La crise du COVID-19 est un moment phare qui nous forcera à tout repenser. Les retombées en terme de politiques publiques seront profondes, y compris pour notre politique économique. Associés du FPP, Sean Speer et Robert Asselin avancent que le Canada a besoin d’une nouvelle stratégie de croissance à la hauteur des défis géopolitiques actuels et de l’ascension de l’économie immatérielle.

Ce que le monde a changé depuis une semaine.

En quelques jours, nos vies quotidiennes ont été complètement chamboulées, notre vie collective altérée. Le coronavirus est un moment phare qui bouleversera vraisemblablement de manière permanente notre économie, notre société et nos institutions politiques.

Nous sommes confrontés à une crise gargantuesque, qui nous afflige sur deux fronts: d’une part, une épidémie mondiale qui sur le plan de la santé publique requiert un effort humain semblable à celle que l’on verrait en situation de guerre ; d’autre part, une économie entière qui s’écroule littéralement devant nos yeux. Des millions de gens perdront leurs emplois. Des milliers de compagnies devront se résigner à fermer leurs portes, certaines pour de bon.

Le défi immédiat est agonisant: l’ordre social doit être maintenu, notre système de santé a besoin de matériel médical, de coordination et d’un effort humain héroïque, les marchés financiers sont menacés par un manque de liquidité, nos chaines d’approvisionnement sont fragiles et des secteurs entiers de notre économie devront être secourus. Des tonnes de travailleurs perdront leurs emplois et ne pourront pas payer leurs loyers et factures.

La gravité du moment est telle qu’elle dépasse l’idéologie politique de tous et chacun. Dans le contexte actuel, les gouvernements deviennent la première et la dernière ligne de défense. Il n’y a tout simplement pas de substitut à l’état dans une crise comme celle-là.

L’impact du coronavirus n’est pas que domestique ou local, il est aussi d’ordre mondial. Les ramifications géopolitiques — comment les états-nations en viendront à redéfinir leurs intérêts politiques et économiques dans un monde ou les forces structurelles les amènent à se replier vers le protectionnisme et l’intérêt national — seront majeures. Cela pourrait être la conséquence la plus marquante de cette crise. Les états se retireront (et ne voudront plus dépendre) des chaines d’approvisionnements mondiales. L’emphase sera mis sur l’intérêt national, la collaboration entre états deviendra secondaire.

Notre réflexion sur le sujet a précédé la crise du coronavirus. Cette semaine, le Forum des Politiques Publiques devait rendre public notre étude intitulée Une nouvelle étoile polaire II: Une stratégie de croissance orientée vers des biens publics pour l’ère de l’économie immatérielle. Cette étude vise à démontrer que les hypothèses généralement acceptées à propos de l’économie de production ne tiennent plus face à la nouvelle donne géopolitique et à la montée de l’économie immatérielle. Tel que nous l’affirmons dans notre rapport, le “consensus” de Washington n’est plus.

Dans les circonstances actuelles, le dévoilement du rapport a évidemment été reporté. Mais notre recherche et nos constats nous apparaissent particulièrement d’actualité.

La croissance économique et les politiques publiques ne peuvent tout simplement plus être conçues ou imaginées comme elles l’ont été au cours des cinquante dernières années. Les règles du jeu ont changé. Les gouvernements ne se gênent plus pour appuyer des secteurs entiers de leurs économies respectives pour assurer leur compétitivité.

Dans ce contexte, l’idée que le Canada peut continuer à espérer tirer son épingle du jeu sur le plan économique en ne se fiant qu’aux forces du marché devient, au mieux, hasardeux.

En fait, nous sommes témoins d’un exemple de ce que pourrait avoir l’air une telle politique économique.

Il y a quelques jours, le Premier ministre Trudeau a annoncé le Plan canadien de mobilisation du secteur industriel pour lutter contre la COVID-19.  Le plan prévoit de nouvelles mesures pour appuyer la production de produits et matériel au Canada pour aider à subvenir aux besoins domestiques pendant la crise du coronavirus. Il met l’accent sur le renforcement des capacités à l’échelle du pays, des solutions innovatrices et de l’approvisionnement en matériel essentiel.

Le plan du gouvernement mandate le Conseil national de recherches du Canada (CNRC) d’entreprendre de la recherche appliquée en collaboration avec les PME, et demande à Solutions Innovatrices Canada d’accompagner les firmes dans la commercialisation de leurs produits plus rapidement. Finalement, il prévoit un appui direct à certaines entreprises qui sont directement impliqués dans les projets qui auront un impact important sur notre capacité de contrer les effets négatifs du coronavirus.

Cette mobilisation industrielle, nous le croyons, ne devrait pas être temporaire et déployée uniquement en situation de crise.  Une stratégie de croissance axée sur les biens publics mettrait en valeur les atouts industriels existant du Canada et aiderait à stimuler la demande.

L’idée est d’orienter et de déployer nos atouts industriels et notre capital intellectuel vers des biens publics et défis sociaux : la lutte aux changements climatiques, des villes et communautés saines et durables, une population en santé, etc.

Les gouvernements auraient ainsi la tache de développer des politiques publiques visant à améliorer l’innovation en capitalisant sur notre capital humain — de la recherche et du développement  jusqu’à la commercialisation de notre propriété intellectuelle, cet atout incommensurable de l’économie immatérielle.

Un tel modèle économique produira de nouvelles connaissances, technologies et produits qui aideront à régler les défis auxquels nous faisons face collectivement et améliorera notre productivité en déployant le capital et le travail vers de nouveaux objectifs communs.

Une nouvelle stratégie industrielle sera sans aucun doute perçue par plusieurs comme étant audacieuse, peut-être même risquée. Mais ne pas adapter notre politique économique en fonction des changements structurels qui ont cours serait, à notre avis, un bien plus grand risque pour le Canada. Cela nous mettra dans une situation précaire face à nos compétiteurs. Le monde a changé, et les règles du jeu ne sont plus les mêmes. Il nous appartient d’en prendre acte et d’agir.

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