L’économie du Canada a connu ses hauts et ses bas, ses effondrements, ses échecs et ses récessions, mais comment peut-on mesurer les répercussions sur les entreprises d’un pays qui a tout simplement cessé de travailler et qui a intentionnellement fermé son économie pour arrêter la propagation de la COVID-19?

Ziad Shadid était perplexe. L’économie du Canada a connu ses hauts et ses bas, ses effondrements, ses échecs et ses récessions, mais comment peut-on mesurer les répercussions sur les entreprises d’un pays qui a tout simplement cessé de travailler et qui a intentionnellement fermé son économie pour arrêter la propagation de la COVID-19?

Shadid est le directeur général de Statistique Canada des services Agriculture, Énergie, Environnement et Projets spéciaux pour les entreprises. À ce poste, il est au centre de la recherche de moyens pour suivre la façon dont les entreprises se portaient pendant la pandémie du siècle qui bouleversait les Canadiens et Canadiennes, leur comportement et l’économie.

L’organisme de statistiques a été inondée de demandes et de requêtes frénétiques d’entreprises, de gouvernements et de chercheurs après que le premier ministre Justin Trudeau a ordonné la fermeture des entreprises et demandé aux Canadiens et Canadiennes de rester chez eux.

Cette période sera pour les historiens un objet d’étude pour les années à venir. Jamais le Canada, et une grande partie du monde, n’avait fermé l’économie. Il n’y avait pas de guide pour mesurer les répercussions de cette fermeture permettant d’aider à orienter les gouvernements et les entreprises vers une reprise.

Statistique Canada dispose de nombreux outils pour mesurer l’économie, que l’emploi ait augmenté ou diminué, ou que la taille du PIB ait augmenté ou diminué, mais l’organisme ne possédait pas d’outils pour mesurer les répercussions d’une mise en hibernation délibérée de l’économie sur les entreprises, a déclaré M. Shadid.

« C’étaient des questions très fondamentales, mais à ce moment-là, il était très difficile pour quiconque de comprendre réellement les répercussions sur les entreprises de la fermeture d’une économie toute entière », a-t-il ajouté.

« Nous disposons de peu d’outils pour mesurer un tel phénomène parce que nous traversons une situation sans précédent pour laquelle nous n’avons aucune base de comparaison.  Ce n’est pas comme si l’économie traversait une mauvaise phase ou était en recul. Cette situation est incomparable car nous n’avons jamais fermé l’économie intentionnellement », a expliqué M. Shadid.

Du jour au lendemain, l’organisme de statistiques du Canada, vieux de 102 ans, a été bombardée de questions pour lesquelles il n’avait pas de réponses ni d’outils pour aider à les trouver rapidement. Pourtant, en quelques jours, Statistique Canada a lancé deux nouveaux outils de collecte pour aider à combler les lacunes en matière de données sur les répercussions économiques et sociales de la COVID-19 sur les Canadiens et Canadiennes – panels en ligne et enquête participative.

Quatre semaines plus tard, M. Shadid dirigeait une équipe qui avait pour tâche de déterminer ce que les entreprises et les décideurs politiques devaient savoir immédiatement, et a publié l’Enquête canadienne sur la situation des entreprises, la première d’une série pour aider à raconter comment les Canadiens et Canadiennes vivent la pandémie.

« Nous devons voir ce qui se passe sur le terrain », a déclaré Patrick Gill, directeur principal des politiques fiscales et financières de la Chambre de commerce du Canada, qui a collaboré avec Statistique Canada à l’enquête.

« Nous savons que la fermeture de l’économie à un niveau macro fera chuter le PIB, mais que se passe-t-il sur la place publique? C’est là que cette enquête entre en jeu. Et nous devions agir rapidement ».

Entre-temps, Karen Mihorean, directrice générale de Perspectives sociales, intégration et innovation de Statistique Canada, se préparait à tester l’utilisation des panels en ligne pour recueillir des renseignements sur les Canadiens et Canadiennes sur une série de sujets.

Les enquêtes par panel en ligne ont été conçues pour être rapides, courtes et en ligne – un changement radical par rapport aux enquêtes traditionnelles de 45 minutes effectués en personne ou par téléphone, que les Canadiens et Canadiennes trouvent de plus en plus fastidieux.

Son équipe avait sélectionné environ 7 200 Canadiens et Canadiennes pour tester l’enquête lorsque le pays a été plongé dans le confinement et que le personnel de Statistique Canada – ainsi que le reste de la fonction publique fédérale – a été envoyé à la maison pour travailler à distance.

Elle a changé d’approche : une enquête pilote sur le comportement d’achat en ligne s’est rapidement transformée en une série de questions de base sur les répercussions de la pandémie sur les Canadiens et Canadiennes et sur leur santé. La Série d’enquêtes sur les perspectives canadiennes voyait le jour et en était à sa sixième vague de collecte de données à l’automne.

Ces nouveaux outils se sont révélés essentiels pour aider Statistique Canada à combler les lacunes en matière de données sur les inégalités raciales, sociales et économiques  qui, de l’avis de beaucoup, entravent les efforts de gestion de la pandémie. De telles inégalités ont été douloureusement révélées par la COVID-19, particulièrement parmi les minorités visibles, les immigrants, les aînés et les Autochtones.

En plus d’une demande insatiable de données, Statistique Canada a dû répondre à un changement radical de l’attitude du public à l’égard de l’injustice raciale et sociale au moment où le monde criait sa colère dans les manifestations de Black Lives Matter après le décès de George Floyd, un Afro-américain mort aux mains de policiers en mai.

« La pandémie a clairement mis en lumière les inégalités existantes dans la société canadienne et antérieures à la COVID-19 », a déclaré la statisticienne en chef adjointe, Lynn Barr-Telford, qui dirige le service de la statistique sociale, de la santé et du travail de l’organisme.

Elle a fait savoir que Statistique Canada recueillera plus de « données ventilées et granulaires » pour aider les décideurs politiques à mieux « comprendre les diverses expériences des divers groupes de Canadiens et Canadiennes ».

Statistique Canada a abordé sur plusieurs fronts la question des données fondées sur la race. Elle a ajouté d’autres questions sur l’ethnicité dans ses enquêtes participatives et a lancé une enquête distincte sur la discrimination afin de déterminer les inégalités auxquelles font face les personnes – que ce soit par race, ethnicité, âge ou en tant que membres de la communauté LBGTQ.  En juillet, elle a révisé son Enquête sur la population active canadienne, vieille de 70 ans, en y ajoutant d’autres questions sur la race et l’ethnicité.

« Raconter l’histoire de la COVID-19 sur le marché du travail en utilisant nos moyens traditionnels et notre récit traditionnel n’aurait tout simplement pas suffi », a déclaré Mme Barr-Telford.

« Nous devions vraiment adapter notre façon de considérer le marché du travail, la façon dont nous utilisons nos mesures existantes, les compléter et ajouter d’autres types de renseignements pour mieux en suivre les répercussions. Bref, c’était important pour Statistique Canada parce que cela reflète notre parcours de modernisation, mais également parce qu’il est essentiel pour le Canada de disposer de renseignements plus actuels et plus granulaires pendant une pandémie. »

En conséquence, ses méthodologistes, ses analystes et ses experts en la matière ont cherché de nouvelles données en utilisant de différentes façons les ensembles de données existants. Ils ont intégré et apparié les données de nouvelles enquêtes, d’enquêtes régulières et des données administratives de Statistique Canada pour fournir aux décideurs politiques des données qu’ils ne possédaient pas auparavant.

« Nous disposons de peu d’outils pour mesurer un tel phénomène parce que nous traversons une situation sans précédent pour laquelle nous n’avons aucune base de comparaison.  Ce n’est pas comme si l’économie traversait une mauvaise phase ou était en recul. Cette situation est incomparable car nous n’avons jamais fermé l’économie intentionnellement. » – Ziad Shadid, Statistique Canada

La pandémie a également donné à Statistique Canada l’occasion de mettre en valeur les efforts de sa modernisation ambitieuse en racontant en temps réel l’histoire des Canadiens et Canadiennes vivant avec le coronavirus.

Pour de nombreux ministères, la COVID-19 a déclenché le genre d’innovation que le gouvernement a tenté sans succès de mettre en œuvre pendant des années à travers diverses réformes. Pour lutter contre la pandémie, les bureaucrates sont soudainement devenus créatifs et ont pris des risques. Ils ont développé de nouveaux programmes, des applications, des logiciels, des processus ou des systèmes réorganisés à la volée.

Mais Statistique Canada, un organisme indépendant, était déjà en plein dans l’innovation, dans le cadre d’un ambitieux plan de modernisation lancé il y a trois ans pour restaurer la pertinence de l’organisme dans un monde où abondent les nouveaux renseignements et les données.

Depuis lors, l’organisme s’est efforcé de trouver de nouveaux moyens de fournir des renseignements plus rapidement et à moindre coût sans sacrifier la qualité des données, et la COVID-19 a fourni l’occasion d’un essai qui établira sans doute une nouvelle norme pour les organismes statistiques du monde entier.

Au cours des six premiers mois de la pandémie, Statistique Canada a pu lancer, collecter, analyser et diffuser des données provenant de six panels en ligne et de huit initiatives d’enquête participative – une vitesse vertigineuse par rapport aux mois ou aux années que prenait une seule enquête.

L’enquête traditionnelle qui peut prendre une année ou plus – du début à la fin et coûter plus d’un million de dollars – a cédé la place ces dernières années à des « statistiques rapides » recueillies en trois ou quatre mois pour la moitié du coût. Les panels en ligne ont réduit ce délai d’encore plusieurs mois et ont fourni des résultats en trois semaines. Le seul coût important est le questionnaire, qui coûte environ 150 000 dollars.

Une nouvelle méthode de collecte de données n’est pas aussi simple que la rédaction d’un questionnaire et l’envoi par courriel d’un lien à remplir. Des experts de chaque division des différents domaines de l’organisme sont appelés à rédiger les questions, à concevoir et développer, à coder, à tester, à valider, à distribuer, à collecter et à analyser les réponses.

Leila Boussaïd, directrice des opérations et de l’intégration de Recensement, Services régionaux et Opérations, dont la branche a développé à la volée 30 enquêtes sur la COVID-19, a déclaré que les innovations allaient bien au-delà de la collecte de données. Elle a précisé que les processus internes pour développer, construire, collecter des données et la façon dont les équipes travaillent et collaborent devaient également être revus – un travail qui a commencé dans le cadre du plan de modernisation mais qui a été accéléré pour que les enquêtes liées à la COVID-19 soient rapidement mises en place.

C’est un exploit dont les gestionnaires de Statistique Canada s’émerveillent encore. Des milliers d’employés ont été renvoyés chez eux sans équipement, avec des connexions réseau instables, travaillant la nuit et en fin de semaine, et beaucoup se retrouvant dans des tâches qu’ils n’avaient pas l’habitude de remplir. Plus besoin de faire du porte-à-porte pour les enquêtes; des centaines d’enquêteurs ont dû être désignés pour travailler à domicile.

Cette option signifiait faire des économies, brûler des étapes, changer et même abandonner des processus, ce qui peut être difficile pour des statisticiens pointilleux, qui ont réussi à réaliser des enquêtes en un temps record.  Elle a également soulevé la question de savoir combien de ces processus étaient d’ailleurs vraiment nécessaires.

Et cela a fait peser une lourde charge sur la direction qui a dû gérer les risques tout en encourageant le personnel à les prendre. Il incombait aux gestionnaires de prendre leurs responsabilités et « d’assumer » les risques qu’ils demandaient à leurs équipes, a déclaré Larry MacNabb, directeur du Centre de l’intégration et du développement des données sociales.

« S’il y avait trop de tergiversations et d’hésitations, j’assumais tout simplement la décision et cela permettait aux gens d’avancer », a-t-il ajouté.

« J’ai dit à mes patrons que si nous avons pu faire cela aussi rapidement, c’est grâce à des personnes. Elles se sont consacrées à cette tâche et ont fait tout ce qu’il fallait pour que cela se réalise. Nous avons résolu ce problème grâce à notre personnel, et non grâce à nos outils. »

L’ensemble des efforts a permis d’accélérer le plan de modernisation de l’organisme de deux ans. Comme l’a relevé un statisticien : « nous réalisons aujourd’hui ce que nous avions prévu d’essayer dans un an. »

Selon de nombreux statisticiens, méthodologistes et analystes interrogés, le processus de modernisation en cours chez Statistique Canada depuis quelques années peut difficilement être dissocié de la riposte de l’organisme à la COVID-19. Impossible d’envisager l’un sans l’autre.

Les mesures de modernisation impulsées par Anil Arora, statisticien en chef, ont, soulignent-ils, posé les jalons d’une riposte d’une rapidité encore inimaginable il y a quelques années, dans un organisme qui évitait le risque et se targuait de l’exactitude de ses données. Cette riposte a par la suite permis d’accélérer le programme de modernisation et de condenser en quelques mois plusieurs années de changement culturel dans l’organisation.

Au moment où elle lançait, il y a trois ans, son vaste plan de modernisation, Statistique Canada présentait les caractéristiques d’un organisme qui devait rattraper son retard technologique ou risquer de sombrer dans la non-pertinence.

Statistique Canada sous sa forme actuelle est né en 1918 du Bureau fédéral de la statistique, avec pour mandat de recueillir des données administratives et des données d’enquêtes qui permettraient d’aider les Canadiens et Canadiennes à mieux comprendre leur pays. De l’époque des cartes perforées à celle d’Internet, Statistique Canada est devenu un organisme de statistique de renommée internationale qui mène plus de 380 enquêtes sur 32 sujets différents et réalise un recensement de la population et de l’agriculture du Canada tous les cinq ans.

Pendant presque toutes ces années, Statistique Canada a utilisé la méthodologie d’enquête par échantillonnage développée dans les années 1940. Les méthodes utilisées par Statistique Canada pour inciter les Canadiens et Canadiennes à répondre et à participer à ces enquêtes ont évolué au fil des ans, passant du formulaire papier envoyé par poste aux entretiens personnels. Le recours à l’entretien par téléphone a marqué la rupture la plus importante dans la réalisation des enquêtes jusqu’à l’avènement d’Internet.

Aujourd’hui, Statistique Canada utilise un ensemble de méthodes diverses pour toucher toutes les générations de Canadiens et Canadiennes – courrier postal, téléphone, entretiens personnels, enquêtes en ligne et, plus récemment, courriels et messages texte.

Avec les évolutions technologiques sont apparues les données massives. Le monde baigne dans l’information et nombreux sont ceux qui remettent en question l’utilité de Statistique Canada pour fournir des données actualisées aux décideurs politiques, et ce, à un moment où beaucoup soutiennent que ce monde en proie à la désinformation et aux fausses nouvelles n’a jamais autant eu besoin de données fiables, exactes et crédibles.

L’organisme s’est rendu compte qu’il ne détenait plus le monopole des données. De plus, dans un monde inondé d’appareils qui crachent les données et les fausses nouvelles, elle se devait de consolider sa position historique de source fiable de données de qualité. Selon les mots du statisticien en chef Anil Arora, Statistique Canada devait soit se réinventer, soit « risquer d’être à la traîne, ou pire, devenir obsolète. »

Statistique Canada a bâti sa réputation internationale sur des outils qui ne fonctionnent plus. Les taux de réponse sont en baisse; les populations et les gouvernements veulent obtenir des données rapidement, et de diverses sources, afin de pouvoir prendre des décisions en temps réel.

La modernisation imposait de sortir des sentiers battus, de prendre des risques et de trouver de nouvelles façons de collecter et d’analyser rapidement les données.

« Pour ne pas devenir inutile, nous devions réunir les caractéristiques déterminantes que sont la pertinence, l’actualité et la fiabilité des renseignements que nous collectons », a déclaré Mme Barr-Telford.

Dans les principaux domaines ou divisions de collecte de données de Statistique Canada – statistiques économiques et sociales –, des équipes et des projets spéciaux ont été mis en place pour repenser l’activité de l’organisme. Leur mission était d’améliorer l’actualité des données en trouvant de nouvelles sources de renseignements, de nouvelles méthodes et de nouveaux processus, et en collaborant plus étroitement avec des partenaires. Aujourd’hui, les statisticiens recueillent des renseignements à l’aide de données d’administration, de robots d’extraction sur Internet, de données ouvertes et de procédés de couplage de microdonnées pour renforcer, compléter ou remplacer les enquêtes traditionnelles – tout en protégeant la confidentialité et la vie privée des Canadiens et Canadiennes.

L’une des tâches de M. MacNabb est de moderniser les statistiques sociales de l’organisme en assurant un meilleur usage des données d’administration, en accélérant les enquêtes, en réduisant les coûts et en allégeant le fardeau des répondants. Il a qualifié M. Arora de « dirigeant extraverti » qui a amené l’organisme à sortir de sa « zone de confort » et à entretenir une interaction plus soutenue avec le gouvernement pour mieux comprendre les aspirations et les besoins des ministères.

« Nous nous embarrassions encore de toutes sortes de précautions pour être certains que tout était parfait avant de passer à l’étape suivante, mais il nous a fait sortir de notre zone de confort et nous nous sommes mis à planifier et à rechercher des solutions. La crise de la COVID-19 a réussi à nous contraindre à prendre des risques calculés.

C’est là que tout s’est joué. Si cette pandémie était apparue même seulement cinq ans plus tôt, je vois mal comment nous y aurions fait face. Nous aurions eu du mal à trouver la démarche adéquate. »

Le pays étant en confinement, la publication en mars des données sur le produit intérieur brut par Statistique Canada ne présentait que peu d’intérêt. Les événements du trimestre précédant l’apparition du coronavirus semblaient avoir perdu tout intérêt pour une économie mise au point mort.

En fait, aucune des enquêtes existantes de l’organisme ne permettait d’obtenir les renseignements actualisés nécessaires, tant « la situation économique changeait de façon spectaculaire chaque semaine, » a déclaré Patrick Gill de la Chambre de commerce du Canada.

« Nous devons fournir des données sur ce qui se passe cette semaine même, et en temps réel, et sur la situation des entreprises cette semaine et la semaine précédente, » a expliqué Alessandro Alasia, directeur adjoint du Centre pour des projets spéciaux sur les entreprises.

« Personne n’était intéressé par nos programmes de statistiques ordinaires qui fournissaient des renseignements sur le trimestre ou les six derniers mois écoulés. Là était le principal défi. »

Les entreprises voulaient tout savoir sur les mises à pied, le commerce, les exportations, les charges à gérer et les aides à la relance. Elles voulaient savoir la durée sur laquelle elles pourraient survivre sans revenus et à quoi le monde ressemblerait au moment de leur réouverture. Elles réclamaient des renseignements à l’immédiat afin de pouvoir élaborer des stratégies de survie et de continuité pour leurs activités.

Cependant, le tableau était rose pour certaines entreprises. Pour d’autres, la croissance était forte, surtout chez celles qui ont su s’adapter rapidement ou qui ont redéployé leurs employés et leurs activités en télétravail. Les ateliers de réparation ou les services qui dépendent de la présence physique de clients ont été durement touchés, tout comme les restaurants, sauf dans les cas où ces derniers proposaient des plats à emporter ou des repas en plein air.

Selon M. Gill, le « grand changement » est survenu lorsque Statistique Canada et la Chambre ont fait équipe pour travailler à la conception et au lancement de l’Enquête canadienne sur la situation des entreprises dans les jours qui ont suivi la fermeture de l’économie pour recueillir des données « en temps réel » sur les répercussions de la pandémie.

Pour M. Shadid, le principal problème était le manque de données. Les enquêtes existantes mesurent les fluctuations normales d’une économie, et non une mise à l’arrêt forcée.

Des représentants de Statistique Canada et de la Chambre se sont réunis dans les jours qui ont suivi la fermeture et ont réalisé ensemble qu’ils allaient devoir proposer de nouvelles enquêtes pour combler ce vide de renseignements et permettre ainsi aux entreprises de survivre et de se préparer à la reprise. Les décideurs du Bureau du Conseil privé et d’Innovation, Sciences et Développement économique Canada se sont posé beaucoup de questions similaires pour pouvoir déterminer les types de soutien dont les entreprises avaient besoin pour pouvoir tenir bon.

« Plutôt que d’avoir une idée générale de ce que les gens recherchent, et d’élaborer ensuite un questionnaire, nous travaillons en étroite collaboration pour nous assurer que le questionnaire répond aux besoins précis de l’industrie et des décideurs politiques, » a expliqué M. Shadid.

La première enquête menée en avril étudiait la question de liquidité et de flux de trésorerie pour comprendre la résilience et les mécanismes d’adaptation des entreprises. Les entreprises et tous les ordres de gouvernement cherchaient à savoir combien de temps ils pourraient tenir sans revenus. Pourraient-ils assurer leurs dépenses, garder leurs employés ou les mettre à pied, passer à de nouveaux services ou produits, passer au commerce électronique, ou trouver de nouveaux moyens d’atteindre les clients?

Une nouvelle enquête étalée sur plusieurs mois n’aurait pas fait l’affaire pour des milliers d’entreprises à l’arrêt cherchant désespérément des données qui les aiderait à dégager des pistes pour leur survie. On a adopté une enquête participative utilisant le courrier électronique pour inciter les gens à une enquête en ligne.

Statistique Canada avait déjà essayé l’enquête participative, mais celle-ci était encore controversée parmi les statisticiens classiques. Non scientifique, elle rompt radicalement avec les enquêtes fondées sur des échantillons probabilistes ou aléatoires censés garantir que le groupe de personnes choisies est représentatif de la population réelle étudiée.

« C’est la première fois qu’un produit de Statistique Canada a eu des répercussions pareilles sur les propriétaires d’entreprises, ce qui est bénéfique pour ces derniers, car on a recueilli des renseignements tellement importants. Par rapport à la dernière crise, les répercussions de cette récession sont ressenties différemment par différents groupes démographiques et les formes traditionnelles de questionnaires ne permettaient pas d’en rendre compte. » – Patrick Gill, Chambre du commerce du Canada

Il n’y a aucun contrôle sur la sélection de l’échantillon, n’importe qui peut s’inscrire, et une enquête participative ne rend compte que de ce que disent les participants. Les réponses ne peuvent pas être généralisées à l’ensemble de la population. L’avantage : cette méthode est rapide et peut inciter un grand nombre de personnes à participer.

Et cela cadre parfaitement avec la volonté du gouvernement de privilégier la « rapidité plutôt que la perfection » dans l’élaboration de sa réponse à la COVID-19.

Nous n’avions pas le temps de tester les questions de l’enquête sur le terrain comme d’habitude, surtout dans un contexte aussi incertain et rapidement changeant, a souligné M. Shadid. Les questions pressantes d’une semaine n’étaient plus pertinentes la semaine suivante lorsque de nouvelles problématiques émergeaient. En avril, par exemple, les entreprises et le gouvernement se pliaient en quatre pour tenter de comprendre les répercussions des fermetures. En mai, tous cherchaient avec frénésie comment négocier la réouverture et comment se procurer des équipements de protection individuelle pour les employés retournant au travail.

« Chaque nouvelle phase de la crise apporte son lot de défis et de problèmes différents. Mettre l’économie à l’arrêt était une chose, la rouvrir en était une autre, » a déclaré M. Shadid.

« L’innovation, c’était de trouver un mécanisme créatif qui fonctionne en large collaboration avec les bons partenaires dans un laps de temps très court… Nous avons lancé une enquête, et les gens ont accepté d’y participer et de nous fournir des données de qualité permettant d’éclairer les décideurs politiques. Le tout en seulement quelques semaines, soit en trois fois moins de temps que d’habitude. »

L’enquête était la première étape, le défi étant de trouver suffisamment de répondants pour obtenir des résultats significatifs afin d’avoir une idée de ce que faisaient les entreprises. La Chambre a su convaincre les acteurs des milieux commercial et industriel de participer à l’enquête.

La Chambre bénéficie d’un réseau de 450 chambres et associations de commerce à travers le pays. Elle a toutefois élargi son rayon d’action en créant le Réseau de résilience des entreprises canadiennes, qui rassemble plus de 100 associations d’entreprises et sectorielles canadiennes de premier plan pour une campagne tous azimuts visant à atténuer les répercussions de la pandémie et à « renforcer la résilience contre les chocs futurs. »

« Et pour être très franc, si j’étais chef d’entreprise, et que le gouvernement venait de mettre mon activité à l’arrêt, remplir un questionnaire est la dernière chose que j’aurais envie de faire, confie M. Shadid. Mais quand l’invitation vient de la Chambre de commerce, on y adhère plus facilement, sachant que ce n’est pas le gouvernement qui demande ces données. C’est la Chambre qui demande aux entreprises de remplir des questionnaires pour fournir des renseignements qui lui permettront de les aider le moment venu de demander des programmes de soutien au gouvernement. »

Les entreprises attendaient impatiemment le lancement de la première enquête. Des milliers de membres du Réseau de résilience des entreprises canadiennes, ainsi que la campagne de communication de Statistique Canada, ont encouragé la participation massive à cette enquête, qui a suscité 12 500 réponses.

La prochaine enquête réalisée en mai a suivi une approche plus scientifique pour que ses résultats puissent être largement extrapolés à plus d’entreprises.

Statistique Canada a rassemblé un échantillon aléatoire à partir de son registre des entreprises, répertoire central qu’elle tient sur les entreprises menant des activités au Canada.

Non seulement les enquêtes ont proposé des questions jamais posées auparavant, mais elles ont également fourni des données aux niveaux régional et local qui n’étaient pas disponibles dans les enquêtes existantes.

Mais M. Gill a fait valoir que la grande innovation consistait à obtenir une meilleure ventilation de la diversité des entreprises et de savoir comment elles se portaient. Consciente de ce que les communautés minoritaires ont été plus durement touchées par la pandémie, Statistique Canada a travaillé en étroite collaboration avec le Réseau des entreprises pour savoir comment les entreprises dirigées par les minorités s’en sortaient; utilisaient-elles les soutiens d’urgence du gouvernement et quelles étaient leurs perspectives d’avenir?

Ces questions étaient au premier plan et au centre de la deuxième enquête, qui demandait aux propriétaires d’entreprises répondant à l’enquête de s’identifier en fonction de la race, de l’ethnicité, du sexe et de préciser s’ils étaient Autochtones ou membres de la communauté LGBTQ2.

Selon M. Gill, ces enquêtes sont devenues « l’un des ensembles de données les plus recherchés » par les décideurs politiques et les chefs d’entreprise. Les municipalités et les provinces ont ensuite soumis des demandes de données et de recherches pour mieux cerner les répercussions de la pandémie sur leurs entreprises, restaurants et usines locaux.

« C’est la première fois qu’un produit de Statistique Canada a eu des répercussions pareilles sur les propriétaires d’entreprises, ce qui est bénéfique pour ces derniers, car on a recueilli des renseignements tellement importants. Par rapport à la dernière crise, les répercussions de cette récession sont ressenties différemment par différents groupes démographiques et les formes traditionnelles de questionnaires ne permettaient pas d’en rendre compte, » a déclaré M. Gill.

Mais M. Gill a ajouté que bien que les entreprises des milieux marginalisés soient frappées disproportionnellement par la pandémie, l’étude montre qu’elles semblent plus promptes, plus rapides à s’adapter et à innover que les entreprises moyennes. Elles se sont rapidement orientées vers de nouvelles productions ou de nouveaux services, sont passés en ligne, ont investi dans de nouveaux équipements et se sont adaptées grâce à la recherche et au développement.

« Avec toutes les histoires malheureuses que nous avons entendues pendant la crise, les ensembles de données ont vraiment montré un niveau d’innovation et d’adaptation des entreprises que je n’ai pas vu depuis des années au Canada. C’est extraordinaire! », a reconnu M. Gill.

Trois enquêtes sur la situation des entreprises ont été menées jusqu’à présent et il est prévu de poursuivre, aussi longtemps que nécessaire, avec la publication des résultats tous les trimestres.

Shadid a indiqué que le grand défi des enquêtes futures est de trouver des moyens d’amener les communautés minoritaires à répondre aux questions en nombre suffisant pour permettre une analyse significative.

Une enquête volontaire peut ne pas obtenir suffisamment de réponses de groupes précis, tels que les propriétaires d’entreprises noirs ou asiatiques, pour extrapoler leurs expériences. Les groupes ne peuvent pas être sélectionnés car les participants sont tirés du registre des entreprises, qui collecte des renseignements par type d’entreprise – tels que la restauration, les manufacture ou l’hébergements – et non par race ou par ethnicité.

« Je tire mon chapeau à Statistique Canada pour son approche, » a avoué M. Gill. « Au lieu de prendre beaucoup de temps pour créer sa propre enquête, elle a agi plus rapidement en utilisant la méthodologie de l’enquête participative et a effectivement travaillé avec le milieu des affaires pour concevoir les questions les plus pertinentes ».

Le coronavirus était déjà dans le collimateur de l’équipe de perspectives sociales de Statistique Canada lorsqu’elle a observé sa propagation de la Chine en janvier dernier. Elle savait que ce n’était plus qu’une question de temps avant que ce virus atteigne le Canada. Les analystes examinaient déjà les enjeux auxquels le gouvernement pourrait faire face et les données dont disposait Statistique Canada et qui pouvaient être utilisées pour déterminer ceux qui seraient les plus exposés.

La situation s’est transformée en une crise d’envergure nationale à la mi-mars, lorsque les Canadiens et Canadiennes ont été renvoyés chez eux; lorsque bureaux, restaurants et frontières ont été fermés; et lorsque l’on a demandé aux personnes qui se trouvaient à l’étranger de rentrer au pays.

La division de Mme Mihorean, qui est responsable des données sociales, innovation et intégration, a rassemblé un large portefeuille de la statistique sociale – dont le Centre de données sur la santé de la population, le Centre canadien de la statistique juridique; le Centre des statistiques sur le genre, la diversité et l’inclusion et le Centre du marché du travail.

Ils se sont rapidement réunis, avec les ministères et les autres parties prenantes qu’ils servent, pour déterminer les enjeux et les éventuelles lacunes en matière de données sociales qu’il faudrait combler pour aider à gérer la pandémie. Ils ont hiérarchisé les données nécessaires en premier et celles qui pourraient être recueillies par la suite.

« C’est une chose que de pouvoir observer en temps réel les changements dans l’économie, mais nous n’avons pas tendance à disposer de données en temps réel quant aux questions sociales », a relevé M. Steve Trites, directeur du Centre de renseignements et d’innovation en données sociales.

Les questions fusaient de partout. Emploi et Développement social Canada était avide de données sociales et économiques en temps réel alors que Santé Canada et l’Agence de la santé publique du Canada collectait tout ce qui portait sur le comportement des Canadiens et Canadiennes.

Les responsables de la santé, par exemple, n’avaient aucune idée si les Canadiens et Canadiennes suivaient ou non leurs conseils – se lavaient-ils les mains, utilisaient-ils du désinfectant, respectaient-ils les mesures de distanciation physique ou portaient-ils des masques? Le comportement et le respect des règles variaient-ils en fonction des régions du pays? Tous ces renseignements étaient essentiels, non seulement pour cibler les campagnes de santé publique, mais également pour modéliser la propagation du virus.

Avec la modernisation, le groupe avait déjà cherché de nouvelles façons de collecter les statistiques sociales, généralement basées sur des enquêtes ciblant des groupes de Canadiens et Canadiennes statistiquement représentés. Les enquêtes traditionnelles durent 30 à 45 minutes, et sont réalisées par des enquêteurs au téléphone ou en personne au domicile des répondants.

Ces enquêtes devenaient lourdes et pénibles. Obtenir et conserver des répondants étaient un travail de longue haleine. Les gens sont occupés, peu intéressées à participer aux enquêtes; il est plus difficile de les joindre par téléphone et ils ne semblent pas comprendre pourquoi le gouvernement n’utilise pas certaines des informations déjà à sa disposition.

Selon Mme Mihorean, Statistique Canada a travaillé plus dur – dépensant plus de temps et d’argent – chaque année, pour que les Canadiens et Canadiennes participent aux enquêtes et maintiennent des taux de réponse cibles critiques.

Statistique Canada a introduit Statistiques rapides – connues dans les cercles de l’organisme sous le nom d’enquête « Jiffy Lube » ou « Speedy » – qui sont devenues la nouvelle référence en termes d’actualité. Elles sont moins chères et plus courtes, avec 10 à 15 questions, et offrent aux répondants un délai de 90 jours. Elles ont été utilisées pour un éventail de sujets allant de la consommation d’opiacés et de cannabis à la garde d’enfants et à l’économie numérique.

Les panels Web ou en ligne ont été l’expérience suivante. Ce sont des outils de sondage populaires, utilisant un échantillon de personnes volontaires pour participer à des enquêtes par Internet. Ils peuvent attirer un grand nombre de répondants et produire des résultats beaucoup plus rapidement et à moindres coûts que les enquêtes par téléphone ou le recrutement d’enquêteurs.

L’inconvénient pour les statisticiens classiques est que les membres des panels ne sont pas choisis de façon aléatoire. Ce sont généralement des volontaires qui sont recrutés en ligne et qui ne sont pas statistiquement représentatifs de la population dans son ensemble.

Mais l’équipe de Mme Mihorean avait un plan pour cela. Elle a recruté des répondants à partir d’un bassin de personnes que Statistique Canada avait soigneusement sélectionnées comme étant représentatives de la population générale pour l’Enquête canadienne sur la population active.

L’Enquête sur la population active est obligatoire et touche environ 150 000 personnes – dans 60 000 ménages. Un nouveau lot de personnes entre et sort du bassin de répondants tous les six mois. Statistique Canada a demandé à 32 000 personnes qui quittent l’enquête si elles voudraient participer à un panel en ligne tous les deux mois. On a poussé un gros soupir de soulagement lorsque 7 200 d’entre elles ont répondu par l’affirmative – un bassin important et statistiquement représentatif pour répondre aux nouvelles enquêtes au cours des prochains mois.

L’équipe devait commencer à tester les panels en ligne avec des questions sur les achats en ligne lorsque le pays a été mis en quarantaine. Elle a rapidement changé de cap et a lancé le premier panel en ligne pour recueillir des informations sur la COVID-19.

Il y a eu six panels en ligne pendant la première vague du coronavirus, avec des sujets allant des répercussions aux types d’activités sociales et économiques en passant par la cybersécurité et la consommation de substances.

Dans le même temps, la haute direction faisait pression pour obtenir des renseignements plus « granulaire », cherchant les moyens de savoir ce que les gens faisaient et pensaient en fonction de la géographie et de la sous-population; où ils vivaient, leur ethnicité, leur race, s’ils étaient en situation de handicap, Autochtones ou se considéraient comme membres de la communauté LGBTQ.

Pour ce faire, il a fallu recourir à l’enquête participative.

Avec l’aide de sa division des communications, elle a recruté des personnes pour l’enquête sur son site Web et a diffusé des messages similaires sur Twitter, Facebook et LinkedIn. Elle a invité d’autres ministères à en faire autant dans leurs réseaux de médias sociaux.

Et les Canadiens et Canadiennes ont massivement répondu à l’appel. Après quatre semaines, 250 000 citoyens et citoyennes avaient répondu à l’enquête – la moitié d’entre eux ayant fourni leur adresse électronique et accepté de participer à d’autres enquêtes prévues pour l’été.

« Nous avons été émerveillés par la réponse, et même impressionnés.  L’enquête ne reposait pas sur une approche scientifique, mais elle nous a donné un très bon aperçu du comportement et des avis des Canadiens et Canadiennes, et ce de manière très opportune », a précisé Mme Mihorean.

Selon M. MacNabb, les « étoiles étaient alignées » pour l’approche participative. Les médias ont vite servi de relais, et les Canadiens et Canadiennes, inquiets et confinés dans leurs maisons, ont volontiers parlé des répercussions de la COVID-19 sur leurs vies.

« Les circonstances étaient tellement inédites que je crois que nous avions un public captif, pour ainsi dire, qui avait envie de dire quelque chose, et nous étions là pour entendre ce qu’ils avaient à dire », a-t-il ajouté.

Au tout début de la pandémie, les Canadiens et Canadiennes étaient obsédés par le virus et s’inquiétaient de leur santé et de la possibilité de tomber malade. Les chiffres ont chuté à mesure que les infections reculaient et les restaurants et entreprises ont rouvert en été. Ces craintes sanitaires ont resurgi avec la recrudescence des infections à l’automne, la seconde vague s’annonçant, et avec elles, les inquiétudes économiques.

« C’est une situation très fluctuante et il n’y avait pas de mécanisme pour ces types d’indicateurs… Nous devions donc créer un moyen de recueillir ces renseignements », a expliqué M. Trites.

Par exemple, lorsque les magasins et les restaurants ont commencé à rouvrir, il manquait une pièce maîtresse dans la planification de la reprise, à savoir dans quelle mesure les Canadiens et Canadiennes étaient à l’aise à l’idée de recommencer à fréquenter ces commerces. La question a été posée à la fois dans les panels en ligne et les enquêtes participatives, et les renseignements obtenus ont servi à modéliser la vitesse à laquelle l’économie devrait se redresser.

Selon Mme Mihorean, les analystes de l’Unité de l’impact et de l’innovation ont « prêté une oreille très attentive aux évolutions sur le terrain » pour détecter ces changements d’humeur et de comportement au fil de la progression de la pandémie. Cela leur a permis de réaliser « en un claquement de doigt » des enquêtes sur les nouveaux enjeux qui émergeaient, depuis l’éducation des enfants aux vaccins. (Cette équipe s’occupe en amont et en aval de l’enquête; elle trouve les questions à poser et analyse ensuite les réponses).

Elle s’est, par exemple, penchée sur l’inquiétude des étudiants après la fermeture des grandes écoles et des universités, imposée par la COVID-19 et entraînant la programmation des cours en ligne, leur report ou leur annulation. Les questions visaient à déterminer si les étudiants quitteraient leurs résidences, quel en serait les répercussions sur les emplois d’été, sur le paiement des droits de scolarité de l’année suivante, et quel serait le scénario envisageable si les écoles restaient fermées à l’automne.

Les experts de Statistique Canada ont rapidement fait équipe avec ses réseaux d’enseignement dans les provinces et les territoires pour aider à disséminer l’enquête dans toutes les universités et grandes écoles, ce qui a permis, en deux semaines, la participation de plus de 100 000 étudiants à cette enquête entre mi-avril et fin avril.

Une enquête participative a également été utilisée pour examiner la santé mentale, la sécurité personnelle, la confiance des Canadiens et Canadiennes dans le gouvernement, la situation des familles et la discrimination pendant la pandémie.

Pour vérifier les résultats obtenus par l’enquête participative, l’enquête reprend quelques-unes des questions posées aux panels en ligne pour que les analystes puissent comparer les réponses et déterminer si les résultats sont similaires ou fortement différents.

L’enquête participative est volontaire et les participants triés parmi les personnes bien instruites, les femmes et les habitants de l’Ontario et de la Colombie-Britannique. Mme Mihorean a précisé que les données ont été « nettoyées » et ajustées à l’aide des données de référence de Statistique Canada sur la population, telles que l’âge et le sexe, pour réduire les biais. Les tendances des données pour les deux types d’enquête se sont avérées remarquablement similaires, ce qui a conforté les statisticiens au moment de la publication des données de l’enquête participative.

Ils ont utilisé d’autres enquêtes comme base de référence pour suivre les comportements changeants observés dans les enquêtes effectuées en temps réel. En utilisant la plus récente Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes portant sur la santé mentale, Statistique Canada a suivi la détérioration de la santé mentale des Canadiens et Canadiennes pendant les mois de la pandémie, particulièrement parmi les jeunes, les femmes et les immigrants récents.

Statistique Canada a fait appel à des organisations de personnes en situation de handicap pour recruter des participants à une enquête participative sur les répercussions de la COVID-19 sur les personnes ayant une incapacité. L’organisme a également collaboré avec des organisations telles que Les Enfants d’abord et l’Institut Vanier de la famille pour faire parvenir aux familles des questionnaires sur l’éducation des enfants pendant la pandémie.

Au début, ils s’étaient empressés d’utiliser les données existantes pour aider le gouvernement à élaborer des modèles sur le risque et la propagation de la pandémie, à l’instar de l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes, qui a révélé que 38 % de la population canadienne souffre de maladies chroniques sous-jacentes qui pourraient les rendre vulnérables au virus.

Statistique Canada avait déjà essayé l’enquête participative dans plusieurs projets, le plus important était celui visant à évaluer les répercussions économiques de la légalisation de la marijuana en calculant sa contribution au PIB.

Statistique Canada avait une idée du nombre de Canadiens et Canadiennes qui consommaient de la marijuana et de la quantité consommée, mais il lui fallait des données plus précises quant au prix pratiqué sur le marché noir. On s’est donc tourné vers les utilisateurs et leur a posé la question. Les réponses anonymes obtenues en ligne ont dépassé toutes les attentes et Statistique Canada a pu déterminer un prix.

François Brisebois, directeur de la Division des méthodes d’enquêtes sociales, a confié que ses collègues méthodologistes et lui-même avaient dû « se faire à l’idée » que si l’enquête participative ne constituait pas la norme de référence à laquelle ils étaient habitués, elle avait tout de même sa place quand il s’agissait de « prendre le pouls ou avoir une idée » de ce que ressent les Canadiens et Canadiennes à un moment précis.

Il est tout aussi important, a-t-il dit, de s’assurer que les utilisateurs des réponses en connaissent les limites. C’est une lecture, un doigt que l’on tend pour déterminer la direction dans laquelle souffle le vent plutôt qu’une réponse définitive. Les méthodologistes ont même conçu une terminologie pour différencier sondage et enquête participative. Un sondage a des répondants et aboutit à des estimations, tandis qu’une enquête participative a des participants et produit des indicateurs.

« Du point de vue méthodologique, c’était une tasse de thé bien différente », a affirmé M. Brisebois.

« Nous devions nous assurer que nos utilisateurs comprennent qu’il ne s’agit pas d’un scénario habituel. Ce ne sont pas des statistiques officielles pouvant éclairer la prise de décisions. Ce sont des données que nous avons obtenues rapidement car nous avions vraiment besoin de quelque chose et nous ne pouvions pas attendre des mois pour avoir un indicateur de ce qui se passait.  C’était une alternative. »

Globalement, les panels en ligne ont été un succès, a conclu Mme Mihorean.  Ils avaient une grande longueur d’avance car lorsque le coronavirus a frappé, une grande partie du travail en amont avait été effectuée en préparation du projet pilote. Les réponses étaient malgré tout conformes à d’autres sources de données. La prochaine étape consiste donc à « étendre et améliorer » leur utilisation et à « les rendre plus fiables », a affirmé Mme Mihorean.

Elle recommande plus de participants pour les futurs panels en ligne et la création d’un plus grand bassin de répondants. Un des moyens pour y arriver est d’élargir le spectre de recrutement pour ne plus se limiter seulement à ceux quittant l’enquête sur la population active – qui sont déjà très sollicités comme répondants potentiels pour d’autres enquêtes. Elle a indiqué qu’ils envisageaient de recourir à des répondants d’autres enquêtes scientifiques, telles que l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes ou l’Enquête sociale générale, pour les panels en ligne.

Le jury ne s’est pas encore prononcé sur l’utilisation future des enquêtes participatives. Statistique Canada élaborera également une directive et des principes sur l’utilisation appropriée des données provenant des enquêtes participatives, qui seront surveillés de près par les organismes statistiques à travers le monde.

« Je ne pense pas qu’on cessera d’utiliser l’enquête participative un jour… mais le rôle exact qu’elle devra jouer dans un organisme national de statistiques est quelque chose qu’il nous reste à déterminer », a souligné Mme Mihorean.

« L’enquête participative a sa place; nous l’avons démontré durant la COVID-19. Mais pour produire de véritables inférences statistiques, il faut quelque chose de plus scientifique. C’est pourquoi nous voulons continuer à explorer et à tirer parti du succès du panel en ligne … C’est à ce niveau, à mon avis, que nous devrions réellement concentrer nos efforts et nos ressources, c’est-à-dire sur le renforcement de la fiabilité des panels en ligne. »

MacNabb affirme qu’il réfléchirait « longuement et sérieusement » avant de recommander une enquête participative. Les décideurs politiques apprécient beaucoup cette approche parce que ses résultats sont rapides, mais elle ne peut être efficace qu’avec un échantillon volumineux de réponses. Il estime que Statistique Canada a réussi un coup de maître lorsque les Canadiens et Canadiennes se sont rués sur les enquêtes pour donner leurs avis sur la période incertaine de la pandémie. Il se demande si cela aurait été le cas par des temps normaux.

« Nous devons vraiment réfléchir aux circonstances dans lesquelles il est réellement approprié de l’utiliser. »

L’histoire des répercussions de la pandémie s’écrit encore. Les statisticiens affirment qu’elle va changer et façonner une génération entière, et qu’ils en étudieront les répercussions sociales et économiques pendant les années à venir.

Selon Mme Barr-Telford, le coronavirus révèle à quel point les éléments de nos vies sont imbriqués. Le virus qui a menacé la santé du monde entier a bouleversé tous les aspects de la vie des habitants de ce pays – travail, revenus, famille, éducation – et souvent dans des proportions inégales. Les enquêtes peuvent se pencher sur des sujets précis. Statistique Canada du futur doit s’intéresser à ces intersections sociales et économiques et à la façon dont elles affectent la qualité de vie au Canada.

« La COVID-19 a touché plusieurs domaines de nos vies, mais nous devons comprendre si les différents groupes dans la population en ont subi les mêmes répercussions… Et il est important d’étudier cette intersection entre ce que nous sommes et les différents domaines de la vie. La COVID-19 a accéléré la capacité de Statistique Canada à raconter ces histoires imbriquées », a-t-elle conclu.

Le Gouvernement du Canada, la Wilson Foundation, la Lawson Foundation et Microsoft.