plan », a-t-elle dit. « Mais en fin de compte, la formation et les connaissances de base relèvent d’une pédagogie mondiale ».

L’application des connaissances acquises sur l’île à d’autres régions du pays présentant des besoins similaires en matière de main-d’œuvre est potentiellement un atout majeur pour de CASTL, a fait remarquer Mme Maddox.

Sur l’île, la prochaine priorité concerne le premier établissement de formation en fabrication biopharmaceutique de CASTL, qui sera construit dans l’incubateur de fabrication bioscientifique à Charlottetown, à temps pour accueillir un groupe à l’automne.

L’idée, selon Mme Walsh-McGuire, est d’offrir plus d’expériences pratiques aux étudiants et aux stagiaires à plusieurs étapes du processus de perfectionnement.

Stefanie Corbett, d’Innovation PEI, accorde « tout le mérite » des premiers pas de CASTL à M. Francis.

« À l’heure actuelle, il y a une pénurie de main-d’œuvre dans tous les secteurs, et comme ils sont si étroitement liés à ce secteur, ils en sont conscients », a-t-elle déclaré. « Plutôt que de s’asseoir et d’en parler, ils ont élaboré un plan sur la façon dont ils peuvent aider à soutenir et à remédier à cette situation ».

Il est trop tôt pour déclarer que la mission est un franc succès, a déclaré Mme Corbett, mais elle est prête à être patiente.

« Souvent, on ne mentionne pas l’importance de l’aide gouvernementale dont ils ont bénéficié, et le secteur privé aime parfois l’oublier », a-t-elle déclaré. « Mais il est vraiment essentiel que le gouvernement soit là, car sans ce soutien, rien n’aurait été possible ».

Mme Corbett a souligné que l’analyse convenait d’être plus approfondie que le simple comptage des possibilités d’emploi créées.

« Nous avons déjà trop d’emplois. Nous avons besoin d’humains », a-t-elle dit.

« D’un point de vue provincial, nous souhaitons que les salaires augmentent. Le seuil de revenu d’emploi doit bouger. Il s’agit d’une mesure clé de la réussite économique.

« CASTL est un excellent point de départ, et j’ai hâte de voir les résultats obtenus. »