Un écosystème d’immigration modernisé par le numérique au Canada
Réflexion sur la table ronde « Renforcer l’écosystème de l’immigration au Canada »Pour qu’un système fonctionne, il doit fonctionner pour tou.te.s ceux/celles qui l’utilisent. La technologie n’est pas une façon unique d’aborder les solutions; cependant, les efforts de modernisation peuvent tirer parti de la technologie et des solutions numériques pour le bien de tou.te.s. S’il est mis en œuvre dans les règles de l’art, un système d’immigration modernisé par le numérique peut réduire considérablement les points critiques et devenir plus réactif et plus axé sur les immigrant.e.s, tout en libérant des ressources humaines pour soutenir les cas les plus difficiles. Bien qu’un système numérisé fasse partie de la solution, il n’est pas une panacée. Privilégier le numérique à tout prix risque de faire des laissé.e.s-pour-compte et de perpétuer les problèmes et les préjugés existants.
Dans le budget de 2021, le gouvernement du Canada a reconnu l’importance de l’immigration dans la reprise postpandémie et la croissance du PIB. Le budget a prévu des réformes du Programme d’Entrée express, des améliorations du Programme des travailleurs étrangers temporaires et la prolongation de l’Initiative pilote pour les nouvelles arrivantes racialisées. Des engagements ont été pris pour accélérer les cheminements vers la résidence permanente et pour permettre à Statistique Canada de remédier au manque de données nécessaires à la prise de décisions fondées sur des preuves concernant les inégalités sociales et raciales. Le budget de 2021 prévoit également 430 millions de dollars pour moderniser l’infrastructure de la technologie de l’information afin d’améliorer le traitement des demandes, de renforcer la sécurité et d’accroître le nombre d’arrivées de ressortissant.e.s étrangers. Ces engagements offrent l’occasion d’une transformation fort nécessaire.
La COVID-19 a renforcé les arguments en faveur de la transformation et a poussé de nombreux gouvernements à accélérer leurs capacités numériques et technologiques pour répondre efficacement pendant cette crise. Dans l’état actuel des choses, le système d’immigration du Canada utilise une technologie désuète et reste largement basé sur le papier, bien que la pandémie ait donné lieu à quelques solutions technologiques à court terme, offrant un bon fondement sur lequel bâtir. Dans un même temps, ces capacités mises en place pendant la pandémie de COVID-19 ont également démontré qu’un système flexible sera nécessaire pour éviter une rigidité involontaire qui exclut certaines personnes. La concurrence pour le talent à travers le monde ne fait que s’accroître, car les économies matures doivent composer avec des taux de natalité en baisse et une demande croissante en matière de main-d’œuvre.
Bien qu’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) continue de fixer des objectifs ambitieux en matière d’immigration, la plupart des indicateurs de mesure sont très imprévisibles, notamment le nombre de nouveaux arrivant.e.s qui deviennent citoyen.ne.s chaque année. L’accent a été mis sur le côté offre d’immigration alors que la demande de main-d’œuvre reste insatisfaite. Des conversations telles que la reconnaissance des titres de compétences étrangers sont à l’ordre du jour depuis des années – notamment dans le secteur des soins de santé, bien que peu de progrès aient été réalisés. La modernisation numérique peut offrir de nouvelles possibilités de relever ces défis persistants en matière de politiques en fournissant de l’information et de la transparence. Ces brefs exemples ne sont que deux parmi tant d’autres qui permettent d’étayer les arguments en faveur de la modernisation dans le secteur de l’immigration.
L’objectif d’un système modernisé devrait être un processus qui évolue vers des soutiens à l’établissement et des cheminements vers la citoyenneté. À un niveau fondamental, la modernisation numérique est un changement de mentalité et devrait offrir un outil accessible, sûr et informatif pour améliorer la façon dont un.e nouvel arrivant.e navigue dans le système.
La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) du Canada définit trois catégories de migrant.e.s : ceux/celles qui entrent au Canada pour des raisons économiques, pour le regroupement familial et en tant que réfugié.e.s. Le fait que la catégorie économique est privilégiée par rapport à la catégorie familiale ou à celle des réfugié.e.s est un exemple du parti pris sous-jacent et parfois explicite inhérent au système d’immigration du Canada. Il existe également des préjugés au niveau de la technologie et des outils souvent utilisés pour améliorer la modernisation. De plus, la protection des données demeure une préoccupation dans la plupart des domaines de la technologie, et certain.e.s peuvent avoir des inquiétudes sérieuses et fondées quant à la surveillance potentielle que pourrait permettre un outil réunissant toutes leurs données d’immigration en un seul endroit. Ces réalités constituent des risques de la modernisation numérique.
Un autre risque présent dans les écrits sur le gouvernement numérique est le principe du 80-20 souvent inhérent au développement technologique et à l’élaboration des politiques. Ce principe laisse entendre qu’un développement technologique peut ne servir qu’une partie de l’écosystème de l’immigration et laisser ceux/celles qui ont des cheminements plus complexes en dehors du processus de modernisation. Il faudrait envisager une modernisation inclusive et équitable qui tienne compte des marges. Le cas d’utilisation le plus courant devrait être remplacé par le cas d’utilisation le plus complexe – si le système est conçu pour cela, il servira naturellement aussi le cas le plus courant. Dans un même temps, la modernisation numérique offre la possibilité de réorienter les ressources pour soutenir les personnes dont les besoins sont les plus importants.
Il est essentiel d’attirer, d’accueillir et de retenir les immigrant.e.s si le Canada veut rester compétitif sur la scène mondiale. La modernisation numérique est un élément clé d’un contexte plus large de modernisation des politiques. Le système d’immigration canadien porte essentiellement sur la catégorie économique, et toute mesure visant à moderniser le numérique risque d’être conçue pour cette seule catégorie. Un système modernisé doit s’attaquer aux préjugés présents et renforcés par la technologie. Il faut en faire plus pour bâtir un écosystème d’immigration antiraciste, un écosystème qui soutienne toutes les catégories de migrant.e.s et leur offre un accès et un soutien équitables tout au long des processus de demande et de naturalisation. Le système d’immigration du Canada a une occasion extraordinaire de continuer à faire pâlir d’envie le monde entier. Bien que la conversation sur l’immigration au Canada soit souvent axée sur la croissance économique et la compétitivité, les nouveaux arrivant.e.s au Canada sont des êtres humains et méritent d’être traités avec dignité et respect – la technologie est un outil pour nous aider à évoluer vers un système qui privilégie les nouveaux arrivant.e.s.
Autrices :
Katie Davey, chargée de politiques, et Fatemah Ebrahim, associée de politiques au Forum des politiques publiques