Ce rapport découle d’un atelier de deux jours organisé par le Forum de politiques publiques et l’Université de la Colombie-Britannique en avril 2018. Il présente une analyse de la situation d’Internet en 2018, particulièrement en ce qui a trait aux relations entre les grandes entreprises de plateformes, leurs publics et la démocratie. Rédigé par M. Edward Greenspon, président du Forum de politiques publiques, et M. Taylor Owen, associé du FPP, le rapport propose une série de pistes politiques aux gouvernements qui doivent faire face à l’émergence rapide de menaces numériques contre les institutions démocratiques et la cohésion sociale. Internet marque la plus importante avancée dans le domaine des communications depuis l’invention de l’imprimerie, mais son regroupement entre les mains d’une poignée de géants mondiaux et l’exploitation de ses vulnérabilités par des individus et des organisations résolus à déstabiliser notre démocratie vont à l’encontre de sa promesse initiale et menacent l’intérêt public.

Comment contrer les menaces numériques contre les institutions démocratiques et la cohésion sociale

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Ce rapport découle d’un atelier de deux jours organisé par le Forum de politiques publiques et l’Université de la Colombie-Britannique en avril 2018. Il présente une analyse de la situation d’Internet en 2018, particulièrement en ce qui a trait aux relations entre les grandes entreprises de plateformes, leurs publics et la démocratie. Rédigé par M. Edward Greenspon, président du Forum de politiques publiques, et M. Taylor Owen, associé du FPP, le rapport propose une série de pistes politiques aux gouvernements qui doivent faire face à l’émergence rapide de menaces numériques contre les institutions démocratiques et la cohésion sociale. Internet marque la plus importante avancée dans le domaine des communications depuis l’invention de l’imprimerie, mais son regroupement entre les mains d’une poignée de géants mondiaux et l’exploitation de ses vulnérabilités par des individus et des organisations résolus à déstabiliser notre démocratie vont à l’encontre de sa promesse initiale et menacent l’intérêt public. Ce rapport et les pistes qu’il propose représentent une première tentative pour aider les décideurs politiques à comparer des réponses stratégiques possibles destinées à faire en sorte qu’Internet reste une force qui informe et relie.

  1. Restauration de la confiance et de l’intégrité informationnelle :
    • Obliger les éditeurs de contenu à s’identifier;
    • Exiger que les sociétés Internet, telles que les éditeurs et les diffuseurs, soient tenues juridiquement responsables du contenu apparaissant sous leur nom de domaine;
    • Mettre en place une réglementation de pointe de la transparence publicitaire;
    • Soumettre les algorithmes à des audits réguliers par des autorités indépendantes et rendre les résultats accessibles au public;
    • Exiger que les plateformes identifient clairement les comptes de réseaux sociaux automatisés, connus sous le nom de « bots »;
    • Remettre en place un recours non pénal pour enquêter sur les discours haineux et y réagir;
    • Créer un comité spécial chargé d’étudier les problèmes de désinformation, de discours haineux et de liberté d’expression dans la nouvelle sphère publique numérique.
  2. Renforcement de l’infrastructure civile du Canada;
    • Élaborer une stratégie pour soutenir le journalisme en tant que bien public;
    • Lancer une campagne d’éducation civique et de pensée critique, à grande échelle et à long terme, à l’intention de tous les résidents du Canada;
    • Encourager les efforts visant à créer un système de normes destiné à attester de l’intégrité de l’information;
    • Créer une organisation souple, extérieure au gouvernement, pour le suivi, la recherche et l’élaboration de politiques, sur une base continue et à long terme.
  3. Préservation de marchés de l’information ouverts et concurrentiels :
    • Créer des politiques fiscales équitables;
    • Soutenir les acteurs non gouvernementaux pouvant faire contrepoids aux acteurs dominants du marché;
    • Mettre l’accent sur les fonctions numériques et l’accessibilité au contenu canadien pour déterminer si les entreprises Internet devraient être assujetties à une nouvelle Loi sur la radiodiffusion et de quelle manière;
    • Appliquer les règles internationales pour veiller à ce que les entreprises numériques appliquent elles-mêmes les principes des droits de l’homme à la gestion de leurs sites et au traitement des contenus haineux;
    • Créer une nouvelle génération de politiques de la concurrence pour l’ère numérique;
    • Établir un meilleur équilibre des pouvoirs entre les médias d’information nationaux qui produisent du contenu et les géants des plateformes mondiales qui le distribuent;
    • Faire de Radio-Canada un partenaire stratégique dans la production et la diffusion de contenu canadien.
  4. Modernisation de la gouvernance des droits et des possibilités en matière de données :
    • Concevoir un modèle de consentement véritable à la collecte et à l’utilisation de données individuelles qui tient compte du pouvoir asymétrique des plateformes et des utilisateurs;
    • Donner aux particuliers des droits beaucoup plus étendus sur l’utilisation, la mobilité et la monétisation de leurs données;
    • Encourager les banques de données anonymisées qui produisent des biens économiques et sociaux;
    • Prendre de nouvelles dispositions pour la sécurité des données face aux cyberattaques;
    • Accroître les pouvoirs de surveillance et de réglementation des responsables de l’information et de la protection de la vie privée.

Depuis plus d’un quart de siècle, Internet s’est développé en un réseau ouvert, c’est-à-dire un système de récupération et d’échange d’information et d’idées, un moyen de rapprocher les individus et de bâtir des communautés et un pas en avant numérique pour la démocratisation. Tout cela demeure encore en bonne partie vrai. En effet, Internet supplante l’ancienne notion de place publique, lieu de débat où les opinions politiques s’éclairent et se forment, en proposant une sphère publique plus dynamique et, à bien des égards, plus inclusive. Mais en cours de route, en particulier au cours des cinq ou six dernières années, une poignée d’entreprises mondiales a fait mainmise sur l’« Internet ouvert » et des acteurs malveillants, dont les objectifs sont contraires aux valeurs des sociétés ouvertes et des institutions démocratiques, attaquent son intégrité et sa fiabilité. Ces deux phénomènes sont étroitement liés, dans la mesure où les structures, l’éthique et les incitations économiques des regroupeurs – Google (et YouTube), Facebook et Twitter en particulier – produisent un système incitatif qui convient aux diffuseurs d’informations fausses et incendiaires.

La révolution numérique est connue pour perturber de vastes pans de notre économie et de notre société. Aujourd’hui, les perturbations touchent notre démocratie. Le référendum sur le Brexit et les élections américaines de 2016 ont révélé au monde une face cachée des technologies de communication numérique. Les citoyens et leurs gouvernements découvrent que divers acteurs, étrangers et nationaux, politiques et économiques, aux agissements licites et illicites, peuvent utiliser la désinformation, la haine, l’intimidation et le recrutement extrémiste pour éroder le discours démocratique et la cohésion sociale, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur des périodes électorales. Et le problème s’aggrave.

Dans son ensemble, Internet s’est développé dans un cadre libertarien, par rapport à la radiodiffusion et au câble, par exemple. Jusque tout récemment, pour ainsi dire par effet autocinétique, il était entendu que les autorités publiques n’avaient que peu ou pas leur mot à dire. Cette logique tenait, dans une certaine mesure, à l’opinion selon laquelle, Internet ne dépendant pas du gouvernement pour accéder au spectre radioélectrique, le gouvernement n’avait aucune raison d’y jouer un rôle. Tant qu’il évoluait dans le sens de l’intérêt public et du développement démocratique, cette logique, bien qu’imparfaite, n’était que rarement contestée. Aussi, les gouvernements du monde entier, tout comme les entreprises technologiques, ont-ils été pris au dépourvu lorsqu’ils se sont rendu compte qu’Internet prenait des directions inattendues, et ce, pratiquement sans qu’on s’en aperçoive.

Aujourd’hui, il s’agit de savoir comment retrouver et renforcer les valeurs de l’Internet ouvert pour qu’il continue de promouvoir le bien public, sans par ailleurs faciliter l’écoulement des effluents sociaux et des contaminants qui polluent le discours public et la sécurité même des sociétés ouvertes. « Garder le Web ouvert n’est pas suffisant », déclarait Tim Berners-Lee, fondateur du World Wide Web, en 2017. « Nous devons nous assurer qu’il est utilisé dans un esprit constructif, qu’il promeut la vérité et soutient la démocratie. »

Il n’est pas surprenant que plus de 50 ans après sa création et un quart de siècle après le développement du World Wide Web, une révision en profondeur s’impose. Nous nous attachons dans le présent document à analyser les défis majeurs d’aujourd’hui. Nous présentons une série d’options politiques à examiner, car il n’existe pas de solution unique. Nous entreprenons ce travail en sachant que le caractère urgent et inédit de ces menaces exige une mise en œuvre rapide, mais extrêmement précise, de politiques publiques et d’entreprise, étant donné la possibilité de conséquences inattendues de ces menaces pour l’innovation et la libre expression. Nul ne veut, en s’employant à rétablir le lien de confiance, réprimer les droits individuels ou décourager les esprits novateurs qui ont fait d’Internet un élément central de nos vies. Pourtant, ne rien faire ne résout rien non plus; la position actuelle est inacceptable tant du point de vue de la vie civique que de celui des marchés équitables et ouverts.

Dans certains cas, le présent rapport propose des mesures; dans d’autres, il souligne la nécessité d’études plus approfondies et d’une plus grande participation publique. Dans tous les cas, nous croyons que certains comportements doivent être corrigés; que les attaques numériques contre la démocratie ne peuvent pas plus être tolérées que les attaques physiques; qu’en toutes circonstances, les premières augmentent la probabilité des secondes; et qu’un abaissement des normes ne sert qu’à encourager ceux qui cherchent à nuire.

Les 5 et 6 avril 2018, le FPP et la School of Public Policy and Global Affairs de l’Université de la Colombie-Britannique ont réuni des spécialistes, des fonctionnaires et d’autres parties intéressées des milieux universitaires et philanthropiques et de la société civile. Cet atelier est né du rapport de 2017 du FPP, Le miroir éclaté : nouvelles, démocratie et confiance dans l’ère numérique, qui posait un diagnostic de détérioration de l’économie des organisations journalistiques, en analysait les retombées négatives sur la démocratie canadienne et formulait des recommandations pour améliorer la situation. Dans son rapport, dont le titre rend hommage à une analyse du Sénat du Canada sur les médias de masse publiée en 1970 et intitulée Le miroir équivoque, le FPP constatait qu’au cours des décennies qui ont suivi, ce miroir s’est fissuré et a volé en éclats sous la pression de la fragmentation du contenu, de la consolidation des revenus et de l’indifférence à l’égard de la vérité. Aujourd’hui, il nous apparaît nécessaire qu’Internet devienne un miroir plus fidèle des attributs positifs d’une meilleure connectivité humaine. Ce plus récent travail fait partie des efforts soutenus déployés par le FPP pour collaborer avec un large éventail de partenaires sur deux volets distincts, mais intimement liés (pensez à une double hélice en biologie) : comment soutenir le journalisme d’une part et, d’autre part, comment purifier un réseau Internet désormais pollué, vraisemblablement jusqu’au cœur de sa structure. L’atelier d’avril a permis à des experts et des décideurs politiques d’échanger et de transférer des connaissances sur les développements récents et sur ce qui peut être fait. Il s’est achevé par un événement public auquel ont participé certains des plus grands penseurs du monde sur l’état de la sphère publique numérique. Le présent rapport poursuit le processus en examinant une série de réponses politiques possibles à un environnement en constante évolution et porteur de conséquences sociétales majeures encore en gestation.

Les 14 et 15 mai 2018, le FPP a organisé un atelier de suivi au cours duquel des experts canadiens et étrangers se sont réunis pour discuter des réponses, politiques et sectorielles, à apporter à la désinformation et au discours menaçant en ligne. Le rapport de cet atelier sera publié à l’automne.

Le rapport se divise en trois parties :

  1. Discussion sur les forces en jeu;
  2. Hypothèses et principes sous-jacents des mesures proposées;
  3. Catalogue de pistes politiques potentielles.

Nous présentons le rapport La démocratie divisée : contrer la désinformation et la haine dans la sphère publique dans l’espoir de promouvoir des discussions et des débats et de permettre aux décideurs politiques de remettre le bien public au centre de la sphère publique.

La démocratie a toujours eu des ennemis. La société a toujours dû contrer la haine. Et l’utilisation de moyens de communication à des fins de propagande n’est pas chose nouvelle. Depuis quelques années, nous constatons toutefois que les individus animés par l’intolérance, l’antilibéralisme et des idées extrêmes se font beaucoup plus entendre à mesure qu’ils découvrent en ligne des personnes aux profils similaires au leur et qu’ils s’organisent avec ferveur en groupes militants numériques. La frontière entre le monde virtuel et le monde réel devient elle aussi plus floue, les communautés qui se forment en ligne s’organisant pour descendre dans la rue et agir dans des villes du monde entier. Le tristement célèbre défilé de Charlottesville, en Virginie – dont l’organisation, la promotion et le recrutement ont été réalisés au moyen d’outils de plateformes – est un exemple de ce type de manifestation. Tout comme le sont les sites de « fausses nouvelles » qui désinforment les électeurs et cherchent à monter des groupes les uns contre les autres.

On s’intéresse essentiellement aux utilisations abusives d’Internet à des fins d’avantages géopolitiques, notamment aux campagnes numériques déloyales menées par les services de renseignement russes pour influencer des élections aux États-Unis et en Europe. Toutefois, nous observons aussi d’autres vecteurs de désinformation et de campagnes haineuses, certains exploités à des fins commerciales et d’autres pour des raisons idéologiques et partisanes. Les problèmes sont aussi bien nationaux que géopolitiques, et les solutions vont du niveau local à l’échelle internationale.

Le développement d’Internet depuis les années 1990 a offert des possibilités de démocratisation tentantes et des occasions extraordinaires d’innovation et de croissance. Les groupes marginalisés peuvent percer plus facilement et s’organiser autour d’une cause de justice sociale ou autre, comme les mouvements #MoiAussi, #BlackLivesMatter et #IdleNoMore. Internet a transformé la création et la diffusion de l’information au niveau mondial, ajouté de nouvelles voix à notre discours civique, est source d’avantages économiques et sociaux considérables et a donné naissance à de nouveaux titans du monde des affaires de l’envergure d’un Carnegie, d’un Mellon ou d’un Rockefeller. On ne soulignera jamais assez les bienfaits d’Internet pour ce qui est de l’accès et des occasions offertes, ni la complexité du défi qui en résulte sur le plan de la gouvernance.

Comme l’a fait remarquer Ben Scott, stratège numérique de l’administration Obama, lors de l’atelier organisé par le FPP et l’Université de la Colombie-Britannique (UBC), Internet a créé trois vagues d’externalités négatives.

La première vague, qui est toujours d’actualité, se caractérise par la vulnérabilité de nos institutions, entreprises et gouvernements face aux cyberattaques. En témoignent l’attaque menée avec le virus Stuxnet, le piratage de Sony Pictures perpétré à des fins d’extorsion en 2014 et, au Canada, la désactivation des ordinateurs de ministères. Le piratage de courriels de partis politiques, les virus informatiques qui mettent hors service des institutions et des sites Web essentiels, et des épisodes répétés de violations de données d’entreprise viennent régulièrement confirmer cette vulnérabilité.

La seconde externalité est celle de la surveillance de masse sur Internet. Si les nouvelles technologies de communication permettent à tout un chacun de s’exprimer, elles permettent également de surveiller et de compiler les moindres propos, comportements et déplacements comme jamais auparavant. Cela se révèle irrésistible pour ceux qui propagent des messages de persuasion. Dans des sociétés non démocratiques, les autorités trouvent dans ces technologies un moyen extraordinairement efficace de réprimer la dissidence politique.

Aujourd’hui, nous connaissons une troisième vague d’externalité négative : la facilité avec laquelle l’architecture actuelle d’Internet peut être exploitée pour répandre la désinformation et la haine. Il s’agit aussi bien d’un problème d’acteurs malintentionnés que de structures d’incitation intégrées aux modèles de gestion des acteurs numériques et notamment des plateformes de médias sociaux. Ces structures sont souvent conçues pour utiliser des astuces comportementales afin d’attirer et de conserver certains publics qui seront ensuite exposés à des messages payants toujours plus nombreux. En effet, ces plateformes ont jusqu’à présent permis à n’importe qui, se trouvant n’importe où, de payer pour atteindre un public très ciblé. Il peut s’agir d’une publicité pour du dentifrice, d’un message politique ou d’une campagne de recrutement reposant sur la désinformation ou la haine. Jusqu’à récemment, le modèle était indifférent à l’exactitude ou à l’intégrité du message, ce que le rapport intitulé Le miroir éclaté appelait la « neutralité envers la vérité ». Comme les entreprises de plateformes le reconnaissent aujourd’hui, nombre de « fausses nouvelles » attirent un plus large public, car elles jouent sur les émotions et leur promotion se fait souvent à renfort de publicités numériques extrêmement ciblées.

Cela influe sur l’intérêt public à bien des égards. Tim Wu, professeur de droit à l’Université Columbia, est l’auteur de nombreuses publications où il explique comment Internet, à l’instar d’autres nouvelles technologies de communication auparavant, s’est rapidement retrouvé entre les mains d’une poignée d’acteurs peu soucieux de l’intérêt public ou peu expérimentés en la matière. L’Europe, qui ne compte aucun leader mondial dans le secteur, se montre la plus active dans la lutte contre la domination de ce marché et est depuis des années en bagarre avec Google en particulier. Les autorités de la concurrence de l’Union européenne s’intéressent principalement à l’utilisation par Google de dispositions contractuelles qui lui permettent d’exploiter sa position dominante dans le secteur des systèmes d’exploitation mobile et de recherche pour privilégier d’autres produits lui appartenant. L’Allemagne a ouvert une enquête sur le rapport entre la domination du marché et les mesures de protection de la vie privée sur Facebook, en faisant valoir qu’une société dominante sur un marché offrant un service social quasi essentiel doit respecter une norme différente en matière de protection de la vie privée (car les utilisateurs n’ont pas beaucoup de choix, hormis celui d’accepter tout ce qui est demandé dans les modalités de service). De plus, la commissaire à l’information du Royaume-Uni demande énergiquement des comptes à des entités telles que Facebook et Cambridge Analytica qui ont commercialisé les données de dizaines de millions de personnes à des fins politiques.

Bien entendu, il faut aussi réfléchir sérieusement à la manière dont on peut influencer le comportement d’acteurs malintentionnés. Internet permet à des personnes autrefois marginalisées de trouver de l’aide auprès de sous-cultures en ligne et à d’autres individus de les conditionner ou de les inciter à commettre des actions plus radicales. Dans deux tueries récentes qu’a connues le Canada – la fusillade perpétrée dans une mosquée de Québec visant des musulmans et l’attaque à la camionnette, à Toronto, où le conducteur a surtout voulu faucher des femmes sur les trottoirs de la rue Yonge –, les recoins les plus sombres d’Internet ont joué un rôle certain. À Toronto, l’accusé appartenait à une sous-culture misogyne en ligne, connue sous le nom de « incel », abréviation d’« involontairement célibataire », qui existe dans ce qu’on appelle la « manosphère ». Quant au meurtrier de Québec, Alexandre Bissonnette, ses peurs et ses préjugés avaient été renforcés par une consommation régulière de messages islamophobes en ligne. Lors de l’audience de détermination de sa peine, on a appris qu’il suivait assidûment les comptes Twitter de personnalités de Fox News, à savoir Tucker Carlson et Laura Ingraham, de l’ancien dirigeant du Ku Klux Klan David Duke, d’Alex Jones d’Infowars, du théoricien du complot Mike Cernovich, du nationaliste blanc Richard Spencer, de la conseillère principale de la Maison-Blanche Kellyanne Conway et de Ben Shapiro, le rédacteur en chef du site d’information conservateur The Daily Wire. Évidemment, certains d’entre eux sont des conservateurs de bonne foi et d’autres des suprématistes blancs et des théoriciens du complot, mais cet élément de l’affaire montre comment Internet peut être utilisé pour renforcer la haine chez certaines personnes et les pousser à passer à l’acte.

Dans ces deux tueries, la colère s’est transformée en haine dans la nouvelle sphère publique numérique. Des personnes telles que des journalistes et des élus surveillaient aux frontières de l’ancienne place publique. Aujourd’hui, ce qu’on appelle la fenêtre d’Overton, qui définit les limites du débat public « acceptable », a été largement ouverte par Internet. Et ainsi, de nouvelles séries de questions se posent quant aux rôles et responsabilités des producteurs et distributeurs numériques de l’information et, surtout, sur le rapport entre la liberté d’expression et l’incitation en ligne à commettre des actes de violence hors ligne.

Internet pullule d’exemples d’intimidation, de racisme, de misogynie et de recrutement extrémiste. Les minorités et les femmes sont les premières cibles de ces abus. D’après une étude réalisée par Amnistie Internationale en 2017, environ un quart des femmes interviewées dans huit pays ont été victimes d’injures sur Twitter, et un quart d’entre elles ont fait l’objet de menaces physiques et sexuelles. C’est aux États-Unis que le problème était le plus marqué, un tiers des femmes y étant victimes de violence. Bon nombre de ces femmes ont choisi, en réaction, de se retirer de la nouvelle sphère publique, ce qui est inacceptable dans une société inclusive.

La croissance inquiétante de la diffusion de la désinformation et de la haine émane d’une sphère numérique qui prend de plus en plus le pas sur les systèmes médiatiques du siècle dernier où les organisations journalistiques étaient les principaux gardiens de l’accès à l’information. Ces organisations médiatiques jouissaient de vastes pouvoirs lorsqu’il s’agissait de déterminer ce qui se savait, qui pouvait s’exprimer et qui était entendu, mais souvent, ne prêtaient pas suffisamment attention aux questions d’équité, d’inclusion et de préjugés. Aujourd’hui, ce rôle de médiation est assumé en grande partie par des systèmes algorithmiques encore plus opaques exploités par des entreprises internationales de plateformes technologiques. Les organisations médiatiques et d’information traditionnelles sur lesquelles les citoyens et citoyennes comptaient pour se tenir régulièrement informés considéraient que leur rôle était la recherche quotidienne de la vérité, aussi imparfaites fussent-elles en réalité. Les nouveaux gardiens de l’information souhaitent mobiliser sans cesse les utilisateurs pour les exposer à une quantité illimitée de publicités.

Même si, par convention, les organisations médiatiques et d’information traditionnelles avaient tendance à favoriser les voix institutionnelles plutôt que celles remettant en question le statu quo, les dissidents – manifestants contre la guerre, défenseurs des droits civiques, écologistes – ont fini par se faire entendre dans le système du XXe siècle. Les extrémistes très éloignés du consensus politique étaient tenus en marge. Que la presse ait fabriqué le consentement, l’ait renforcé ou simplement reflété, les paramètres du débat public encadré par des rédacteurs professionnels correspondaient à des normes sociétales et ont fini par inclure, certes tardivement, la voix des opposants. Personne, des individus en marge aux détenteurs du pouvoir, n’a jamais été pleinement satisfait, mais la quête de vérité des médias aboutissait à un compte rendu généralement de bonne qualité, et toujours imparfait, des courants du débat public. Comme le dit l’écrivain français Albert Camus :

« Une presse libre peut de toute évidence être bonne ou mauvaise, mais sans liberté, la presse ne sera certainement jamais autre chose que mauvaise. »

Dans le nouvel ordre de l’information, des plateformes sont les principaux acteurs qui distribuent, limitent et modèrent du contenu. Leurs algorithmes prennent constamment les décisions qui étaient autrefois du ressort des rédacteurs : quelles nouvelles et informations devraient être diffusées, quelle importance accorder à différents éléments d’information, et quelles personnes et idées sont vues et entendues. Les êtres humains sont en train d’être supplantés dans leur rôle de juges de l’information pertinente par l’intelligence artificielle, l’apprentissage machine, la gouvernance prédictive, les algorithmes des plateformes sociales et les systèmes de surveillance automatique. De fait, les algorithmes sont plus actifs que les rédacteurs traditionnels, puisqu’ils rendent des décisions à chaque seconde qui passe. Du reste, les incitatifs économiques de ce nouveau système ont mené à faire passer l’émotion avant la raison, l’opinion avant les faits, les jugements à l’emporte-pièce avant la délibération, l’anonymat avant l’identité et ce qui peut être décliné à l’échelle mondiale avant ce qui est pertinent au niveau local. Dans le même temps, le principe jeffersonien incarné par un radiodiffuseur public tel que Radio-Canada, selon lequel « l’ensemble du peuple » est en droit d’avoir accès à « des renseignements complets sur ses affaires » par des « canaux d’information communs », a laissé place à des centaines de milliers de minuscules segments de marché cloisonnés de manière opaque et dotés de bulles filtrantes destinées à renforcer encore les préjugés.

L’évolution rapide qui caractérise Internet se poursuit. Une nouvelle génération de médias synthétiques reposant sur l’intelligence artificielle (deepfakes) est en passe de bousculer encore les aptitudes de quiconque à distinguer ce qui est réel de ce qui est monté de toutes pièces, puisque des vidéos peuvent être manipulées sans laisser de trace, permettant ainsi de faire tenir n’importe quels propos à des opposants politiques. Churchill a déclaré un jour : « Un mensonge fait la moitié du tour du monde avant que la vérité ait une chance d’enfiler son pantalon! » À l’époque, le propos était plus amusant que véridique. Aujourd’hui, les nouveaux outils tels que les Groupes Facebook et WhatsApp proposent aux utilisateurs de rejoindre des communautés plus contrôlables mais moins transparentes, voire cryptées. Cela sape le concept même d’un écosystème ouvert de l’information partagée, tout en offrant un refuge à ceux qui se servent de la sphère publique pour semer la confusion et diviser.

Cette capacité d’inhiber le discours et l’action politiques s’étend aux campagnes électorales. L’une de ses expressions les plus insidieuses consiste à utiliser des outils de marketing social pour empêcher les gens de voter, en particulier dans des groupes identifiables perçus comme favorisant des opposants. Ces campagnes de communication très ciblées destinées à empêcher les électeurs de voter sont un moyen efficace et peu coûteux de créer un avantage électoral et elles sont aux antipodes des valeurs démocratiques. On pourrait, entre autres, pour compenser réexaminer les arguments jusqu’à présent peu convaincants en faveur du vote obligatoire qui, en théorie, rendrait caduques les tactiques visant à empêcher de voter.

Au départ, la lutte contre ces problèmes d’utilisation abusive d’Internet a amplement nourri les débats politiques, et les entreprises Internet ont fermé les yeux sur l’étendue du problème et rejeté toute responsabilité hormis celle de permettre aux internautes de s’exprimer. Aujourd’hui, elles sont beaucoup plus conscientes de ces problèmes et elles publient constamment des réponses, dont bon nombre sont critiquées pour leur manque de vigueur ou se révèlent rapidement inefficaces dans certains cas. Les éditeurs de médias d’information crédibles se plaignent que leur contenu continue d’être dévalorisé ou discrédité dans les médias sociaux. Certains, y compris le New York Times, s’indignent de voir que leurs promotions payantes de leurs propres articles sont classées dans des archives de publicité politique récemment constituées. Fait révélateur, les entreprises de plateformes s’opposent résolument à être qualifiées de rédacteurs, d’éditeurs ou de radiodiffuseurs. Ces nouveaux contrôleurs de l’accès à l’information continuent de se considérer principalement comme des catalyseurs neutres de flux de contenu, tout en laissant à d’autres la responsabilité de mesures telles que la vérification des faits. Ils contestent toute responsabilité quant à la nature du contenu au-delà de leurs obligations légales dans des domaines précis, comme la pornographie juvénile. Une des questions essentielles pour les décideurs en matière de politiques publiques est de savoir si le cadre juridique prénumérique actuel est suffisant pour la sphère publique numérique d’aujourd’hui.

Contrairement aux éditeurs d’hier, ils considèrent que la notion absolutiste de liberté d’expression l’emporte sur la responsabilité sociale de conserver un espace civique. Le fait qu’Obama soit né ou pas au Kenya est moins important que de laisser les gens exprimer ce qu’ils choisissent de croire. « Je pense que ce qui est fondamental en l’occurrence est que nous avons créé Facebook pour que ce soit un lieu où différentes personnes puissent s’exprimer. Et différents éditeurs ont des points de vue très différents », déclarait un cadre supérieur de Facebook en juillet 2018 à propos du site conspirationniste d’Alex Jones, Infowars. Après un énorme tollé, Facebook a commencé à trouver des raisons pour lesquelles Infowars porte atteinte à ses normes communautaires et l’aurait, selon les informations parues dans la presse, récemment banni de sa plateforme. Dans une large mesure, les gouvernements n’ont rien fait devant les attaques contre la vérité, en raison de la nouveauté de ces industries, par peur de se devenir par la force des choses arbitres officiels de la vérité et par crainte de freiner l’innovation. En substance, la société connaît un déclin de l’ordre, de la fiabilité et l’intérêt public en échange d’une liberté accrue – énorme compromis qui n’a cependant jamais été débattu.

Résultat, cet écosystème numérique en évolution transforme la façon dont les citoyens et citoyennes interagissent entre eux et avec les gouvernements et autres institutions. La nouvelle sphère publique numérique prend d’assaut les cultures politiques, les paramètres de participation, la civilité du discours civique et la base de la confiance dont dépendent les démocraties et les marchés. La situation exige un débat et un examen publics, ce qui ne signifie aucunement que les gouvernements doivent faire la distinction entre faits et fiction ou entre un message haineux et une critique raisonnable.

Le modèle traditionnel de la place publique où se tiennent des débats démocratiques animés mais civils fondés sur un ensemble commun de faits et une volonté de dialogue (c’est-à-dire de parler et écouter et accepter de ne pas être d’accord) est attaqué, clairement au détriment de la confiance envers les démocraties libérales et, paradoxalement, envers les médias sociaux. Nous sommes aujourd’hui confrontés à une déconnexion entre les capacités offertes par Internet et les intérêts, normes et règlements d’un marché des idées participatif. D’une certaine manière, les défis actuels posés par les innovations et technologies de l’information sont analogues aux problèmes auxquels il a fallu faire face sur les marchés financiers il y a dix ans, lorsqu’on a laissé libre champ aux instruments dérivés et à d’autres produits peu compris mais très rentables. Tout semblait aller bien pour un temps. En laissant des acteurs privés poursuivre leurs propres fins sans que les autorités gouvernementales et les organismes de réglementation n’y aient rien à redire, on a débouché sur une crise qui a détruit des emplois, mis des familles à la rue, paralysé l’investissement et ruiné la confiance dans les systèmes financiers et politiques. Ce risque systémique, ainsi nommé parce que ses répercussions se ressentent bien au-delà de leur point d’origine, était le produit de politiques publiques qui n’ont pas su moderniser les règles d’engagement des acteurs privés.

Bien entendu, ce n’a pas été la fin des marchés financiers. Et les organismes de réglementation n’ont pas non plus été chargés de juger les différents échanges commerciaux ou instruments financiers. Au lieu de cela, on a adopté des politiques macroprudentielles qui ont imposé aux opérateurs de nouvelles exigences afin d’atténuer les risques futurs et une possible contagion. Le système financier continue de fonctionner et d’innover sous le contrôle des banquiers, des opérateurs et d’autres, mais un seuil de gouvernance plus élevé a été fixé pour protéger un intérêt public mieux apprécié.

Aujourd’hui, il existe aussi un risque systémique lié aux technologies numériques sur les marchés démocratiques. Les nouvelles frontières de la désinformation numérique et de la haine sur Internet exigent d’apporter une réponse tout aussi prudente en matière de bonne gouvernance. Bien qu’il s’agisse de secteurs pionniers de la communication, des mesures favorables à une information fiable et à la responsabilité algorithmique représentent des impératifs sociaux, politiques et économiques vitaux pour le Canada et, à n’en pas douter, pour le monde entier. Tout comme pour le secteur financier, de nouvelles initiatives de gouvernance doivent être définies non pas pour faire obstacle à l’innovation, mais pour favoriser la liberté individuelle et la transparence des marchés. Comme pour la crise financière, une absence de gouvernance raisonnable invite les excès et, au final, nuit à la confiance en Internet lui-même. La crainte qu’on demande au gouvernement de faire le tri entre mensonges et vérité est légitime et fondamentale dans la manière dont une démocratie fonctionne. Nous montrerons que cette approche autoritaire n’est pas nécessaire pour trouver des solutions.


Nous avons formulé les six hypothèses suivantes qui, ensemble, orientent les pistes politiques présentées ci-dessous.

Hypothèse 1

L’accès à une information fiable est essentiel au bon fonctionnement d’une démocratie et à une société cohésive. On ne saurait tolérer les attaques directes dont elle fait l’objet. Les institutions démocratiques doivent gérer de nouveaux risques.

Les externalités négatives causées par Internet constituent une menace pour nos institutions démocratiques, la cohésion sociale et les valeurs sous-jacentes d’un discours animé mais civil. S’il est plus facile que jamais d’entrer dans une nouvelle sphère publique numérique, les escrocs qui font le commerce de la désinformation et de la haine y abondent toutefois. L’élection présidentielle américaine de 2016, le référendum sur le Brexit et une série d’élections dans le monde soulignent ces risques croissants pour les fonctions démocratiques. La bonne volonté et le partage des connaissances qui constituent le fondement de notre démocratie sont érodés, et l’information dont les citoyens et citoyennes ont besoin pour participer véritablement aux décisions démocratiques se révèle être bien trop exposée aux abus et aux manipulations.

Hypothèse 2

Il incombe aux représentants élus de s’assurer que la sphère publique n’est pas polluée par la désinformation et la haine, en fixant des règles et non en agissant en organes de réglementation.

Les médias sociaux ont naturellement tendance à privilégier la tribalisation en utilisant des bulles filtrantes et en comptant sur l’efficacité commerciale du microciblage. Des acteurs malveillants qui cherchent à semer la confusion et à diviser exploitent ces spécificités. Le Canada est un pays dont la prospérité repose sur sa diversité. Il ne peut pas se permettre de laisser un Internet ouvert devenir une nouvelle gare de triage et un instrument amplifiant la voix de ceux qui sont résolus à monter les Canadiens et les Canadiennes les uns contre les autres. Tout comme, au début des années 1970, il a introduit dans le Code criminel des dispositions destinées à protéger les groupes vulnérables et à refléter ainsi les valeurs canadiennes, le gouvernement du Canada doit à présent réexaminer les réponses que le nouveau monde numérique lui impose d’apporter. Ces règles seront respectées par les citoyens et les citoyennes, les organismes de réglementation indépendants, la police, les procureurs et les tribunaux.

Hypothèse 3

Les politiques ont un rôle nécessaire à jouer; l’autoréglementation est insuffisante.

Nombre des problèmes évoqués dans ce rapport ont été largement discutés dans les médias et se retrouvent au cœur du discours public et politique. Toutefois, il existe encore un mouvement influent en faveur du laissez-faire. Certains soutiennent que les menaces sont exagérées, que les entreprises de plateformes sont les mieux placées pour régler tous les problèmes éventuels et qu’un excès de zèle du gouvernement pourrait nuire à l’innovation et même à la libre expression. D’autres dans le secteur des technologies assurent aux gouvernements et au public qu’ils déploient des efforts considérables pour limiter les préjudices sociaux causés par leurs produits. Voilà près de dix ans que ces promesses sont répétées. Et même si elles peuvent être sincères et peut-être efficaces, l’autoréglementation en matière de démocratie numérique n’a pas plus de chance de réussir que sur les marchés financiers, car les incitatifs économiques l’emportent. Selon nous, les externalités négatives dont souffre notre démocratie vont probablement s’aggraver et exigent que tout un ensemble de solutions de politique publique coordonnées soient apportées.

Hypothèse 4

Les politiques publiques doivent traiter ce problème principalement comme un problème d’offre, tout en créant des conditions pour que les citoyens et des citoyennes reçoivent une meilleure éducation civique et soient mieux informés des risques numériques. Au bout du compte, les citoyens et les citoyennes sont en droit d’attendre des producteurs et des distributeurs de l’information civique qu’ils respectent des normes en matière de transparence et de responsabilité.

Si une meilleure éducation civique est clairement nécessaire, notamment en matière de culture numérique et de pensée critique, comme nous le verrons dans notre section consacrée aux politiques, il ne revient pas uniquement aux citoyens et aux citoyennes de distinguer les faits de la fiction ou de résister à ceux qui cherchent à exploiter leurs craintes et leurs angoisses. Le problème de la désinformation n’est pas simplement un problème de choix binaires entre la vérité et le mensonge, mais un problème de méthodes complexes de manipulation comportementale qui reposent sur l’intelligence artificielle. On ne peut pas attendre des citoyens ou des citoyennes qu’ils consacrent énormément de temps à discerner les informations fiables des autres, et fassent l’effort cognitif intense nécessaire, étant donné notamment que leur attention est extrêmement sollicitée. Un plus grand engagement civique est un facteur important pour toutes sortes de raisons associées à une démocratie saine. Et l’inclusion économique et sociale est le premier principe de maintien d’une cohésion contre la polarisation. En ce qui concerne la gouvernance d’Internet, toutefois, le problème essentiel est l’infiltration d’un mélange toxique dans le corps politique, et non le corps politique en lui-même. Comme avec la pollution du lac Érié, il y a une vingtaine d’années, on peut et on doit alerter les baigneurs pour qu’ils n’entrent pas dans un lac contenant des produits chimiques qui pourraient nuire à leur santé et à leur bien-être. Mais l’objectif ultime est bien de dépolluer le lac.

Hypothèse 5

La gouvernance de la technologie et de ses impacts sociaux doit être pensée de manière à ne pas entraver l’innovation ni limiter la liberté d’expression.

La gouvernance des technologies liées à Internet est particulièrement complexe, et ce pour deux raisons. Premièrement, la nature de la bête : les technologies de l’information produisent un flux constant de changements rapides et profonds. Deuxièmement, du fait que, dans les sociétés démocratiques, les gouvernements ont pour obligation de protéger la liberté d’expression et le droit de profiter de cette liberté. Ces nouveaux marchés de l’information exigent néanmoins un régime de gouvernance, car la désinformation, la haine et le recrutement extrémiste nuisent au dialogue démocratique et présentent des risques pour les institutions démocratiques. Une bonne partie de la réponse doit consister à veiller à ce que les marchés de l’information soient véritablement ouverts et concurrentiels.

Hypothèse 6

Le Canada devrait jouer un rôle de premier plan pour ce qui est de garantir un Internet ouvert et digne de confiance. Et il doit aussi demeurer un chef de file pour ce qui est de s’assurer que la liberté d’expression s’impose comme le moyen de défense ultime contre des comportements antidémocratiques.

Il existe selon nous un intérêt général fort, et un réel besoin, à élaborer un programme de gouvernance afin de régler le problème de la désinformation qui se distingue des paradigmes dominants courants, à savoir le modèle adopté par l’UE pour réglementer la parole et augmenter les mesures de protection de la vie privée, l’approche de laissez-faire des États-Unis et le modèle autoritaire de surveillance et de contrôle de la Chine. Selon nous, le Canada, pays à l’économie de marché technologiquement avancée, doté d’un secteur public respecté, est idéalement placé pour ouvrir la voie à cette « quatrième approche ». Il se distingue par une élaboration soigneuse et fructueuse des politiques dans les industries culturelles, y compris celles qui régissent, dans le respect du processus prévu, les formes d’expression extrêmes ou autrement inacceptables, en vertu du droit constitutionnel à la liberté d’expression et de la clause de limitation prévue à l’article 1 de la Charte des droits et libertés. Les menaces sont bien réelles. Dans le même temps, toute réponse apportée doit être proportionnelle aux dangers que l’on cherche à contrer et doit défendre le droit à la liberté d’expression.

On ne voit pas au Canada les mêmes degrés de fragmentation et de polarisation que dans certaines autres démocraties libérales. Depuis longtemps reconnu comme chef de file mondial en matière de politique culturelle et de communication, le Canada dispose des capacités voulues pour agir en coordination avec d’autres et partager des pratiques exemplaires, notamment dans le cadre du G-7, du G-20, du Commonwealth, de la Francophonie, de l’APEC et de l’OCDE. De plus, les élections nationales et provinciales qui se tiendront au Canada dans les 18 prochains mois constitueront un terrain d’essai en conditions réelles pour les nouvelles approches politiques. Par l’orientation qu’il donnera à sa politique d’Internet, le Canada aura l’occasion de servir de chef de file mondial en la matière.


De notre point de vue, l’élaboration d’un cadre stratégique pour des questions aussi urgentes, vastes et complexes que celle de la diffusion de la désinformation et de la haine sur Internet par de nombreux acteurs aux motivations différentes dans un système qui, par sa structure et sa culture, n’est pas adapté à une autoréglementation, nécessitera une série de réponses interdépendantes testées et mesurées dans le temps. Il n’y aura pas de solution unique. Dans cette optique, nous proposons quatre catégories de réponses politiques et, pour chacune d’elles, une liste d’options à étudier.

  1. Restauration de la confiance et de l’intÉGRITÉ informationnelle

La première ligne de défense contre les mauvais usages d’Internet en général, et des plateformes de sociales en particulier, consiste à modifier l’équation entre récompense et risque par des mesures de responsabilisation et de transparence. Nous devons nous efforcer d’intégrer les radiodiffuseurs, les éditeurs et les plateformes dans un régime réglementaire et juridique cohérent. Personne ne veut que les gouvernements réglementent la liberté d’expression et il est inutile de même envisager de franchir cette limite. Mais les doctrines de l’équité, les lois sur les discours haineux et les formes civiles de responsabilité fonctionnent depuis de nombreuses années dans le cadre de ce que l’article 2(b) de la Charte des droits et libertés appelle « la liberté de la presse et des autres moyens de communication ». Fondamentalement, l’autoréglementation n’est pas une option viable sans la sévérité du marteau de l’intérêt public.

Voici quelques options politiques à étudier :

  1. Obliger les éditeurs de contenu à s’identifier

À l’instar de ce qui existe pour les radiodiffuseurs et les éditeurs, imposer à tous les producteurs et diffuseurs de contenu numérique de s’identifier et d’identifier leurs propriétaires réels sur leurs plateformes et leurs sites dans des termes clairs (c’est-à-dire pas de sociétés à numéros ni d’autres moyens d’opacifier l’identité du propriétaire). Tout site ou groupe de médias sociaux (à partir d’un seuil à définir) qui diffuse des contenus politiques sans une telle identification – qu’il soit inscrit ou pas en tant que tiers auprès d’Élections Canada à des fins de publicité – sera passible d’une amende. Les effets délétères de l’anonymat en ligne, ainsi que les contre-arguments selon lesquels il offre une protection nécessaire aux lanceurs d’alerte et aux dissidents, font l’objet de débats nourris. Si nous préconisons une identification par les utilisateurs dans des circonstances normales, nous pensons que cette décision doit revenir aux plateformes elles-mêmes. Toutefois, l’identification des propriétaires de sites est un principe fondateur de la reddition de comptes et devrait être obligatoire.

  1. Imposer aux plateformes l’obligation de s’assurer que leurs contenus respectent les exigences légales et réglementaires

Tous les éditeurs de nouvelles, d’informations et de messages politiques, quelle que soit la plateforme, doivent être tenus responsables de s’assurer que tous les contenus qui apparaissent sous leur nom de domaine respectent la réglementation, les lois et la common law. Certaines entreprises technologiques font valoir qu’elles s’apparentent à des entreprises de téléphonie, permettant simplement à des personnes de communiquer. Cet argument ne tient pas pour deux raisons : elles programment des algorithmes pour décider de qui voit quel contenu, agissant ainsi comme des rédacteurs et des éditeurs; et leurs communications ne sont pas individuelles, mais touchent potentiellement des milliards d’utilisateurs. Même si elles ne créent pas leur propre contenu, elles le diffusent, qu’il s’agisse de contenu conforme à la vérité, de mensonges ou de contenu haineux, et elles influencent directement les comportements des utilisateurs, beaucoup plus que ne le font les médias traditionnels.

Ces entreprises doivent donc être soumises, comme les autres éditeurs et radiodiffuseurs, aux lois relatives à la diffamation, à l’obscénité, aux discours haineux, à la pornographie et aux droits de la personne, entre autres. Toutes les obligations qui s’appliquent aux éditeurs de contenu imprimé et aux radiodiffuseurs, comme les doctrines de l’équité, doivent également être étendues au monde numérique. Les éditeurs de contenu imprimé sont responsables de chaque mot et chaque image diffusés. Ils ne sont cependant pas soumis à une censure gouvernementale, ce qui est essentiel en démocratie. Au lieu de cela les citoyens et les citoyennes, les organismes de réglementation (dans le cas de la radiodiffusion), les tribunaux des droits de la personne, les procureurs, etc. peuvent porter plainte. Les éditeurs connaissent les différentes lois et la réglementation qu’ils doivent respecter et s’y conforment presque toujours. Il est imaginable que, dans la société actuelle, les plus grands diffuseurs d’informations soient dispensés d’obligations légales. Nous savons que le Comité de la culture, des médias et du sport de la Chambre des communes du Royaume-Uni a recommandé de créer un niveau de responsabilité séparé pour les plateformes. Cela ne nous apparaît pas nécessaire.

  1. Mettre en place une réglementation exemplaire de la transparence dans la publicité

Le gouvernement fédéral doit définir des règles imposant de nouvelles mesures efficaces pour la transparence en matière d’annonces politiques dans les médias numériques, dont certaines iront plus loin que les modifications actuelles prévues dans le projet de loi C-76. En l’état actuel des choses, il est impossible pour les électeurs ou les instances de réglementation des élections d’avoir une idée précise de l’identité des acheteurs d’espaces publicitaires et des segments de population qu’ils visent. L’exposition du public à une manipulation par le biais d’annonces électorales avant, pendant et après les élections fédérales de 2019 est bien réelle. La législation devrait inclure les points suivants :

  • Divulgation des annonces en temps réel. Des informations claires sur l’annonce doivent figurer dans sa charge utile (p. ex. une fenêtre contextuelle flottante pour les annonces textuelles et illustrées ou un texte en sous-titres pour les annonces vidéo). Les données suivantes doivent être incluses :
    • Commanditaire de l’annonce, y compris le montant dépensé, le nom de l’organisation qui a acheté l’espace publicitaire et une liste ou un lien vers ses donateurs divulgués;
    • Paramètres de temps et de ciblage : la période pendant laquelle l’annonce est visible, les caractéristiques démographiques sélectionnées par l’annonceur (le cas échéant), l’organisation à laquelle appartient la liste de ciblage personnalisé sur laquelle figure le destinataire et (le cas échéant) les caractéristiques démographiques qui indiquent pourquoi le destinataire a été inclus dans une liste de cibles « similaires »;
    • Indicateurs d’engagement : nombre d’impressions à atteindre pour lequel l’annonceur a payé, nombre d’engagements actifs par les utilisateurs, et si l’annonce est amplifiée par le recours à des bots.
    • Équité en matière de prix : les entreprises de médias numériques devraient aussi être tenues de divulguer les coûts facturés aux annonceurs politiques afin d’éviter toute discrimination par les prix dans le système opaque des enchères programmatiques. Il est déjà interdit aux radiodiffuseurs de proposer des prix préférentiels afin d’éliminer tout risque de favoritisme tarifaire.
    • API ouverte aux données publicitaires : toutes les informations contenues dans la divulgation en temps réel de chaque annonce seraient compilées et conservées par des plateformes d’annonces numériques dans des bases de données lisibles et consultables par machine disponibles à l’aide d’une API ouverte dans les 24 heures suivant la publication d’une annonce. Si l’annonce mentionne un candidat, un parti politique ou un enjeu électoral majeur, elle sera enregistrée. De plus, cette base de données inclurait les chiffres sur les indicateurs d’engagement, notamment le nombre total d’engagements des utilisateurs et le nombre total d’impressions (payés ou non). Ces données seraient tenues à la disposition du public en ligne à tout moment.
    • Vérification des annonceurs : Les autorités électorales devraient imposer aux vendeurs d’annonces numériques l’obligation de connaître leurs clients – comme dans le secteur des investissements et le secteur juridique – afin de vérifier l’identité des annonceurs politiques et de prendre toutes les mesures nécessaires pour éviter que des ressortissants étrangers essaient d’influencer les élections.
    • Plafonds de dépenses : l’instauration de plafonds de dépenses séparés pour les annonces numériques des partis politiques et de tiers résoudrait la question des écarts de coûts entre les annonces imprimées et radiodiffusées onéreuses et les coûts relativement faibles des unités de publicité numérique. Cela serait un moyen efficace de préserver l’intention de limiter la diffusion de messages dans un média donné présentant des réalités tarifaires différentes. Ne pas le faire revient de fait à autoriser beaucoup plus d’annonces (avec une transparence bien moindre) que prévu par les plafonds de dépenses actuels.
  1. Soumettre les algorithmes à des audits réguliers par des autorités indépendantes, comme cela est recommandé dans d’autres pays, et en tenir les résultats à la disposition du public, tout en protégeant la propriété intellectuelle des algorithmes mêmes

Les algorithmes ont l’immense pouvoir de déterminer qui voit quoi et quand. Leur influence les rend essentiels pour l’intérêt public. Ils doivent par conséquent être mis à disposition d’une autorité publique compétente aux fins de vérification, et celle-ci sera habilitée à rendre l’audit accessible, à titre confidentiel, à des chercheurs. Comme c’est le cas pour la vérification des états financiers, cela favorisera un marché plus honnête et mieux informé. Il est arrivé que des chercheurs indépendants utilisent des moyens indirects pour accéder à des algorithmes afin de corriger les sous-estimations des entreprises et de montrer combien de personnes ont réellement été exposées à la désinformation russe. Cet accès devrait être possible de façon planifiée et non par subterfuge. De même, une liste répertoriant les plaintes du public auprès des entreprises de plateformes relatives à des questions d’exactitude ou de haine, les réponses apportées et le temps écoulé entre la plainte et la mesure prise devrait également être publiée régulièrement à l’intention du public et à des chercheurs.

  1. Exiger que les plateformes identifient clairement les comptes de médias sociaux automatisés

L’amplification de messages par des bots est devenue un mécanisme central pour la diffusion de la propagande et de la désinformation, tant par des acteurs étrangers que par des partis politiques nationaux. L’activité des bots est particulièrement forte sur Twitter, où pendant trop longtemps le modèle économique de la plateforme a privilégié l’engagement plutôt que l’intégrité du discours civique. Les bots représentent cependant un défi croissant sur Facebook et WhatsApp et ils deviendront probablement un problème plus vaste à mesure qu’arriveront sur le marché des assistants vocaux reposant sur l’IA tels que Google Duplex. Les plateformes indiquent qu’elles travaillent actuellement à la suppression des bots, qui sont créés en quantités astronomiques chaque jour. La transparence permettra de commencer à s’attaquer à ce problème. Les utilisateurs doivent savoir s’ils échangent avec un humain, un bot ou parfois une combinaison des deux. Les plateformes devraient avoir l’obligation d’identifier clairement les comptes automatisés, comme l’envisage le projet de loi « Blade Runner » en Californie.

  1. Remettre en place un recours non pénal pour enquêter sur les discours haineux et y réagir

En 2013, un projet de loi émanant d’un député conservateur a entraîné l’abrogation de l’article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, considéré comme la disposition anti-haine. On reprochait à l’article de chercher à étouffer ce que les défenseurs de la liberté d’expression considéraient comme des propos controversés et non haineux. L’absence de recours administratif qui a découlé de cette abrogation supprime aussi le moyen le plus simple de lutter contre les discours haineux. Les poursuites pénales sont beaucoup plus laborieuses pour la police, les procureurs, les plaignants et les accusés. Si elles sont justifiées dans les cas les plus extrêmes, elles gagnent à être associées à un outil moins lourd, comme l’article 13, qui peut donner lieu à des réponses aussi simples que des ordonnances de cesser et de s’abstenir exécutées par les tribunaux. Dans le même temps, il faudrait déterminer si seuls les particuliers peuvent déposer plainte ou si l’organe administratif le peut aussi; si le coût des plaintes déposées par les victimes d’attaques haineuses doit être pris en charge par l’État au moyen d’une sorte d’équivalent du Fonds de contestation judiciaire; si les dépens doivent être accordés; et quelles règles doivent être mises en place afin d’éviter les plaintes frivoles et vexatoires.

On ne saurait nier qu’Internet soumet la population canadienne, en particulier les minorités et les femmes, à un déferlement de haine, ce qui n’était pas prévu lorsque l’article 13 a été éliminé de l’arsenal législatif.

  1. Créer un comité spécial pour faire participer le public à un examen et à un débat sur les problèmes de désinformation, de discours haineux et de liberté d’expression dans la nouvelle sphère publique numérique

Certaines de ces questions – et d’autres – peuvent être examinées par un comité indépendant chargé d’étudier et de publier des rapports sur les lois contre les crimes haineux, la désinformation, le harcèlement et l’intimidation dans un contexte numérique moderne. Ce comité évaluera ces sujets dans le contexte de la liberté d’expression, de la sécurité publique et de la dignité humaine.

Comme dans bien d’autres domaines, Internet a réduit les obstacles à l’entrée en ce qui concerne la haine, les personnes haineuses et autres diffuseurs de mensonges et de désinformation. Ces formes de messages fallacieux existent depuis des siècles, mais Internet offre un moyen beaucoup plus puissant pour répandre des messages haineux et de susciter des réactions à ces derniers. La publication d’un message en ligne crée assurément bien moins de frictions que l’impression et la distribution d’un tract. Ces messages sont également plus difficiles à repérer dans les tréfonds du Web, notamment dans les groupes privés sur les réseaux sociaux.

Cela dit, dans une société libre, le seuil de déclenchement des mesures de restriction contre tout type de discours est en général extrêmement élevé. Le fait qu’un discours mette quelqu’un mal à l’aise ne suffit à l’évidence pas à justifier une intervention. Qu’en est-il lorsque des discours de harcèlement (comparables à de la violence verbale) tenus par une myriade de trolls et amplifiés par des bots jusqu’à exclure une personne du débat public, la privant de possibilité de s’exprimer? Dans de tels cas, les doctrines qui régissent les radiodiffuseurs doivent-elles s’appliquer? Des lois visant à mettre fin à ce type d’intimidation seraient-elles constitutionnelles aux termes de l’article 2(b) de la Charte des droits garantissant la liberté d’expression? Seraient-elles jugées acceptables en vertu du critère des limites raisonnables de l’article 1 de la Charte?

Malgré l’existence d’une vaste jurisprudence, nombre de ces questions sont nouvelles dans un nouveau contexte qui reflète l’évolution récente de la sphère publique numérique. Ni les bonnes et les mauvaises réponses ni l’équilibre approprié ne sont forcément évidents. Ces questions sont complexes et importantes et elles méritent une réflexion approfondie. Dans les années 1960, avant l’adoption de la Charte, une commission présidée par Maxwell Cohen, doyen de la Faculté de droit de l’Université McGill, s’est penchée sur le même type de questions relatives à l’équilibre entre les droits, la sécurité et la dignité. Elle a finalement formulé des recommandations qui ont servi de base, au début des années 1970, à la législation canadienne sur les discours haineux contenue dans les articles 318 à 320 du Code criminel. « Les Canadiens, membres de groupes identifiables au Canada ont le droit de jouir des libertés et des privilèges des citoyens canadiens, protégés contre toute propagande de haine odieuse et méthodique. Dans une société démocratique, la liberté de parole n’implique pas le droit de diffamation », a déclaré la commission.

La Commission Cohen a travaillé en étroite collaboration avec le gouvernement, le monde universitaire et la société civile pour déterminer l’étendue du problème et apporter les meilleures réponses. Un tel processus est peut-être à nouveau nécessaire pour le monde très différent des communications dans lequel nous vivons aujourd’hui. Un comité participatif plus moderne pourra être invité, entre autres, à étudier l’impact de l’ère du numérique sur l’équilibre approprié des libertés, à examiner les mesures prises par d’autres pays et à vérifier que les lois sur les crimes haineux sont adéquates dans le nouveau monde numérique. Il pourra également évaluer si une loi distincte sur la diffusion de fausses nouvelles se justifierait. Jusqu’à ce qu’elle soit déclarée inconstitutionnelle dans l’affaire Zundel en 1992, une telle loi a existé pendant 100 ans sous la forme de l’article 181 du Code criminel du Canada, qui disposait ce qui suit : « [e]st coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de deux ans quiconque, volontairement, publie une déclaration, une histoire ou une nouvelle qu’il sait fausse et qui cause, ou est de nature à causer, une atteinte ou du tort à quelque intérêt public. » Le comité lancera un dialogue et un débat avec le public sur la période critique que traverse le Canada, à l’instar des autres démocraties libérales.

  1. Renforcement de l’infrastructure civile du Canada

Internet promettait de renforcer l’engagement civique et d’amplifier la voix des personnes exclues du débat public et marginalisées, voire maltraitées, dans notre démocratie. Pendant un moment, il y avait des raisons d’être optimiste. Du Printemps arabe au mouvement #MeToo, la technologie a fait émerger de nouvelles formes puissantes d’action collective. Mais il est aujourd’hui manifeste que la concentration d’Internet et le modèle de capitalisme de surveillance qui l’a favorisée ont également de nombreux effets négatifs sur notre infrastructure civile. En fin de compte, la capacité des citoyens et des citoyennes de prendre des décisions collectives en pleine connaissance de cause reste le seul filet de sécurité fiable d’une démocratie. En l’absence d’informations fiables et largement consommées par une population éduquée et informée, la gouvernance collective a peu de chances de réussir. Pour consolider son infrastructure civique, le Canada doit :

  1. Élaborer une stratégie pour soutenir le journalisme en tant que bien public

Comme l’explique Le miroir éclaté, la situation économique des groupes de presse exige des réponses politiques, si l’on ne veut pas que ce bien public soit irrémédiablement affaibli. Cet impératif devient de plus en plus urgent à mesure que se réduisent la qualité et la nature de notre diète informative. Internet a absorbé le cœur du modèle économique du journalisme du XXe siècle. En 2017, près des trois quarts de la publicité numérique et la quasi-totalité des publicités numériques supplémentaires sont allées à deux entreprises Internet seulement, Google et Facebook. Si les abonnements aux titres de presse connaissent une légère hausse par endroits, cela concerne principalement des marques références mondiales (comme le New York Times), certains créneaux ou des marchés dédiés aux modes de vie (The Information, The Athletic, etc.).

Les modèles payants peuvent aider certaines publications, mais ils constituent également une arme à double tranchant, car ils limitent le lectorat à une élite qui en a les moyens. Selon la rigidité des verrous d’accès payant, ils peuvent priver d’oxygène informationnel l’écosystème plus large et compromettre l’objectif de fournir aux citoyens et aux citoyennes des bases d’informations communes qui leur permettent de participer au débat public. Si les entreprises de presse expérimentent divers modèles en matière de propriété et de recettes au Canada, allant des réseaux de baladodiffusion aux journaux locaux en passant par le journalisme thématique haut de gamme et les communautés fonction de membres, la plupart des jeunes entreprises peinent à se développer. Les travaux du FPP ont cerné deux priorités pour le soutien public : l’innovation numérique et le journalisme de terrain. Le gouvernement fédéral a pris des mesures limitées dans ce sens, mais d’autres initiatives pourraient les compléter, notamment la création d’un deuxième service en source ouverte de La Presse canadienne pour renforcer la couverture médiatique et les reportages locaux sur les institutions démocratiques; une refonte du Fonds du Canada pour les périodiques pour aider à financer les dépenses salariales liées aux journalistes et les investissements d’innovation; et une taxe sur les ventes de publicités numériques ou, plus généralement, sur les recettes numériques qui serait reversée aux producteurs de contenu journalistique.

Dans le budget 2018, la philanthropie est mentionnée comme piste politique prometteuse. Si nous souscrivons à ce diagnostic et estimons qu’une batterie de solutions est nécessaire, rien ne prouve que cette démarche entraînera à elle seule des dons qui atteindront des montants significatifs au regard des défis à relever. En attendant, nous observons les prémices d’une tendance aux modèles à but non lucratif, pour certains locaux et régionaux, qui ne seront pas nécessairement des organismes de bienfaisance. (Nous traiterons ces sujets dans un document séparé mais lié examinant comment soutenir le journalisme, dont la publication est prévue en septembre.)

Une mise en garde : même si une politique en faveur du journalisme en nécessaire pour garantir que les choix démocratiques sont éclairés, il n’existe aucune corrélation certaine entre la fourniture de davantage d’informations fiables et l’assainissement des flux de mensonges qui polluent la sphère publique numérique. Chaque question appelle ses propres réponses.

  1. Lancer une campagne d’éducation civique et de pensée critique, à grande échelle et à long terme

À l’heure actuelle, les campagnes d’éducation numérique sont fragmentaires, limitées à certaines régions, restreintes dans leur portée et trop souvent financées par les mêmes entreprises qui contribuent au problème. Il est nécessaire d’évaluer l’efficacité et la pérennité des mesures ou des initiatives telles que la campagne d’éducation numérique des jeunes CIVIX et SmartMedia, et d’appliquer des modèles éprouvés non seulement aux étudiants, mais aussi à un grand nombre de citoyens et citoyennes. Cela passera par la formation aux outils de confidentialité en ligne, l’éducation sur la manière dont le contenu est diffusé et dont les informations sont ciblées en ligne, une hygiène numérique complète et une sensibilisation à l’intimidation, à la haine et à la partialité en ligne. Cette initiative nécessite un financement important et doit être déployée à tous les niveaux de scolarité et à l’échelle nationale.

  1. Encourager les efforts visant à créer un système de normes destiné à attester de l’intégrité de l’information

Le Canada a déjà un Conseil national des médias qui statue sur les plaintes. L’adhésion volontaire à cette instance envoie un message quant au respect des normes journalistiques. Diverses activités sont en cours dans le monde entier, comme la Journalism Trust Initiative lancée par Reporters Sans Frontières afin de définir les normes qui s’appliqueront aux sites journalistiques qui souhaitent figurer sur une sorte de « liste blanche » signifiant qu’ils sont considérés par les acteurs du journalisme comme répondant aux normes les plus strictes et, par conséquent, qu’ils sont identifiables par les consommateurs et les annonceurs comme des destinations fiables et de qualité.

  1. Créer une organisation souple, extérieure au gouvernement, pour le suivi, la recherche et l’élaboration de politiques, sur une base continue et à long terme

Les menaces et les vulnérabilités résultant des applications des nouvelles technologies et de l’exploitation de leur structure incitative échappent souvent à l’attention et à la compréhension du public et ont, jusqu’à présent, existé à l’abri des regards de nos institutions de gouvernance. Nous ne savons que très peu de choses sur ce qui est fait, par qui et avec quels effets dans ces espaces sans gouvernance à l’intérieur de l’écosystème médiatique – au quotidien ou de façon cumulée. Un programme classique de suivi, de recherche et d’élaboration de politiques est nécessaire et doit être hébergé par une institution canadienne indépendante disposée à travailler avec plusieurs parties.

Au Canada, la recherche sur les aspects les plus sombres des réseaux sociaux et d’Internet en est encore à ses balbutiements et manque de coordination tant dans les moyens déployés que dans les résultats obtenus. Cela signifie que des travaux empiriques et des recherches axées sur les politiques sont publiés de façon morcelée, d’où une compréhension fragmentée chez les citoyens et les décideurs. De même, le travail politique au sein du gouvernement est souvent fragmenté entre les ministères et les organismes et sans lien centralisé avec la communauté scientifique. Ce qui est vrai au niveau fédéral vaut aussi, dans le meilleur des cas, pour les administrations infranationales. De manière générale, il est difficile d’assurer un suivi des travaux de recherche et du travail politique sur la nature de l’infrastructure de l’information numérique et des nouveaux risques pour les institutions et la culture démocratiques, et de les intégrer dans une compréhension canadienne. Une nouvelle organisation avec un vaste réseau mondial et national et dotée d’un mandat mixte portant sur la santé de notre démocratie et la capacité de réagir rapidement aux nouvelles évolutions fait cruellement défaut au Canada. Elle pourrait également offrir un leadership mondial.

  1. PrÉservation de marchÉs de l’information ouverts, concurrentiels et propres

Internet a transformé tous les aspects de l’économie, des loisirs au secteur bancaire en passant par le commerce de détail. Dans une manifestation brutale mais régénératrice de destruction créatrice, les technologies numériques font naître de nouvelles possibilités économiques à mesure qu’elles remplacent les secteurs traditionnels. Dans le secteur des médias, l’impact initial d’une gouvernance d’Internet fondée sur le laissez-faire a été une extraordinaire innovation et un plus grand accès à des formes d’expression. À l’heure actuelle, ces apports positifs sont souvent supplantés par différentes distorsions des marchés de l’information, y compris un oligopole mondial dominé par Google et Facebook. La résolution de questions telles que celle de la concentration exige fondamentalement une coopération internationale. D’autres sujets peuvent être traités par les facteurs d’incitation et de dissuasion de l’économie de marché en dehors de la politique publique, par exemple par des investisseurs activistes préoccupés par la valeur à long terme de leurs participations dans des entreprises telles que les plateformes. Ce genre de pressions a déjà été exercé sur Apple au sujet de l’utilisation de téléphones intelligents par les jeunes. En outre, avec la forte baisse du cours des actions d’entreprises telles que Facebook et Twitter et le préjudice pour leur image de marque, nous pensons que les investisseurs à long terme renforceront leur surveillance et poseront des questions plus pointues.

Toutefois, il appartient en définitive aux gouvernements de garantir par des mesures politiques que les marchés fonctionnent de manière ouverte et équitable et que l’intérêt public est correctement représenté. Ces mesures peuvent inclure la promotion de l’innovation numérique, la création de conditions d’un marché des idées diversifié et dynamique et la garantie de l’accès à Internet par des initiatives telles que des politiques inclusives en faveur d’un accès haut débit et de la neutralité du Net. Voici une liste de mesures à envisager par le Canada :

  1. Créer des politiques fiscales équitables

Ces dernières années, de nombreux pays ont supprimé le traitement de faveur discriminatoire concernant la taxe sur la valeur ajoutée, c’est-à-dire les dispenses fiscales accordées aux entreprises numériques étrangères. La situation actuelle n’est ni juste ni raisonnable : un annonceur canadien ne peut pas bénéficier de réductions quand il achète un espace dans le New York Times, mais peut en avoir s’il place une publicité sur nyt.com. De même, les dépenses de publicité sur une chaîne de télévision américaine retransmise au Canada ne peuvent être déduites, mais la publicité sur YouTube peut l’être. Pire encore, les entreprises canadiennes présentes dans l’espace numérique subissent un désavantage concurrentiel par rapport aux entreprises étrangères dans la vente de publicités et dans les services d’abonnement. Même la Cour suprême des États-Unis a récemment supprimé des exonérations de taxes de vente précédemment accordées aux prestataires de services numériques.

Le gouvernement canadien a jusqu’à présent formulé cette question en se demandant si les consommateurs devaient être assujettis à une nouvelle taxe sur des services tels que Netflix et non comme une question d’équité fiscale : pourquoi les producteurs canadiens de journalisme original devraient-ils subir des désavantages fiscaux par rapport à leurs concurrents étrangers? Même en laissant de côté les plateformes, il y a lieu de demander pourquoi la politique fiscale encourage un résident du Canada à s’abonner, par exemple, au New York Times ou au Washington Post plutôt qu’au Globe and Mail, au Toronto Star ou à La Presse, comme c’est actuellement le cas.

Pour aller encore plus loin, il convient de se demander pourquoi le New York Times, avec sa version imprimée canadienne et ses quelques journalistes au Canada, n’est pas assimilé à un magazine à tirage dédoublé. Pourquoi son édition numérique ne constituerait-elle pas une forme de dumping sur le stock de publicités au Canada similaire à la situation qui a initialement abouti au refus du traitement fiscal normal en vertu de l’article 19 pour les chaînes de télévision frontalières et les magazines américains avec un contenu canadien limité dans leurs éditions canadiennes?

Pour ce qui est de la taxe à la consommation, nous encourageons le Canada à imiter des pays tels que la Nouvelle-Zélande, l’Australie, la Norvège, la Corée du Sud, le Japon, la Suisse, l’Afrique du Sud, Israël et l’Union européenne, qui sont passés d’une imposition des biens numériques fondée sur la situation géographique de l’entreprise à une imposition reposant sur la situation géographique du client. En ce qui concerne les impôts sur les sociétés, l’OCDE travaille avec ses États membres sur les phénomènes d’érosion de la base d’imposition et de transfert de bénéfices caractéristiques du monde numérique, qui sont fréquents parmi les plateformes mondiales. Là encore, certains pays n’attendent pas la date butoir de 2020 pour formuler des recommandations, mais agissent dès maintenant pour arrêter les pertes fiscales et instaurer des règles du jeu plus équitables. À tout le moins, nous exhortons le Canada à prendre l’initiative de demander un accord international général, tout en se préparant à rejoindre les rangs des pays plus dynamiques si cet accord ne se concrétise pas.

  1. Soutenir les acteurs non gouvernementaux pouvant faire contrepoids aux acteurs dominants du marché

Le Canada a une longue tradition de promotion de contrepoids sur le marché par le gouvernement, par la création d’organismes ou le soutien à des ONG qui font pression sur les gouvernements et soutiennent le dialogue, comme le Comité canadien d’action sur le statut de la femme, ou en aidant les personnes à utiliser des leviers d’influence qui, sinon, dépasseraient leurs capacités, comme avec le Programme de contestation judiciaire.

La créativité des entreprises sociales, les faibles barrières à l’entrée et la facilité de connectivité inhérente à l’économie numérique créent de nombreuses possibilités de contrepoids indépendants face au système dominant. Une ONG américaine appelée United for News travaille avec les annonceurs pour créer des normes de « sécurité de marque » qui garantissent aux acheteurs d’espaces commerciaux que leurs produits ne finiront pas dans des environnements douteux envahis par la désinformation et la haine. Inversant le concept de listes noires, elle cherche à créer des listes blanches de sites jugés fiables.

De même, le Centre canadien de protection de l’enfance est un organisme caritatif qui lutte contre la victimisation des enfants. Il gère cybertip.ca, site de signalement de cas d’exploitation sexuelle d’enfants sur Internet. Si Internet a pu donner naissance à de nombreux sites de ce genre, dont certains sans doute peu fiables et d’autres, peut-être, gérés secrètement par des pédopornographes, cybertip.ca a reçu l’aval officiel d’une loi fédérale. Il traite chaque année des dizaines de milliers de signalements.

Des dispositions similaires pourraient être prises dans d’autres domaines présentant des risques potentiels. On pourrait, par exemple, surveiller les messages haineux ou les activités des suprémacistes blancs en ligne. Le soutien du gouvernement peut contribuer à fournir des ressources à des entités légitimes ou simplement apporter au public l’assurance de leur légitimité.

  1. Mettre l’accent sur les fonctions numériques et l’accessibilité au contenu canadien pour déterminer si les entreprises Internet devraient être assujetties à une nouvelle Loi sur la radiodiffusion et de quelle manière

Le gouvernement fédéral a lancé un examen des lois sur la radiodiffusion et les télécommunications et nommé un groupe d’experts. C’est une occasion unique de se pencher sur des débats de longue date visant à savoir s’il faut considérer, et de quelle manière, les entreprises Internet comme des radiodiffuseurs. Bien qu’elles aient évolué au point de définir le contenu, de le diffuser ou de faire les deux, les plateformes ont affirmé à de nombreuses reprises n’être ni des éditeurs ni des radiodiffuseurs. La clé pour statuer sur ces points se trouve très probablement dans les fonctions qu’elles proposent. Dans certaines de ses activités, YouTube ressemble fort aux radiodiffuseurs réglementés. De même, le fil d’actualité de Facebook compte sur son algorithme pour intervenir, comme des rédacteurs humains, dans la sélection et la hiérarchisation des nouvelles et des informations. En quoi ces fonctions diffèrent-elles de celles d’un radiodiffuseur ou d’un éditeur traditionnel? En revanche, la situation de Netflix est plus discutable quant à savoir s’il s’agit réellement d’un câblo-opérateur « moderne » et on peut se demander à partir de quelle taille un groupe Whatsapp ne relève plus de la communication privée, comme une entreprise de téléphonie, mais s’apparente davantage à un éditeur.

Séparément, le comité d’experts qui étudie la Loi sur la radiodiffusion doit se pencher sur la question, propre au XXIe siècle, de la découvrabilité du contenu à l’heure de la domination de l’écosystème médiatique canadien par des entités internationales. Est-ce qu’une obligation doit leur être imposée pour garantir un affichage minimum de nouvelles essentielles pour l’identité du pays ou l’information de ses citoyens et citoyennes sur leur vie civique en tant que Canadiens et Canadiennes? Cela doit-il prendre la forme de quotas sur les recommandations algorithmiques ou d’autres méthodes pour faire apparaître certains contenus? Si, de toute évidence, ces entités mondiales fonctionnent différemment des anciennes plateformes de communication, le principe séculaire du Canada, État souverain ayant ses propres besoins en matière d’information et d’identité, n’a toutefois pas disparu. D’une façon ou d’une autre, il est satisfait à ces besoins depuis avant la Confédération en appliquant des politiques. La question qui se pose à présent est de savoir quelle forme la politique publique doit prendre à l’ère numérique et, le cas échéant, quel rôle doit jouer la Loi sur la radiodiffusion.

d. Appliquer les règles internationales pour que les entreprises numériques appliquent elles-mêmes les principes des droits de la personne à la gestion de leurs sites et au traitement des contenus haineux

Dans son rapport publié en 2017 intitulé Toxic Twitter, Amnistie Internationale explique qu’en vertu des Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme des Nations unies, Twitter a, en tant qu’entreprise, la responsabilité spécifique de respecter tous les droits de la personne – notamment les droits à la non-discrimination et la liberté d’expression et d’opinion – et de prendre des mesures concrètes pour éviter de porter atteinte à ces droits ou de contribuer à de telles atteintes. Le rapport d’Amnistie Internationale s’inscrit dans le contexte des violences en ligne à l’égard des femmes. Il cite les obligations des plateformes, notamment celle de « prendre des mesures pour identifier, prévenir, traiter et rendre compte des violations des droits de la personne qui sont liées à leurs activités ».

Les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies imposent aux gouvernements nationaux d’utiliser leurs relations commerciales, telles que les appels d’offres, pour exiger que les entreprises rendent des comptes. « Cela confère [aux États]− à titre individuel et collectif − des possibilités inégalées de mieux faire connaître et respecter les droits de l’homme par ces entreprises, y compris par les termes des contrats, en tenant dûment compte des obligations qui leur incombent en vertu du droit national et international. »

  1. Créer une nouvelle génération de politiques de la concurrence pour l’ère numérique

Malgré les faibles barrières à l’entrée, les effets de réseau ont rapidement entraîné une centralisation de l’espace Internet entre les mains de quelques fournisseurs américains dans une grande partie du monde. (La Chine possède ses propres versions de ces fournisseurs.) Les politiques publiques doivent lutter contre la forte concentration des marchés qui en découle, notamment un duopole exercé par Facebook et Google sur les recettes publicitaires en ligne, dont ils captent environ 75 %. Dans de nombreux cas, cette position dominante ne se traduit pas par des prix plus élevés pour les consommateurs, ce qui constitue le critère standard des politiques anticoncurrentielles. Cela donne à penser qu’il est nécessaire de définir des critères correspondant à l’ère du numérique.

Les gouvernements devraient étudier attentivement les mécanismes protégeant l’arrivée de concurrents sur ces marchés, à la fois dans l’immédiat et à l’avenir. La tendance oligopolistique qui existe parmi les plateformes numériques peut être attribuée à la coexistence de coûts fixes de recherche-développement élevés et de coûts marginaux extraordinairement faibles pour l’acquisition de données, selon Allan Dafoe, spécialiste canadien de la gouvernance des technologies à Yale et Oxford. Il explique que cette combinaison confère un immense avantage aux fournisseurs historiques. De même, Yoshua Bengio, pionnier canadien de l’IA, qui fait observer que « l’IA est une technologie qui tend naturellement à ce que ‘le gagnant emporte la mise’ », appelle à une intervention plus musclée en matière de droit de la concurrence.

Voici trois idées politiques qui retiennent de plus en plus l’attention des experts cherchant à réduire le pouvoir des oligopoles numériques :

  • Portabilité/interopérabilité des données : Le Règlement général sur la protection des données (RGPD) de l’Union européenne impose depuis peu aux entreprises de permettre la portabilité des données qu’elles collectent auprès des utilisateurs finaux, ce qui signifie que les utilisateurs peuvent récupérer leurs données et aller chez un concurrent. L’objectif est d’abaisser les barrières à l’entrée pour les nouveaux concurrents en leur permettant d’attirer à eux des clients de fournisseurs historiques ainsi que leurs données. À l’heure actuelle, il semble que la portabilité des données ne suffise pas à produire cet effet concurrentiel. Cette situation conduit beaucoup d’observateurs à se demander s’il serait possible de transformer la portabilité en interopérabilité, ce qui permettrait de commencer à utiliser un nouveau service sans perdre l’accès aux réseaux de contacts constitués sur un ancien service. D’importants défis techniques et de protection de la vie privée doivent être surmontés pour y parvenir, mais il est très prometteur sur de nombreux marchés.
  • Limiter les acquisitions : Rétrospectivement, il apparaît clairement que Facebook et Google ont atteint une position dominante sur le marché par une série d’acquisitions réussies, Instagram, WhatsApp, YouTube et Waze étant les plus connues. Mais ce n’est qu’une petite partie d’une histoire qui comprend toute une stratégie d’acquisitions visant à contrôler des brevets clés, ainsi que des investissements massifs pour renforcer et absorber de jeunes entreprises aux idées prometteuses. À l’avenir, les acquisitions de ce type devraient être mises en suspens, examinées et bloquées si elles risquent d’empêcher le développement d’un marché concurrentiel. Les critères déclencheurs traditionnels, tels que le montant de l’investissement, ne sont peut-être plus suffisants.
  • Interdire les clauses de non-concurrence dans les contrats de travail : Dans leur trajectoire vers leur position dominante, nombre de plateformes numériques se sont concentrées sur la rétention des ressources humaines, en recrutant et conservant les meilleurs talents dans les nouvelles technologies. Derrière cette situation se cache un système de collusion entre les grandes entreprises pour éviter le débauchage de talents entre elles ou l’insertion de clauses de « non-concurrence » dans les contrats de travail. Ces pratiques justifient une enquête.
  1. Établir un meilleur équilibre des pouvoirs entre les médias d’information nationaux qui produisent du contenu et les géants des plateformes mondiales qui le distribuent

Les décideurs politiques pourraient également s’intéresser au pouvoir de négociation inégal entre les producteurs nationaux d’informations et les plateformes mondiales sur les marchés de l’information numérique. Ces dernières modifient régulièrement, et sans préavis, les règles qui régissent leurs relations avec les éditeurs, souvent au détriment de la transmission aux consommateurs de contenus d’information publiés par des sources reconnues. Ce déséquilibre pourrait être corrigé en permettant aux organisations qui produisent du journalisme de service de négocier collectivement le traitement des droits d’auteur et le partage des recettes publicitaires avec les géants des plateformes, ce qui modifierait très légèrement l’équilibre des pouvoirs et les exposerait à des techniques visant à diviser pour mieux régner.

  1. Faire de Radio-Canada un partenaire stratégique dans la production et la diffusion de contenu canadien

Faisons de Radio-Canada un facilitateur civique et non plus un concurrent des médias, un partenaire stratégique et non plus un concurrent stratégique. Radio-Canada, qui est le plus important producteur d’informations et d’autres contenus canadiens, affiche la meilleure santé économique du secteur. Le déclin de la presse écrite conduit à une situation où les recettes totales de Radio-Canada et les recettes publicitaires de l’ensemble des journaux du Canada atteindront bientôt des niveaux équivalents. La question qui se pose de plus en plus est de savoir si Radio-Canada doit continuer de se comporter en concurrent stratégique par rapport au reste du secteur ou devenir un partenaire stratégique. Le miroir éclaté recommande d’étudier cette dernière solution à travers une « démarche de source libre [qui] contribuerait considérablement à faire de ce concurrent de la radiodiffusion publique un fournisseur public universel d’un journalisme de qualité ». Ce rôle de catalyseur doit être une priorité pour le nouveau directeur général de Radio-Canada.

  1. Modernisation de la gouvernance des droits et des possibilitÉs en matiÈre de donnÉes

Les régimes actuels de protection de la vie privée ont une portée limitée, offrent une faible capacité d’action et ne sont pas coordonnés à l’échelle mondiale. Ceci constitue un problème fondamental dans un monde où les données sont devenues des marchandises de très grande valeur qui traversent librement les frontières, et où il en faut une masse critique pour les technologies d’IA comme pour les technologies de publicité microciblée. Une politique des données mal structurée présente un risque réel de perte simultanée de contrôle personnel et de possibilités commerciales au Canada.

La protection de la vie privée ne constitue plus un cadre suffisant pour les nouvelles questions que soulève le monde numérique. En fait, le débat doit se déplacer vers les droits individuels. Sans protections adéquates des données personnelles, la confiance dans le système sera menacée et, avec elle, le potentiel de croissance que représentent les données en tant que facteur de valeur économique. Ce constat devrait donner lieu à une large consultation publique, comme le demande l’initiative Droits numériques.

Il n’y a pas eu d’infraction dans le scandale Cambridge Analytica, mais l’application par le système de ce pour quoi il a été conçu : l’utilisation des données pour un profit économique et politique. De nouvelles règles s’imposent pour encadrer la façon dont les données sur nos vies sont collectées, conservées et utilisées, et au profit de qui. Nous devons également renforcer l’application de la loi.

Voici quelques options politiques pour moderniser la gouvernance des données :

  1. Concevoir un modèle de consentement véritable à la collecte et à l’utilisation de données individuelles

Ce modèle doit être défini de façon générale, régulièrement renforcé et assujetti aux droits de la personne concernée. Le Règlement général sur la protection des données de l’Union européenne (RGPD) offre un modèle par rapport auquel les principes peuvent être évalués. Le temps dira s’il faut y voir une leçon à méditer sur un frein involontaire à l’innovation ou un ensemble de règles innovantes en phase avec son temps. Un juste équilibre entre les droits individuels et les biens collectifs – qu’il s’agisse de possibilités commerciales, d’une amélioration des soins de santé ou d’autre chose – devra être trouvé. Un nouveau régime en matière de données doit comprendre :

  • des conditions d’utilisation des services rédigées dans un langage simple et clair, en gardant à l’esprit les nombreux leviers que les entreprises Internet peuvent utiliser, comme l’accès à des services supplémentaires, pour soutirer les conditions qu’elles veulent;
  • une demande de consentement régulière et périodique; des limitations dans le temps du stockage et de l’utilisation des données;
  • des renseignements clairs sur la façon dont les données sont utilisées, y compris des mesures permettant de connaître les algorithmes utilisés et des explications claires sur les décisions prises au moyen de l’intelligence artificielle;
  • des limitations à l’utilisation des données collectées.

Les partis politiques doivent également être inclus dans la réglementation des données en matière de droits et de protection de la vie privée, comme le préconise le Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique dans un rapport de juin 2018. Le projet de loi C-76 demande aux partis d’adopter une politique sur la protection de la vie privée et de la publier en ligne. Mais comme le souligne le commissaire à la protection de la vie privée, Daniel Therrien, il s’agit là de codes volontaires sans mécanisme de contrôle. « Ni moi ni aucune autre personne indépendante ne peut vérifier ce qui se passe. » Cette situation est contraire aux pratiques exemplaires relevées dans de nombreux autres pays démocratiques. Si les particuliers veulent exercer une souveraineté des données dans leurs relations avec les gouvernements et le secteur privé, comment dès lors justifier que ces droits n’existent pas dans le domaine essentiel de la concurrence politique?

  1. Donner aux particuliers des droits beaucoup plus étendus sur l’utilisation, la mobilité et la monétisation de leurs données

Cela exige en premier lieu d’instaurer de véritables obligations d’information pour que les particuliers sachent quelles données les concernant sont collectées. La portabilité des données doit également être rendue obligatoire. Les entreprises et les organisations qui collectent des données sur leurs utilisateurs doivent permettre d’y accéder dans un format structuré et lisible par machine.

  1. Encourager les banques de données anonymisées qui produisent des biens sociaux

Si la souveraineté des données doit en définitive revenir à la personne concernée, nous devons agir sur les deux fronts simultanément, à savoir soutenir le contrôle individuel des données personnelles et tirer parti des retombées économiques et sociales de l’exploitation des données anonymisées pour le bien commun. La mise en commun de ces données contribuera au bien-être économique et social, comme ce fut le cas, par exemple, avec la première cartographie des gènes. Dans la mesure où ces données étaient libres, de nombreux acteurs extérieurs au processus ont pu les utiliser à diverses fins. En fait, la mise en commun des données sur la santé par le biais d’un système public pourrait bien présenter des avantages économiques inhérents. Il est intéressant de constater que le chef de la direction de la Banque Royale du Canada, David McKay, a évoqué la nécessité pour la banque de mettre en commun avec ses clients des ressources de données afin de contrer le pouvoir des géants des plateformes mondiales.

  1. Prendre de nouvelles dispositions pour la sécurité des données face aux cyberattaques

Les particuliers doivent avoir un plus grand sentiment de sécurité à propos de la façon dont les données les concernant sont utilisées, protégées et conservées et de l’endroit où elles sont conservées. Il faudra aussi nettement renforcer les lois relatives à la notification de failles dans la sécurité des données, qui devrait, idéalement, intervenir dans un délai de 24 heures après l’incident. La nouvelle loi australienne sur les violations de données et le RGPD de l’Union européenne sont des modèles en matière de notification et de sanction en cas de violation de données. Les nouvelles lois canadiennes sur la sécurité des données devront contenir des dispositions en faveur de l’exactitude des données afin que les particuliers sachent que les données les concernant qui sont utilisées sont exactes et qu’ils aient un véritable recours pour corriger les erreurs. Les données doivent être conservées de façon sécurisée et sur le territoire canadien pour que celles-ci et leur utilisation soient soumises à la législation canadienne.

  1. Accroître les pouvoirs de surveillance et de réglementation des responsables de la protection de la vie privée

Le commissaire fédéral à la protection de la vie privée doit être habilité à demander des comptes à l’industrie, aux organisations et aux partis politiques sur leur utilisation des données. Nous avons observé le travail considérable effectué au Royaume-Uni par le commissaire à l’information dans l’enquête sur les activités de Cambridge Analytica, de Facebook et d’autres entreprises impliquées dans des utilisations abusives de données personnelles à des fins politiques scélérates. Les pouvoirs élargis au Canada doivent également prévoir une coordination internationale des recours pour encourager le respect mondial des nouvelles normes en matière de données et de protection de la vie privée. Nous recommandons également que les organismes de réglementation de la protection de la vie privée disposent d’une fonction de vérification et de pouvoirs de sanction accrus. Au Royaume-Uni, le Commissaire à l’information jouit de nombreux pouvoirs, notamment celui de notifier des mises en demeure imposant aux parties de produire les informations demandées dans un délai donné. La loi applicable a été modifiée pour donner au commissaire le pouvoir de réaliser des vérifications complètes lorsqu’il existe des soupçons d’infraction aux mesures de protection des données. Les entreprises peuvent aussi se voir ordonner de cesser le traitement des données. Le montant des amendes que le Commissaire peut infliger a également été revu à la hausse, passant de 500 000 à 17 millions de livres sterling ou 4 % du chiffre d’affaires mondial, le montant le plus élevé étant retenu. Le gouvernement et le Parlement, dans la mesure où le Commissaire à la protection de la vie privée relève directement de dernier, doivent présenter des recommandations pour muscler l’application de nouvelles règles plus rigoureuses.


Les temps sont extrêmement difficiles pour l’exercice du pouvoir. Les nouvelles technologies détruisent des institutions établies, des communautés et des nations et posent de nouveaux défis politiques à un moment où la confiance recule. Elles font aussi qu’il est plus difficile de faire la distinction entre ce qui est important et ce qui ne l’est pas et elles offrent des porte-voix à ceux qui cherchent à servir des intérêts particuliers plutôt que l’intérêt général et à ceux qui nourrissent simplement des intentions malveillantes.

Cette conjonction entre, d’une part, la nécessité de relever les nouveaux défis numériques à une période où la confiance et la légitimité sont fragilisées et, d’autre part, la montée de la polarisation et des réponses populistes, ne laisse aucune échappatoire. Le fait que les progrès technologiques mêmes qui appellent de nouveaux régimes de gouvernance rendent l’adoption de ces derniers encore plus difficile n’offre pas davantage de sortie de secours. Les gouvernements qui ne prennent pas les mesures qui s’imposent seront, au bout du compte, jugés sévèrement. Il en ira de même de l’incapacité de nos systèmes de gouvernement à s’adapter aux nouveaux défis qui se présentent.

Parallèlement, comme pour les autres secteurs, la réglementation ne peut servir à entraver l’innovation numérique. Internet et l’utilisation des données sont les nouveaux moteurs de la croissance économique, tout comme les routes, les chemins de fer et le pétrole l’étaient assurément au début du siècle dernier. Comme pour le secteur financier, les organismes de réglementation doivent insister sur certaines normes de comportement et de prudence sans entrer dans les détails. Une bonne gouvernance créera un climat de plus grande certitude pour les investisseurs et les innovateurs. Les échecs retentissants dans ce domaine révélés depuis le Brexit et les élections américaines ne servent qu’à saper la confiance du public et des entreprises. Le dernier baromètre de confiance Edelman montre déjà un recul important de la confiance du public dans les réseaux sociaux par rapport aux autres types de médias.

Les élections de 2019 constituent le premier test critique pour les décideurs politiques canadiens. Le Canada a l’occasion de faire barrage à certaines des attaques contre l’intégrité et l’équité électorales qui ont touché d’autres pays. Que se passerait-il si de telles attaques se produisaient et faussaient grandement le marché de l’information au moment le plus sensible? En France, nous avons vu qu’une campagne de fausses nouvelles a été lancée dans les dernières heures de la campagne présidentielle. Et si ces mensonges parvenaient à modifier le résultat? Il serait dangereux pour la démocratie que les gouvernements aient le pouvoir d’intervenir au moment où les choix démocratiques sont exercés. Toutefois, les hypothèses les plus pessimistes doivent également être envisagées et les organismes de réglementation des élections comme les médias doivent disposer des outils pour contrer le plus efficacement possible les attaques et informer le public sur les événements en cours. Les institutions indépendantes possédant des compétences sur Internet et la démocratie doivent constamment surveiller l’écosystème médiatique en période électorale et en dehors, et rendre compte des résultats.

Le présent rapport n’est ni une panacée ni une feuille de route vers une destination connue. Il n’a pas non plus l’ambition d’être un point final. Il est simplement destiné à fournir aux autorités en place un ensemble d’options politiques qui peuvent les aider à préserver une sphère publique ouverte et fiable et un monde numérique qui contribue à renforcer les institutions démocratiques plutôt qu’à les affaiblir, en retrouvant l’esprit originel qui animait Internet.


Edward Greenspon est le président-directeur général du Forum des politiques publiques. M. Greenspon a travaillé dans les domaines du journalisme et des politiques publiques pendant plus de 30 ans. Il a été journaliste au Globe and Mail, à Bloomberg News et dans des journaux de l’Ouest du Canada. Il est également l’auteur de deux livres sur la politique, les processus politiques et l’opinion publique au Canada. En 2017, il a dirigé les travaux de recherche marquants du FPP sur le bouleversement des médias, Le miroir éclaté.

Au Globe and Mail, M. Greenspon était spécialisé en politique, économie, affaires étrangères et commerce. Il a couvert la fin du communisme comme correspondant en Europe, a été chef du bureau d’Ottawa et rédacteur en chef du Globe and Mail et de ses services numériques pendant sept ans. Il a été un des premiers à défendre la transformation numérique et il a été rédacteur-fondateur du globeandmail.com. À Bloomberg News, groupe présent dans 22 pays sur six continents, il était envoyé spécial pour le Canada et directeur de la rédaction internationale pour l’énergie, l’environnement et les produits de base.

  1. Greenspon est l’auteur de Double Vision: The Inside Story of the Liberals in Power, qui a remporté en 1996 le prix commémoratif Douglas Purvis récompensant la meilleure publication consacrée aux politiques publiques, ainsi que de Searching for Certainty: Inside the New Canadian Mindset. En 2002, il a reçu le prix Hyman-Solomon pour l’excellence journalistique dans le domaine des politiques publiques. En 2010, il a présidé un panel composé de 13 membres pour le compte du Conseil international du Canada. Ce panel a défini une stratégie audacieuse en matière de politique, intitulée Open Canada: A Global Positioning Strategy for a Networked Age.
  2. Greenspon est titulaire d’un baccalauréat de l’Université Carleton, avec double spécialisation en journalisme et sciences politiques. Il a également été boursier du Commonwealth à la London School of Economics, où il a obtenu une maîtrise en économie avec mention.

Taylor Owen est professeur adjoint en médias numériques et affaires mondiales à l’Université de la Colombie-Britannique et collaborateur principal à la Columbia Journalism School. Il a été auparavant directeur de recherche du Centre Tow pour le journalisme numérique à l’Université Columbia, où il était responsable d’un programme de recherche sur l’impact de la technologie numérique sur la pratique du journalisme. Il a obtenu son doctorat à l’Université d’Oxford et a été boursier Trudeau, boursier Banting, fellow d’Action Canada et du Forum des politiques publiques et lauréat du prix des leaders émergents du Forum des politiques publiques en 2016. Il siège au conseil d’administration du Centre pour l’innovation dans la gouvernance internationale (CIGI) et au conseil d’administration du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH).

Fondateur de la plateforme des médias sur les affaires internationales www.opencanada.org, il est l’auteur, plus récemment, de Disruptive Power: The Crisis of the State in the Digital Age (L’État en crise à l’ère du numérique?; Oxford University Press, 2015) et le coauteur de The World Won’t Wait: Why Canada Needs to Rethink its Foreign Policies (University of Toronto Press, 2015, avec Roland Paris), Journalism After Snowden: The Future of the Free Press in the Surveillance State (Le journalisme après Snowden : l’avenir de la presse libre dans l’État de surveillance?; Columbia University Press, 2017, avec Emily Bell) et The Platform Press: How Silicon Valley Re-engineered Journalism (Tow Center 2017, avec Emily Bell). Son prochain livre, sur la Silicon Valley, le journalisme et la démocratie, coécrit avec Emily Bell, sera publié par Yale University Press en 2019. Ses travaux peuvent être consultés à www.taylorowen.com et @taylor_owen.