Sean Speer s’interroge : « La revanche des régions laissées pour compte » influence-t-elle la politique canadienne?
Combler le fossé entre les régions urbaines et rurales au CanadaSean Speer est le lauréat de la Bourse des premiers ministres du Canada du FPP.
La victoire inattendue de Donald Trump aux élections de 2016 est parfois qualifiée de « revanche des régions laissées pour compte ».
De quoi s’agit-il? La théorie veut que les électeurs provenant des villes et des villages américains aux prises avec des difficultés économiques se sentent négligés par la politique traditionnelle et qu’ils se soient vengés des élites économiques et politiques en contribuant à l’élection de Trump.
Les véritables motivations sont impossibles à cerner, mais les données économiques fondamentales soutiennent largement cette théorie. Examinons les données suivantes :
- Les circonscriptions qui ont connu de grandes perturbations en raison des importations chinoises et mexicaines ont appuyé Trump de façon disproportionnée. On estime qu’une hausse d’un point dans la concurrence relative aux importations chinoises s’accompagne d’une hausse des appuis à Trump de 2,9 % par rapport à la moyenne historique du soutien aux candidats républicains de la circonscription.
- Les électeurs des régions qui ont connu une importante baisse dans le nombre d’établissements commerciaux entre 2012 et 2016 ont été beaucoup plus nombreux à voter pour Trump qu’ils ne l’avaient été pour Mitt Romney, le candidat républicain à l’élection de 2012.
- Les circonscriptions qui ont voté pour Barack Obama en 2008 et en 2012, mais qui sont passées dans le camp de Trump en 2016 accusent un retard selon divers indicateurs économiques, notamment en ce qui a trait au nombre d’entreprises en démarrage et à la croissance de l’emploi.
- Les quelque 500 circonscriptions que Hilary Clinton a remportées en 2016 génèrent 64 % du rendement économique des États-Unis. Celles de Trump, soit plus de 2 600, ne représentent que 36 % de l’économie américaine.
- Neuf des dix États affichant les taux d’activité les plus faibles ont voté pour Trump. Et, parmi les cinq États qui sont passés dans le camp républicain en 2016, trois ont vu leur taux d’activité baisser et les deux autres l’ont vu stagner.
Le lien qui existe entre le niveau de difficulté économique d’une région et le soutien au président est donc assez solide. L’argument voulant que le résultat de l’élection de 2016 soit une manifestation de l’anxiété, du désespoir et de la frustration des « régions laissées pour compte » semble difficile à réfuter. On en vient à s’interroger au sujet du Canada :
Comment se porte notre économie selon ces différents indicateurs? Note-t-on une bifurcation semblable en fonction de la région? La politique canadienne serait-elle influencée par la revanche de nos propres villes et villages qui peinent à tirer leur épingle du jeu dans le contexte économique moderne?
Il est important de s’appuyer sur des données factuelles comme point de départ pour répondre à ces questions. Un examen superficiel montre que l’économie du Canada est marquée de façon semblable par des résultats qui diffèrent selon la région. Examinons simplement les données suivantes :
- Plus de 60 % de la production économique du Canada et de l’emploi au pays proviennent des villes de 500 000 habitants ou plus. À elle seule, Toronto en génère 20 %. Ajoutez Montréal et Vancouver, et ce nombre grimpe à 37 %.
- L’emploi dans les villes rurales canadiennes est toujours en deçà des niveaux d’avant la récession de 2008-2009 et pourtant, il est en hausse de près de 15 % dans les plus grandes villes.
- Le taux d’emploi chez les hommes en âge de travailler (de 25 à 54 ans) est inférieur de plus de 5 points de pourcentage dans les collectivités rurales par rapport aux centres urbains.
- Le taux de soutien (taux faisant référence au nombre de personnes qui dépendent de transferts gouvernementaux) est 2,8 fois plus élevé dans les régions rurales de l’Ontario que dans les régions urbaines de la province.
La liste est longue. Le fossé économique entre les régions urbaines et rurales du Canada est considérable. Le portrait global ne semble pas très différent de celui qui a contribué à l’élection de Trump.
Cela devrait servir d’avertissement aux décideurs politiques canadiens. La leçon à retenir est que nous ne pouvons pas nous permettre que les collectivités en difficulté en viennent à la conclusion qu’elles ne comptent pas. Établir et promouvoir un programme politique afin d’accroître les débouchés et l’emploi dans les régions en marge de notre économie est la meilleure façon de leur montrer qu’elles sont réellement importantes. Cette tâche me semble être le plus important exercice d’économie politique qui attend ce pays.
À titre de nouveau boursier des premiers ministres du Canada du FPP, je suis reconnaissant de pouvoir contribuer à cette tâche. Au cours des prochains mois, je produirai une série de commentaires et d’articles (lesquels comprendront de nouvelles données de sondage), je me rendrai dans différents centres urbains et localités rurales pour mieux comprendre l’ampleur du fossé entre les milieux urbains et ruraux de notre pays, et j’élaborerai un programme politique susceptible de le combler.
Notre travail sera transversal et touchera à un grand nombre de domaines, y compris l’éducation, la compétitivité, l’avenir de l’emploi et la réconciliation avec les peuples autochtones.
L’objectif consiste à établir un programme politique qui s’appuie sur différents leviers afin de stimuler l’activité économique dans nos collectivités en difficulté et, à terme, de créer les conditions propices à une prospérité commune dans l’ensemble du Canada.
Mais il ne sera pas uniquement question de politiques publiques. Il faudra cultiver une plus grande empathie grâce à une compréhension commune des cultures urbaines et rurales, des perspectives et des défis qui se dessinent dans les différentes régions, ainsi que des valeurs et des aspirations communes qui nous animent. On pourrait envisager le projet comme une occasion de favoriser le dialogue entre les populations canadiennes des milieux urbains et celles des milieux ruraux.
Une bonne partie de nos efforts consistera à aller visiter différentes régions afin de mieux comprendre comment les Canadiens et Canadiennes vivent, ce qu’ils pensent et ce qu’ils ressentent.
Nous découvrirons le festival du pétoncle (Scallop Days) de Digby, en Nouvelle-Écosse et sa réputation non officielle de « capitale mondiale du pétoncle » ainsi que l’économie florissante et le sentiment d’optimisme envers la collectivité de Moose Jaw, en Saskatchewan. Nous en apprendrons davantage sur le fait invraisemblable qu’il y a plus de réfugiés syriens par habitant à Fredericton, au Nouveau-Brunswick, que n’importe où ailleurs au Canada et sur les difficultés que traverse Port McNeill, en Colombie-Britannique, relativement aux importantes pertes d’emplois dans le secteur forestier.
Nous nous intéresserons à la réputation de Montréal comme « capitale culturelle du Canada » et aux défis grandissants auxquels fait face Toronto en matière de développement continu, de ségrégation socioéconomique et de violence liée aux bandes criminelles et aux armes à feu.
Et, bien entendu, nous visiterons ma ville natale, Thunder Bay, afin de voir comment elle compose avec les possibilités et les défis relatifs à la transformation économique et à la réconciliation avec les peuples autochtones.
Il est essentiel de combler le fossé entre les régions urbaines et rurales du Canada pour éviter le type de polarisation qui se reflète dans la politique et la société américaines. Nous espérons que ce projet contribuera à une plus grande inclusivité économique et politique au pays. L’objectif ultime doit être de s’assurer que toutes les personnes et toutes les régions se sentent importantes.
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Le FPP remercie la Fondation RBC d’avoir accordé son soutien à la Bourse des premiers ministres du Canada.