Le potentiel de l’éolien en mer dans le Canada atlantique, associé à une vision ambitieuse qui le considérerait comme un projet national urgent, pourrait transformer la région en superpuissance énergétique.

INTRODUCTION

À moins de 200 kilomètres de la côte de la Nouvelle-Écosse se trouve la légendaire île de Sable, que des générations de marins ont surnommée le « cimetière de l’Atlantique » en raison des innombrables naufrages survenus sur ses récifs sablonneux. Célèbre pour son singulier troupeau de chevaux sauvages qui survivent aux conditions de vie difficiles de l’île depuis plus de 250 ans, ce mince croissant de sable est le seul promontoire du banc de l’île de Sable, un vaste plateau sous-marin. Ici, les vents de l’Atlantique Nord soufflent avec une force et une constance qui pourraient à l’avenir offrir à ces hauts-fonds une autre cause de célébrité : l’énergie renouvelable. En effet, le banc de l’île de Sable figure parmi les meilleurs sites au monde pour la production d’énergie éolienne. Ce banc et plusieurs autres zones dotées de ressources similaires au large de la côte du Canada atlantique ont le potentiel de faire de la région l’un des principaux centres mondiaux de développement de l’éolien en mer.

Le système énergétique mondial, force motrice de la civilisation humaine, en est aux premiers stades d’une profonde transformation : le passage d’une dépendance aux combustibles fossiles à des formes d’énergie qui n’émettent pas de gaz à effet de serre susceptibles d’altérer le climat. Cette révolution offre au Canada atlantique une occasion unique de retrouver une vitalité économique comparable à celle de l’ère de la voile, en s’appuyant à nouveau sur la puissance du vent maritime.

Si le Canada veut atteindre son objectif d’élimination de ses émissions nettes de gaz à effet de serre d’ici à 2050, la Régie de l’énergie du Canada estime que l’éolien devra fournir environ 30 % de l’approvisionnement total en électricité, contre moins de 6 % en 2021. La capacité globale du pays devant plus que doubler, il faudra donc multiplier par 10 la production d’énergie éolienne en moins de trois décennies. Une grande partie de cette production proviendra de parcs éoliens terrestres, mais l’installation de ces centrales entrera inévitablement en conflit avec d’autres utilisations du sol. C’est là qu’intervient l’éolien en mer.

Bien que son littoral soit l’un des plus longs et des plus venteux au monde, le Canada n’a pas encore une seule éolienne en service ou en construction dans ses eaux côtières. Près de 30 pays nous devancent. La mer du Nord, bordée par sept pays européens, abrite à elle seule des milliers d’éoliennes d’une capacité totale de 30 gigawatts (GW) d’énergie éolienne en mer, cette capacité devant être multipliée par cinq d’ici à 2030 (voir l’encadré 1 pour la terminologie). L’expansion rapide de l’éolien en mer dans des territoires comme ceux du Royaume-Uni, de l’Europe et de la Chine illustre la chance historique qui s’offre au Canada atlantique.

Quelle serait l’ampleur du projet? À lui seul, le banc de l’île de Sable pourrait recevoir au moins 1 000 turbines en mer d’une capacité de 15 mégawatts (MW) chacune, ce qui représente environ 70 000 gigawattheures (GWh) d’électricité propre et renouvelable chaque année. C’est suffisant pour alimenter 6,5 millions de foyers canadiens moyens et cela équivaut à près de deux fois l’électricité totale actuellement consommée dans le Canada atlantique chaque année. Le banc de l’île de Sable n’est d’ailleurs qu’un des nombreux sites potentiels de la région. L’éolien en mer pourrait représenter pour le Canada atlantique ce qu’a été le pétrole pour le Texas ou l’hydroélectricité pour le Québec. Il s’agirait non d’un simple progrès, mais d’un progrès phénoménal.

La Feuille de route pour l’énergie propre au Canada atlantique (fédérale et provinciale) a déjà reconnu les possibilités offertes par l’éolien, sur terre et en mer. Le gouvernement provincial de la Nouvelle-Écosse, par exemple, s’est fixé pour objectif d’autoriser une capacité de production en mer de 5 GW d’ici à 2030 et au moins un promoteur a déjà déposé une offre de service.D’autres ont proposé plusieurs projets éoliens terrestres qui produiraient de l’hydrogène « vert » par électrolyse de l’eau, principalement pour l’exportation vers l’Europe. Mais si ces projets ont le potentiel de contribuer à créer un écosystème éolien composé d’infrastructures, de compétences et d’autres capacités, l’hydrogène vert n’est qu’une pièce sur l’échiquier des possibilités en matière d’énergie propre.

Une vision beaucoup plus audacieuse s’offre à nous. Le développement massif de l’énergie éolienne au large des côtes du Canada atlantique peut jouer un rôle majeur dans la réalisation de l’objectif national de décarbonation, tout en jetant les bases du développement économique durable que la région recherche depuis des générations. Au-delà de la garantie d’un approvisionnement en électricité propre pour les Canadiens de l’Atlantique, les avantages pour la région seraient de trois ordres :

  • les activités de la chaîne d’approvisionnement créées pour mettre en place et maintenir un programme d’investissement de plusieurs milliards de dollars sur plusieurs décennies dans la production d’énergie éolienne en mer, qui créera des occasions d’affaires et des emplois dans toute la région (et au-delà);
  • un nouveau flux de revenus provenant de la vente d’électricité à d’autres régions du Canada et éventuellement aux États-Unis;
  • des investissements provenant de divers secteurs industriels à la recherche de juridictions stables disposant de sources d’énergie renouvelable propre de niveau international.

Un tel tournant historique apportera immanquablement son lot de difficultés. On ne risque certes pas de manquer de vent dans l’Atlantique, mais le développement et l’intégration de l’éolien au réseau nord-américain nécessiteront d’énormes quantités de capitaux provenant de sources qui ont de nombreuses occasions d’affaires urgentes et concurrentes dans le monde entier. Par ailleurs, bien que l’implantation de centrales éoliennes puisse avoir lieu dans une vaste zone océanique, il faudra tenir compte à la fois de considérations environnementales et d’utilisations actuelles comme la pêche et la navigation. L’expérience d’autres pays montre qu’il est possible de le faire.

Le Canada est à la traîne. Jusqu’à récemment, notre riche dotation en combustibles fossiles et en énergie hydroélectrique nous disposaient peu à rechercher des solutions de remplacement. Aujourd’hui, alors qu’il reste peu de sites où implanter de nouvelles grandes centrales hydroélectriques et que le pays s’est engagé à décarboner, les priorités du Canada en matière de développement énergétique ont radicalement changé. Heureusement, la course mondiale au développement de l’éolien en mer ne fait que commencer, et se lancer à la suite des premiers comporte des avantages : pouvoir tirer des leçons des autres, adopter des innovations, réaliser des économies d’échelle et éviter des impacts négatifs. Mais le sentiment d’urgence doit se renforcer. L’horloge climatique mondiale tourne. La transformation énergétique prend de l’ampleur et les contrats à long terme pour les intrants essentiels sont en cours de signature. Un retard d’un an aujourd’hui peut entraîner un retard de plusieurs années dans la réalisation des projets. Les processus sclérosés de réglementation et d’autorisation du Canada ne sont pas compatibles avec l’urgence du défi à relever et de la chance à saisir. La lutte contre le changement climatique devenant de plus en plus pressante, le Canada doit transformer ses ressources éoliennes inépuisables en électricité renouvelable à l’infini. Il nous faudra plus d’ambition et même de l’audace.

Le présent texte s’appuie sur les nombreux travaux déjà en cours et présente l’éolien en mer comme une opération vraiment transformatrice, capable de changer la donne en assurant un avenir prospère aux Canadiens de l’Atlantique. Bien qu’il soit impossible d’évaluer les besoins précis et de faire des recommandations politiques détaillées dans un seul document, ce texte donne un aperçu du rôle prépondérant de l’éolien dans le virage énergétique mondial et expose les possibilités particulières qui s’offrent au Canada atlantique. La dernière partie traite du marché potentiel de l’éolien en mer pour le Canada atlantique, de sa compétitivité sur le plan des coûts, des exigences du développement d’une chaîne d’approvisionnement régionale capable de soutenir un déploiement à grande échelle et, enfin, de la nécessité d’une politique de soutien et d’un environnement réglementaire.

Il s’agit de notre contribution à une vision beaucoup plus audacieuse et nécessaire de l’énergie propre.