Un an après le début de la pandémie de COVID-19, le Canada cherche des pistes pour reconstruire en mieux. Après une année d’enseignements inestimables, que savons-nous? Que voulons-nous renforcer? Que sommes-nous prêts à changer? Quels sont les atouts et les éléments constitutifs d’un avenir plus solide?

En novembre 2020, le Forum des politiques publiques a organisé la vitrine de l’innovation du Nord, la Northern Innovation Showcase, avec des leaders de l’innovation du Nord et autochtones. La rencontre a porté sur le rôle central que jouent les collectivités et le territoire dans le développement du leadership et de l’innovation dans le Nord.

Dans le Sud du Canada, les discussions ont tendance à se concentrer sur la technologie, les inventions et les avantages économiques. Mais dans le Nord, les discussions ont un point de départ complètement différent et prennent en compte une autre façon d’être. Elles commencent par les points de vue de la collectivité ainsi que la relation de cette dernière avec la terre. Ce point de vue tient-il au fait que l’économie et l’infrastructure sont moins robustes dans le Nord? Ou est-ce parce qu’il y a quelque chose de fondamentalement différent dans la façon dont l’innovation y est définie?

Dans le Sud, l’innovation a tendance à être décrite comme « nouvelle » – comme si l’on disait : « Nous n’avons pas entendu parler de cette nouvelle invention, elle doit donc être innovante. » La notion d’innovation semble être limitée aux inventions et aux nouvelles technologies.

Mais qu’en est-il du changement des systèmes? Peut-on également parler d’innovation? Qu’en est-il des avantages apportés par le développement et l’éducation qui changent la vie des gens et de la collectivité? S’agit-il d’innovation?

Et si le concept d’innovation englobait le renforcement des liens entre des choses qui ne sont pas étroitement reliées en ce moment – comme les cohortes étudiantes autochtones et les universités du Sud, les jeunes du Nord et l’accompagnement en matière de santé sexuelle et de bonnes décisions sur les relations, ou la population dite active, coincée devant son bureau, et le mouvement physique qui confère un sentiment d’équilibre? Ces aspects ne font pas l’objet d’une quantification économique des résultats, de récompense financière immédiate ni de paiement par chèque. Mais les avantages pour la collectivité sont incommensurables.

Les panélistes de la Vitrine ont déclaré que dans le Nord, l’innovation consiste à créer des avantages pour la collectivité et pour les individus. Lois Philipp de Northern Compass, Scott Keesey de DISCOVELO et Candice Lys de FOXY/SMASH nous ont fait part d’informations sur les succès de leurs organisations dans le cadre de projets de grande envergure. Ils ont également partagé le point de vue selon lequel l’innovation doit profiter à la collectivité.

Northern Compass offre un soutien aux jeunes du Nord et autochtones lors de leur transition vers des études postsecondaires dans le Sud, dans le but de les aider à rentrer chez eux après l’obtention de leur diplôme pour devenir des leaders dans le Nord. L’encadrement, l’établissement de liens dans le Sud et l’aide au retour à la maison après l’obtention de leur diplôme constituent un ensemble complet de mesures d’aide à la réussite étudiante. DISCOVELO est une entreprise sociale axée sur le développement de logiciels conçus pour accompagner les équipements de mise en forme traditionnels comme les vélos stationnaires. Les applications de DISCOVELO utilisent la ludification et les données pour encourager la main-d’œuvre à faire de l’exercice à la maison et favoriser son bien-être physique et mental. FOXY (Fostering Open eXpression among Youth) utilise les arts et la musique traditionnels et modernes pour donner aux adolescentes les moyens d’exprimer leurs connaissances et leur voix, en mettant l’accent sur la santé sexuelle et la prise de décision autonome. Le programme parallèle de FOXY, SMASH (Strength, Masculinities, and Sexual Health – force, masculinités et santé sexuelle) soutient les jeunes hommes.

Ces entreprises sont-elles des exemples d’innovation? Elles sont certainement des exemples de réussite. Lois Philipp, Scott Keesey et Candice Lys ont reçu de nombreux prix et distinctions pour leur travail. Mais sont-ils des innovateurs?

Une actrice du changement qui saisit les occasions

Lois Philipp, de Northern Compass, ne se considère pas comme une innovatrice. Elle se voit plutôt comme une personne qui a la capacité d’œuvrer pour le changement et qui est capable de profiter des occasions qui se présentent pour effectuer un changement systémique. Le changement systémique est rarement compris dans la définition de l’innovation, mais Lois Philipp va de l’avant avec Northern Compass pour changer des vies. Ce faisant, elle change des systèmes entiers dans le Nord.

Un rêveur qui éttablit des relations et une collaboration

Scott Keesey, de DISCOVELO, refuse de se considérer comme un innovateur. Il se qualifie de rêveur et reconnaît humblement l’incroyable soutien des mentors et des partenaires qui donnent vie à DISCOVELO. M. Keesey évoque l’importance des relations et de la collaboration dans sa carrière, ainsi que celle de la collectivité de l’innovation sociale qui lui apporte soutien et espoir.

Une personne exemplaire et une visionnaire qui profite à la collectivité

FOXY (Fostering Open eXpression among Youth) utilise les arts et la musique traditionnels et modernes pour donner aux adolescentes les moyens d’exprimer leurs connaissances et leur voix, en mettant l’accent sur la santé sexuelle et la prise de décision autonome. Le programme parallèle de FOXY, SMASH (Strength, Masculinities, and Sexual Health – force, masculinités et santé sexuelle) soutient les jeunes hommes et ceux qui s’identifient au sexe masculin.

Candice Lys

Candice Lys, de FOXY, ne se considère pas non plus comme une innovatrice. Elle estime qu’une partie de son parcours en tant que Métisse a consisté à apprendre des mots du Sud comme « innovation ». Mais ce mot ne semble pas convenir à une culture qui place la collectivité au centre de ses préoccupations. Mme Lys s’est plutôt inspirée du conseil de son aîné, qui lui a suggéré de s’approprier ses réalisations et de servir de modèle aux jeunes de sa collectivité. En tant que première femme autochtone à avoir obtenu son diplôme d’études secondaires et à décrocher un doctorat, elle considère que son rôle consiste à brosser un tableau de ce qui est possible pour les autres afin qu’ils puissent réussir à leur tour.

Qu’est-ce qu’une approche de l’innovation centrée sur la collectivité? Les panélistes semblaient adopter un paradigme qui s’interroge sur d’autres façons de faire des changements. Les villes et les grandes agglomérations du Sud du pays n’ont peut-être pas le sens de la collectivité dont jouit la population du Nord, notamment la liberté et la sécurité de connaître son voisinage, d’être connu dans toute la collectivité et de sentir qu’on fait partie d’un plus grand ensemble.

Ce sens de la collectivité est attendu des membres des collectivités autochtones, mais il est également fort dans les autres collectivités du Nord canadien. Bien qu’une approche axée sur la collectivité consiste à tirer parti des forces de ses membres, il s’agit essentiellement d’en faire bénéficier l’ensemble de la collectivité. Lorsque les panélistes ont expliqué en quoi leurs projets profitent à la collectivité, leurs visages se sont illuminés, leurs voix étaient plus enthousiastes et leur leadership s’est démarqué.

Le territoire est le système de connaissances de la collectivité

Lois Philipp, de Northern Compass, a parlé de l’importance du territoire et de la collectivité, non seulement en tant que source du système de connaissances autochtones, mais aussi comme source d’équilibre. Au moment où les élèves passent du secondaire au postsecondaire, le sentiment d’équilibre que procure la proximité du territoire est très important. Par coïncidence, c’est une leçon que de nombreux Canadiens et Canadiennes ont apprise au cours de l’année de la pandémie de COVID-19 : l’importance vitale de la terre et de la collectivité pour notre équilibre et notre résilience. Le sentiment d’appartenance et le soutien de la collectivité sont les facteurs auxquels Mme Philipp attribue ses capacités de leader. Northern Compass donne en retour en facilitant les relations au sein de la population étudiante, avec la collectivité et avec la terre.

La terre et la collectivité soutiennent l’équilibre

L’organisation de Scott Keesey, DISCOVELO, vise à soutenir la santé physique et mentale, et l’équipe incarne ce sens de l’équilibre en se rendant dans le territoire. M. Keesey a évoqué son besoin critique d’être dans le territoire pour équilibrer sa propre santé physique et mentale. Le projet DISCOVELO, qui repose sur cet équilibre, ainsi que le sentiment de soutien envers M. Keesey de la part de sa collectivité de leaders d’entreprises sociales, donne en retour en renforçant l’équilibre grâce à une application logicielle. La boucle est bouclée.

Créer des avantages pour la collectivité

Candice Lys, de FOXY/SMASH, a expliqué qu’elle avait l’occasion de changer les choses dans le Nord, dans sa collectivité. Dans le travail de FOXY, les jeunes sont connecté.e.s et peut-être reconnecté.e.s avec les enseignements sur l’identité personnelle et les relations saines. Ces enseignements sont indissociables de la collectivité et de son développement, et présentent des avantages manifestes. Il est clair que Mme Lys concrétise les enseignements de l’accomplissement de son rôle dans la collectivité.

Ces entreprises reflètent une approche de l’innovation centrée sur la collectivité, par opposition à la fidélité à un bilan financier. Elles sont donc des exemples d’équilibre communautaire. Au lieu de donner la priorité aux inventions, elles illustrent la reconstruction des liens. Ce sont des entreprises sociales qui s’efforcent d’intégrer la richesse dans la collectivité – la richesse étant les gens.

Le changement de paradigme qui doit se produire en matière d’innovation est le suivant : comment le Canada peut-il donner la priorité aux personnes et à la collectivité en tant que pierres angulaires de l’avenir?

Offrir des espaces sécuritaires pour innover

Les adeptes du rêve et de l’innovation ont besoin d’un espace sécuritaire pour rêver. Si on peut leur fournir de tels espaces, l’innovation sociale peut prendre place au-delà de l’interprétation du Sud de ce qu’on entend par « invention ». L’innovation sociale consiste à tisser des liens entre des éléments qui bénéficient de ces liens. Lorsque cela se produit, l’innovation sociale libère la magie. Les conversations et les propositions sur l’innovation sociale n’ont pas tendance à utiliser le vocabulaire de l’innovation technique. Les décisionnaires politiques sont invité.e.s à accueillir l’innovation sociale.

Aplanir les obstacles historiques

Le manque d’accès aux marchés financiers et au financement est un obstacle historique pour les Canadiens et les Canadiennes vivant dans le Nord et dans les petites collectivités. Alors que la pandémie de COVID-19 a imposé la vidéoconférence à distance, ce qui peut réduire la distance géographique avec les marchés financiers, les décisionnaires politiques feraient bien d’envisager d’autres moyens de réduire les obstacles après la pandémie.

Trouver une voie de réconciliation

L’innovation sociale ouvre la porte à certains des objectifs plus larges de la réconciliation. Les discussions sur la réconciliation au Canada se sont concentrées sur la réduction des écarts pour les peuples autochtones et les déterminants sociaux du bien-être et de l’inclusion. Mais comment savoir à quel moment la réconciliation est complète? Il existe un lien évident entre innovation sociale et réconciliation, car toutes deux exigent des êtres à la pensée visionnaire capables d’envisager un avenir meilleur. Peut-être l’innovation sociale fournit-elle le cadre et les objectifs sur la voie de la réconciliation. L’avenir de la réconciliation réside peut-être dans l’innovation sociale.

Fournir un financement à durée indéterminée

L’innovation sociale a besoin du soutien de responsables du financement et de décisionnaires politiques qui croient au pouvoir des grandes idées et qui sont persuadés que le changement peut se produire rapidement. Les décisionnaires politiques sont invité.e.s à privilégier un financement assorti du moins de conditions possibles afin que les responsables du changement puissent accomplir leur travail rapidement, sans obstacle extérieur. Les panélistes ont prouvé que l’innovation sociale peut se produire rapidement avec un financement et un soutien politique appropriés.

Encourager la collaboration

Les adeptes de l’innovation doivent mettre en commun et affiner leurs idées avec d’autres catalyseurs du changement. Chaque leader du panel a souligné l’importance de la collaboration avec d’autres parties prenantes sur son parcours. Pour changer des systèmes entiers afin qu’ils se reconstruisent en mieux, les décisionnaires sont invité.e.s à faciliter des conversations de grande envergure entre adeptes du rêve et visionnaires, et entre adeptes de l’innovation et partenaires potentiels.

Au cœur de l’innovation sociale se trouve l’espoir; l’innovation sociale constate un problème et a l’espoir de changer les choses. Les décisionnaires politiques qui créent un lieu – et qui financent des mesures de soutien pour l’innovation sociale – permettent à leurs adeptes d’avoir de l’espoir. Cet espoir vient du soutien de la collectivité et de l’équilibre que procure le fait d’être dans le territoire. Il est financé par les décisionnaires politiques qui sont prêt.e.s à reconnaître ces réalités et à les soutenir.

Scott Keesey, Candice Lys et Lois Philipp ont lancé un défi sans équivoque aux décideurs.euses politiques : le bénéfice communautaire est une mesure du succès de la collectivité en matière d’innovation. Et la collaboration est le moyen d’accomplir de travail.

L’innovation sociale est le moyen de reconstruire en mieux.

Scott Keesey« Le Nord canadien est véritablement à l’intersection d’un marché de deux milliards de personnes [à travers le cercle polaire]… Il est le centre géographique du leadership mondial en matière d’innovation sociale et de réflexion. » – Scott Keesey, DISCOVELO

Développer des leaders pour le Nord – Northern Compass

Lois Philipp est originaire de Fort Providence dans les Territoires du Nord-Ouest, à 315 km par route de Yellowknife et à plus de 1 200 km d’Edmonton. Sur les rives du fleuve Mackenzie, non loin de sa source dans le Grand lac des Esclaves, le territoire abrite les Dénés Deh Gah Got’ie et les Métis de Fort Providence. Les deux font partie du plus grand collectif des Premières Nations du Dehcho. Il s’agit d’une collectivité de 800 personnes qui sont confrontées aux mêmes obstacles à l’accès aux études postsecondaires que de nombreuses autres collectivités dans les Territoires.

Peu d’options postsecondaires sont offertes ici. Le collège le plus proche, à Yellowknife, n’offre pas autant d’options que les collèges au Sud, et l’université du Sud la plus proche se trouve à Edmonton. Le problème central se traduit par un manque de diplomation postsecondaire chez les jeunes du Nord et autochtones – aggravé par un faible taux de retour des jeunes dans le Nord après l’obtention de leur diplôme.

Étant donné que les jeunes autochtones et du Nord qui veulent faire des études postsecondaires ont moins de choix dans le Nord, beaucoup se rendent dans le Sud. Mais les villes du Sud sont un monde différent pour les jeunes du Nord qui ont grandi dans les Territoires. Lois Philipp a raconté qu’elle était montée pour la première fois dans un autobus et qu’elle ne savait pas comment payer son trajet. Ce n’est qu’un petit exemple des défis auxquels les jeunes du Nord peuvent être confrontés lorsqu’ils voyagent vers le Sud pour la première fois. C’est presque comme voyager dans un autre monde.

Northern Compass a été mis en place pour aider les jeunes des trois territoires à faire cette transition. Lois est chef d’équipe pour Northern Compass. Un projet qui a remporté le prix Inspiration Arctique en 2019, Northern Compass fournit des ressources, des conseils et un soutien aux élèves et aux jeunes de l’ensemble des Territoires dans leurs prochaines étapes à l’école, au collège et à l’université. En fin de compte, les responsables du projet croient que les jeunes ont besoin d’éducation et bénéficient d’un soutien lorsqu’ils vont dans le Sud pour leurs études – et qu’ils reviennent ensuite à la maison pour être des leaders et des catalyseurs de changement dans le Nord.

Les jeunes qui font des études peuvent être confronté.e.s aux défis de l’isolement loin de la famille et de la collectivité, et peut-être au manque d’accès au territoire comme source d’équilibre. Ils reçoivent du soutien lorsqu’ils en ont besoin, et une grande partie de ce soutien consiste à les mettre en contact avec les gens, la famille et la collectivité.

Les sorties dans le territoire jouent aussi un rôle essentiel pour donner un sentiment d’ancrage aux jeunes élèves, dit Lois Philipp, avec la certitude associée à une vérité si bien connue qu’elle ne peut être remise en question. Ils ont besoin du lien avec le territoire et avec la collectivité pour se retrouver eux-mêmes. Ils y parviennent grâce au soutien de Northern Compass. Comme le dit Mme Philipp : « Si nous imposons à nos jeunes des normes élevées, je constate qu’ils les dépassent souvent. »

C’est à cela que ressemble l’innovation sociale.

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