Le financement des partis au Canada : de nouveaux défis perpétuels
Suite à la table ronde organisée par le Forum des politiques publiques et Élections Canada sur le financement politique au Canada en octobre 2017, les participants ont invité à écrire un article au sujet de la conversation et ce qu’ils en pensaient.
Par Pauline Beange, Ph. D., enseignante, Université de Toronto
Aucune réponse ne s’impose comme une évidence quant au montant qui devrait être dépensé pour contester une élection. Après tout, une élection constitue le moment sur une période de quatre ans où l’on demande aux citoyens collectivement de réfléchir, de délibérer et d’évaluer le parti et le dirigeant qui agira vraisemblablement dans l’intérêt des Canadiens pour les quatre années suivantes. Les coûts liés à l’accès à l’information et la capacité à communiquer sur des sujets qui suscitent de vives émotions ne sont pas mesurables. La législation et l’application de la loi doivent être suffisamment strictes pour restreindre toute influence indue, mais suffisamment souples pour tenir compte des nouvelles méthodes de communication légitimes.
Le Parlement et les tribunaux canadiens ont déterminé que certaines dispositions relatives aux dépenses, au financement et au remboursement des dépenses respectent la Charte canadienne des droits et libertés. Les défis qui se présentent actuellement aux législateurs et aux organismes de surveillance électorale canadiens ne touchent pas l’extrême corruption ou le remplissage frauduleux des urnes, mais plutôt des réponses appropriées à des influences plus subtiles en constante évolution.
Quelques‑uns des points abordés lors de la table ronde d’octobre 2017 seront examinés ci‑dessous :
- l’augmentation de la publicité des « tiers » ou des intervenants autres que les partis dans les élections fédérales et provinciales;
- l’apport de fonds étrangers aux tiers;
- le caractère adéquat du financement actuel des partis politiques, des candidats et des associations locales pour communiquer avec un électorat très diversifié dans l’environnement chargé des médias sociaux;
- les avantages et les coûts d’une communication plus détaillée de l’identité des donateurs et d’une publication en ligne plus rapide des contributions apportées par tous les intervenants.
Plusieurs ont remarqué l’augmentation du nombre de tiers, des montants dépensés et de l’étendue des activités des tiers avant le déclenchement des élections fédérale et provinciale depuis 2006, alors que toutes les contributions de syndicats et d’entreprises aux partis politiques fédéraux étaient interdites. Les récentes activités des tiers remettent en question tant la primauté des partis politiques que la pertinence des activités réglementaires après le déclenchement de l’élection, mais non avant. Avant les élections à date fixes, il ne valait généralement pas le coût d’engager des dépenses avant le déclenchement de l’élection. Toutefois, maintenant que l’élection se tient à une date précise, il est plus avantageux d’engager des dépenses avant le déclenchement d’une élection fédérale pour attirer l’attention des électeurs sur certains enjeux. Une autre source de préoccupations se pose quant à la provenance des fonds obtenus par les tiers et la façon dont ces fonds sont obtenus. Les partis politiques canadiens, à l’échelon fédéral, n’ont pas le droit d’accepter des contributions de sources étrangères. Par contre, les tiers ou les groupes de revendication ne sont pas assujettis à de telles contraintes.
Les plafonds de dépenses actuels (et par conséquent, les plafonds de contributions) pour les partis fédéraux sont peut-être insuffisants pour la tâche de communiquer avec un électorat diversifié dans l’univers des médias en ligne qui peuvent diffuser des nouvelles mal documentées ou de « fausses » nouvelles. La subvention par vote accordée aux partis qui a été abolie en 2015 était apparemment trop généreuse, et permettait aux partis de faire un minimum d’efforts et de se déresponsabiliser à l’égard de leurs électeurs et de leurs donateurs; personne n’a recommandé la réintroduction des subventions. Malgré l’interdiction visant les contributions des syndicats et des entreprises qui s’applique aux partis depuis 2006, aucune augmentation appréciable de la confiance des électeurs n’a été observée. Parmi les options viables, il pourrait être permis aux partis fédéraux de déclarer jusqu’à 30 % de leurs revenus de toute année à venir comme provenant de contributions d’entreprises et de syndicats, et ces déclarations pourraient se faire chaque mois. Sachant que moins d’un tiers de leurs revenus proviendraient des contributions d’entreprises et de syndicats, les partis pourraient travailler encore plus fort pour amasser le reste auprès des particuliers, se responsabiliser et faire preuve d’une grande transparence. Ces contributions seraient évidemment surveillées de près dans les médias sociaux et traditionnels.
La législation actuelle comprend des exigences de rapport différentes pour les entités politiques et les tiers. Une communication normalisée et plus rapide pour les partis, les candidats, les associations locales et les tiers tout au long d’une campagne électorale, plutôt qu’après, est une solution stratégique réalisable. La communication d’information pendant la campagne permettrait peut‑être d’aborder les questions de l’influence indue et des électeurs frustrés que tous les rapports exigés soient publiés trop tard pour qu’ils puissent en tenir compte lorsqu’ils votent. La saisie de données dans des bases de données en ligne accessibles ne devrait pas poser de problème insurmontable aux organisations. Les échéances de communication prévues dans la législation actuelle semblent dépassées lorsqu’on considère la publication en temps réel des événements à laquelle s’est habitué un électorat à l’aise avec les médias.
Une communication rapide est foncièrement intéressante et réalisable, mais certaines questions se posent. Premièrement, les partis politiques canadiens fonctionnent grâce à des bénévoles – une force notable en comparaison des autres modèles de partis. La déclaration des transactions financières ne devrait pas exiger davantage de personnel rémunéré par les partis ou les associations de circonscription. Deuxièmement, des personnes issues de certains groupes ethniques sont réticentes à ce que leur nom et leur adresse soient publiés en raison d’une discrimination exercée par ce groupe. Un débat parlementaire pourrait aborder ces préoccupations.
Une élection est une quête de pouvoir : une élection sera à coup sûr chaudement disputée, et c’est bien là le signe d’une vibrante démocratie. Aucun système de financement des partis n’est neutre pour tous les intervenants politiques. Les législateurs et les tribunaux ont toujours été prudents dans leurs tentatives de contrôler le rythme et le caractère compétitif des élections, et ils devraient continuer ainsi. Les efforts devraient plutôt être concentrés sur les effets à long terme et la sensibilisation à la réalité d’un réseau d’institutions – lois, organismes, médias libres, etc. – qui interagissent afin de préserver la tradition canadienne d’élections libres et justes.