Les membres de la classe politique canadienne devraient, tout bien pesé, recevoir au moins la note de passage pour leur gestion de la pandémie et les Canadiens et Canadiennes devraient être à la fois fiers et inquiets du rendement des décideurs.euses politiques pendant la pandémie de COVID-19. Ils/elles auraient pu faire mieux dans trois domaines, soit notamment : aider à l’ouverture des établissements scolaires, utiliser la technologie pour lutter contre la pandémie et établir les priorités en matière de vaccination.

Il semble désormais évident que le Canada sortira de la pandémie de COVID-19 avec des résultats globalement robustes, mais qui sont loin d’être parfaits. En effet, si l’on ne prend en compte que les démocraties anglo-américaines, nous constatons que l’Australie et la Nouvelle-Zélande n’ont connu pratiquement aucun décès (36 et 5 décès cumulés par million d’habitant.e.s, respectivement), tandis que les États-Unis et le Royaume-Uni en ont connu un nombre remarquablement plus élevé (1 830 et 1 892 décès cumulés par million d’habitant.e.s, respectivement). Le Canada se situe en plein milieu, avec 697 décès par million d’habitant.e.s. En ce qui concerne l’acceptation de la vaccination, la situation est tout autre, le Canada et le Royaume-Uni étant en tête du peloton, les États-Unis à la traîne (malgré une offre abondante), et l’Australie loin derrière. Il y aura, bien entendu, amplement le temps de faire le bilan du rendement du Canada et d’attribuer le blâme et le mérite qui s’imposent pour les mesures prises par les divers ordres de gouvernement, au Canada comme à l’étranger. Cela n’est toutefois pas le but du présent rapport, qui est plutôt de réfléchir à ce qui aurait pu être fait différemment au Canada. Plus précisément, je cherche à examiner rétrospectivement la situation pour trouver d’autres voies que le Canada aurait pu emprunter dans sa campagne de 18 mois contre le coronavirus.

Le but de cette rétrospective n’est pas d’être indûment critique. Il est certain que les membres de la classe politique canadienne devraient, tout bien pesé, recevoir au moins la note de passage pour leur gestion de la pandémie. Ils ont été motivés par le désir de protéger les Canadiens et Canadiennes, ont constamment cherché à suivre les avis, parfois contradictoires, des expert.e.s et se sont, dans leur grande majorité, régis non seulement par la lettre, mais aussi par l’esprit des lois et des directives qu’ils ont adoptées. Mon objectif est plutôt de comprendre si des plans d’action différents étaient possibles à trois moments clés en matière de politique publique. Du point de vue de ce à quoi les citoyen.ne.s auraient consenti ou accepté, du moins, il semble en effet que des politiques différentes auraient pu être empruntées.

Je me penche en particulier sur trois ensembles différents de choix de politiques. Tout d’abord, j’examine la mise en œuvre des confinements, particulièrement la fermeture de divers services essentiels et non essentiels en contrepartie du maintien des écoles ouvertes. Ensuite, je me penche sur l’utilisation du suivi et de la recherche de contacts basés sur la technologie pour permettre des confinements plus intelligents. Enfin, j’examine la priorisation du déploiement des vaccins.

L’analyse qui suit repose sur une question ou raisonnement contre-factuel important : Quels autres choix ou approches en matière de politiques est-ce que les citoyen.ne.s auraient acceptés si les politicien.ne.s avaient été disposés à les amener dans cette direction? L’hypothèse ici devrait être claire : les citoyen.ne.s se sont tournés vers la classe politique pour que celle-ci établisse les politiques d’ensemble nécessaires pour traverser la pandémie. Ils/elles ont été exceptionnellement respectueux, non polarisés et non partisans (Merkley et al. 2000). En particulier, les citoyen.ne.s qui font confiance à l’expertise publique ont aligné étroitement leurs comportements sur les recommandations officielles (Merkley et Loewen 2021). Les citoyen.ne.s ont suivi les voies tracées pour eux par les politicien.ne.s.

Le rapport constate qu’à chacune de ces trois étapes, des voies différentes auraient pu être empruntées. Il s’agit de voies qui auraient accordé une plus grande priorité aux Canadiens et Canadiennes les plus démunis et qui auraient probablement pu nous sortir de la pandémie plus rapidement et à un coût économique et social moindre.

Dans les semaines et les mois qui ont suivi le début de la pandémie de COVID-19, les gouvernements de partout au Canada ont fait preuve d’une remarquable compétence en matière de réglementation. Particulièrement dans les premiers jours, cela s’est traduit par la fermeture de secteurs entiers.

Bien que les provinces aient adopté des approches différentes et que certaines d’entre elles aient connu des variations importantes à l’intérieur de leurs frontières, le modèle de base a rapidement été établi. Certains secteurs ont été complètement fermés tandis que d’autres sont restés au moins partiellement ouverts.

À travers le pays, cependant, les écoles et autres établissements d’enseignement ont fermé leurs portes, renvoyant des millions d’enfants chez eux pour apprendre sur des écrans. Bien qu’une réouverture partielle ait eu lieu à l’automne 2020, la plupart des étudiant.e.s sont rentrés à nouveau chez eux lorsqu’une troisième vague est arrivée à l’hiver 2021.

Bien que le terme « confinement » englobe quelque peu confusément toutes ces politiques, il décrit bien l’objectif sous-jacent en matière de politique publique. En limitant les activités, les gouvernements ont limité les contacts entre les individus, réduisant ainsi la transmission du virus. Nous pouvons débattre à savoir si le confinement fonctionne mieux que d’autres politiques, mais les preuves savantes rigoureuses sont relativement claires : limiter l’activité réduit la transmission. Mais ce que ce débat tend à laisser de côté, c’est qu’il n’y a pas eu de confinement complet et que les politicien.ne.s semblent avoir adopté une approche presque arbitraire quant aux secteurs qu’ils/elles ont autorisés à ouvrir à différents moments.

En revanche, que se serait-il passé s’ils/elles avaient décidé de focaliser tous leurs efforts sur le double objectif de limiter les contacts et de maintenir les écoles ouvertes? Au moins une réponse possible pour expliquer pourquoi ils/elles ne l’ont pas fait est qu’ils/elles n’ont pas effectué le travail politique nécessaire pour générer une demande pour cette politique de la part des citoyen.ne.s.

Qu’est-ce que les citoyen.ne.s voulaient exactement que les politicien.ne.s fassent? Avec des collègues, j’ai mené une étude comparant les préférences des citoyen.ne.s et des politicien.ne.s en matière de confinement (McAndrews et al. 2021). Cette étude a été réalisée par l’Observatoire de l’écosystème médiatique auprès de 2 527 et 1 502 Canadiens et Canadiennes, en mai 2020 et septembre 2020 respectivement. Nous nous sommes également associés au Baromètre municipal du Canada pour effectuer la même étude auprès de 665 politicien.ne.s municipaux en septembre et octobre 2020[1].

Notre étude a examiné les compromis que les citoyen.ne.s et les politicien.ne.s étaient prêts à faire entre la fermeture de différents secteurs et différents niveaux de mortalité dus à la COVID. Les détails complets sont disponibles dans notre article[2].

Dans notre étude, nous avons présenté aux répondant.e.s des paires de choix de politiques, qui différaient par le nombre et la nature des politiques adoptées parmi un ensemble de huit, ainsi que par le nombre de décès associés à ces choix de politique.

Ces politiques comprenaient :

  • Le suivi des mouvements des citoyen.ne.s à l’aide de téléphones mobiles;
  • La fermeture des établissements scolaires;
  • La fermeture des entreprises non essentielles;
  • La fermeture des services gouvernementaux non essentiels;
  • La limitation des rassemblements publics;
  • L’obtention d’une permission écrite pour quitter le domicile; et
  • Le degré de soutien financier offert aux citoyen.ne.s par le gouvernement.

Les principaux résultats sont les suivants. Premièrement, les citoyen.ne.s et les politicien.ne.s étaient tous deux prêts à renoncer à certaines politiques (par exemple, l’autorisation écrite pour quitter le domicile), même si la contrepartie était une hausse des décès. Deuxièmement, les citoyen.ne.s et les politicien.ne.s avaient des préférences politiques très similaires. À un degré remarquable, ils/elles partageaient les mêmes avis quant aux compromis à faire. Troisièmement, il y avait cependant une exception. Les citoyen.ne.s et les politicien.ne.s ne s’entendaient pas sur la politique de maintien des écoles ouvertes, les politicien.ne.s étant moins favorables à la fermeture des écoles que les citoyen.ne.s. Il est important de noter que, comme nous le montrons dans une étude de suivi, les politicien.ne.s ont systématiquement surestimé le soutien des citoyen.ne.s au maintien des écoles ouvertes.

De mon point de vue, les préférences en matière de politique des politicien.ne.s étaient les bonnes, et dans la mesure où les citoyen.ne.s (et les expert.e.s) n’étaient pas en accord, ces dernier.ère.s avaient peut-être tort. Le fait de maintenir les écoles ouvertes, du moins dans une certaine mesure, favorisait davantage le bien-être mental et émotionnel des enfants et explique certainement l’amélioration des résultats d’apprentissage. Du point de vue des parents, et surtout des mères, le fait que les enfants allaient à l’école a rendu possible le travail à domicile. C’était donc également mieux pour l’économie. L’incapacité des politicien.ne.s à aligner les préférences des citoyen.ne.s sur cet enjeu de politique représente une rupture fondamentale en matière de politique publique à au moins trois niveaux. Premièrement, si les politicien.ne.s se sont alignés sur les préférences des citoyen.ne.s en ce qui concerne un très grand nombre d’enjeux, ils/elles n’ont pas réussi à les persuader sur celui qui était sans doute le plus important (ou peut-être le deuxième plus important après la limitation des rassemblements non essentiels entre les citoyen.ne.s). Deuxièmement, parce qu’ils/elles ont surestimé le soutien des citoyen.ne.s au maintien de l’ouverture des écoles, ils/elles n’ont probablement pas effectué le travail de persuasion nécessaire pour faire de cette politique l’objectif unique de la politique de confinement. Troisièmement, ils/elles n’ont tout simplement pas procédé – dans aucune province – aux changements rapides d’infrastructure, à l’embauche ou à l’augmentation de la capacité de test nécessaires pour rendre possibles les activités scolaires en présentiel. Si la classe politique en avait fait l’objectif unique de ses politiques, peut-être aurait-elle été en mesure de relever ce défi.

Au début de la pandémie, l’idée que la technologie pourrait être utilisée pour aider à lutter contre la pandémie était largement répandue parmi les décideurs.euses politiques, tout particulièrement en ce qui concernait les diverses technologies de suivi intégrées aux téléphones mobiles. De façon générale, il y a deux façons possibles de déployer une telle technologie. L’une consiste à surveiller les mouvements des citoyen.ne.s, puis à utiliser d’autres moyens de contrôle pour les limiter. La seconde, nettement moins invasive, consisterait à utiliser les téléphones pour alerter les individus lorsqu’ils ont été à proximité d’une personne infectée. La logique est ici directement empruntée à des formes plus traditionnelles de recherche de contacts. Lorsqu’une personne A est infectée, elle dresse une liste de toutes les personnes avec lesquelles elle a eu des contacts étroits pendant la période où elle était infectée, puis asymptomatique. Ces personnes sont alors contactées et encouragées à se faire tester. L’inconvénient est que les individus ne se souviendront pas de tous les endroits où ils sont allés ou de toutes les personnes avec lesquelles ils ont été en contact, et, de plus, il peut s’avérer difficile de localiser ces dernières personnes. Cependant, si les téléphones personnels peuvent être utilisés pour retrouver les lieux et les heures, et s’ils peuvent être croisés avec les téléphones d’autres personnes, qui sont alors automatiquement notifiées, alors une recherche de contact plus efficace et plus efficiente peut avoir lieu.

Quelles que soient les promesses des applications de recherche de contacts, les gouvernements canadiens ont été lents à développer des applications et n’ont pas réussi à les faire adopter à grande échelle. Il s’agit peut-être là de leur plus grande occasion manquée.

Dans le cas présent, nous avons adopté une loi sur la protection de la vie privée qui a limité fortement la quantité de données recueillies sur les mouvements des personnes et qui a rendu les données qui ont été recueillies essentiellement inaccessibles aux gouvernements ou organismes de santé publique. Malgré sa priorisation de la protection de la vie privée, l’application Alerte COVID n’a pas été adoptée à grande échelle, ce qui a considérablement limité son utilité, que ce soit pour protéger les individus ou pour orienter les stratégies de santé publique. Ce manque d’intérêt a certainement signifié que d’autres mesures restrictives ne pouvaient pas servir de monnaie d’échange contre l’adoption de l’application.

Aurait-il pu en être autrement? Pourquoi l’engouement a-t-il été si bas? Certains travaux menés au Canada (Rheault and Musulan 2020) et ailleurs (Horvath et al. 2020) laissent entendre que la protection de la vie privée était une préoccupation majeure relativement à l’adoption de l’application Alerte COVID et autres applications similaires. Selon un autre point de vue, c’est l’absence de convictions d’un autre genre qui a entravé l’adoption de l’application, à savoir, premièrement, que le gouvernement peut et doit utiliser les données pour lutter contre la pandémie et, deuxièmement, que d’autres personnes utiliseraient l’application. En effet, des collègues et moi-même en sommes arrivés à cette exacte conclusion à la suite d’une analyse approfondie que nous avons menée dans le cadre d’un projet pour l’Institut Schwartz Reisman de l’Université de Toronto et le Center for Advanced Study in the Behavioral Sciences de l’Université de Stanford (Loewen et al. 2021). Les convictions des citoyen.ne.s quant à l’opportunité pour le gouvernement d’utiliser les données et leurs convictions que d’autres personnes utiliseraient également l’application ont toutes deux pesé lourd dans la balance.

À l’aide des données provenant de l’Observatoire de l’écosystème médiatique et recueillies à l’automne 2020, nous avons d’abord démontré que les personnes qui n’avaient pas encore adopté l’application étaient beaucoup plus susceptibles de se déclarer prêtes à l’utiliser à l’avenir si elles pensaient que le gouvernement pourrait utiliser positivement les données pour lutter contre le coronavirus[3]. Tout d’abord, les croyances sur la confidentialité numérique n’ont généralement pas eu d’incidence sur l’adoption de l’application, que ce soit en comparant les personnes qui avaient téléchargé l’application et celles qui ne l’avaient pas fait, ou de manière prospective parmi les personnes qui n’avaient pas encore téléchargé l’application[4]. De plus, l’idéologie politique n’a pas eu d’influence systématique.

Outre le fait que cette croyance a augmenté par elle-même le taux d’adoption, elle l’a également accru parmi les citoyen.ne.s à qui l’on a dit que l’adoption de l’application pouvait aider d’autres personnes (notamment les personnes âgées et les personnes souffrant de pathologies sous-jacentes).

Ensuite, nous avons montré que la conviction que le gouvernement peut utiliser les données positivement peut encourager ceux/celles qui n’ont pas encore adopté l’application à le faire, à condition que d’autres personnes l’utilisent également. Pour le démontrer, nous avons mené une expérience dans laquelle nous avons fait varier de façon aléatoire les informations sur le nombre estimé de personnes à avoir déjà téléchargé l’application, puis nous avons mesuré à nouveau la probabilité que les personnes interrogées téléchargent l’application à l’avenir. Parmi ceux/celles qui ne pensent généralement pas que le gouvernement peut utiliser les données positivement, la probabilité estimée d’adoption n’augmente pas à mesure que le taux d’utilisation hypothétique augmente. Au contraire, il reste plutôt stable à environ 30 %. Cependant, parmi ceux/celles qui pensent que le gouvernement peut utiliser les données positivement, il y a une augmentation régulière à mesure que le taux d’utilisation estimé augmente. En effet, parmi ceux/celles qui ont une opinion positive de l’utilisation gouvernementale des données et à qui l’on a signalé que le taux d’utilisation était de 10 %, le taux d’adoption estimé est de 42 %. Mais si l’on informe ces mêmes individus que le taux d’utilisation est de 50 %, leur probabilité d’adoption atteint 50 %. Si on leur apprend que le taux d’utilisation est de 90 %, leur propre probabilité d’adoption passe à 56 %. Il est clair que la conviction commune que le gouvernement devrait utiliser les données et que d’autres personnes utilisent l’application Alerte COVID pourrait avoir fait augmenter systématiquement le taux d’acceptation.

Rétrospectivement, donc, qu’est-ce que les gouvernements auraient pu faire pour accroître l’acceptation de l’application Alerte COVID, que ce soit dans sa configuration actuelle ou dans une autre qui serait plus efficace en termes d’exploitation des données? Nos données semblent indiquer que deux choses auraient dû se produire conjointement. Tout d’abord, le gouvernement aurait dû expliquer comment les données pouvaient être utilisées pour mieux lutter contre la pandémie. Dans le cas précis de cette application, telle que configurée, cela était quasiment impossible. Mais le gouvernement aurait pu présenter de façon plus positive la manière dont il utilise les données pour comprendre la pandémie, cibler les populations à tester et limiter les fermetures dans certains secteurs. Fort heureusement, il n’est jamais trop tard pour accroître la confiance et l’imagination des citoyen.ne.s quant à la façon dont les gouvernements pourraient améliorer leur vie grâce aux données, mais cela demande un effort. De plus, le gouvernement aurait pu modifier radicalement l’opinion des citoyens sur le nombre de personnes utilisant l’application. Comment aurait-il pu le faire? Une mesure évidente aurait été de proposer de payer les frais de téléphone cellulaire et de forfaits de données de tous les citoyen.ne.s ayant téléchargé et utilisé l’application. Le fait même d’offrir ce service aurait renforcé la conviction des citoyen.ne.s quant au fait que d’autres personnes utiliseraient l’application, ce qui aurait eu pour effet de favorisé son adoption par le reste de la population. Étant donné les coûts massifs des autres mesures de soutien au revenu et aux entreprises que le gouvernement fournissait alors, en grande partie à cause des fermetures forcées d’entreprises, une telle mesure aurait probablement été justifiable.

Le taux de vaccination au Canada a été remarquable au cours des deux derniers mois. Du 1er mai au 1er juillet, le pourcentage de Canadiens et Canadiennes ayant reçu au moins une dose de vaccin est passé de 33 % à 68 %. En comparaison, 44 % de résident.e.s aux États-Unis et 51 % de résident.e.s au Royaume-Uni ont reçu au moins une dose. Ces chiffres sont passés à 54 % et 66 % respectivement. En ce qui concerne le déploiement du vaccin, le Canada peut donc rivaliser favorablement avec certains de ses homologues plus connus.

Toutefois, une telle analyse ne tient pas compte de trois éléments. D’abord, le déploiement initial de la vaccination au Canada a été très lent, principalement en raison d’un manque de vaccins disponibles. En effet, au 1er janvier, moins de 1 % des Canadiens et Canadiennes avaient reçu un vaccin. Le 1er mars, alors que la troisième vague de la pandémie au Canada était déjà entamée, le taux de vaccination était encore inférieur à 4 %. Si le gouvernement s’était procuré les vaccins plus tôt, beaucoup de décès auraient pu être évités.

Ensuite, et c’est le plus important, si le Canada a procédé à une vaccination ciblée et limitée, il a souvent été trop restrictif quant aux personnes à cibler en priorité et trop large quant à l’application. En ce qui concerne la restriction du ciblage, de nombreuses provinces ont initialement donné la priorité aux travailleurs.euses de la santé, mais non aux enseignant.e.s, et encore moins aux chauffeur.euse.s de taxi. En ce qui concerne le ciblage plus large, les cibles géographiques ont souvent été des régions de tri d’acheminement (les trois premiers chiffres d’un code postal). Dans les centres urbains en particulier, cela peut faire en sorte que des quartiers riches furent considérés comme faisant partie du même « point chaud » que les quartiers pauvres qui les entourent. Un ciblage géographique trop large peut donc accorder la priorité à ceux/celles qui n’ont pas besoin d’être ciblés.

Enfin, bien que le Canada ait joué un rôle important dans la mise en place et le soutien d’un mécanisme de partage mondial des doses de vaccins par le truchement du Mécanisme COVAX, il n’a pas encore contribué à cet effort en fournissant un grand nombre de vaccins. En effet, nous avons des quantités non négligeables de vaccins AstraZeneca qui hibernent actuellement dans les réfrigérateurs des pharmacies.

Le déploiement de la vaccination au Canada aurait-il pu être différent? Il y a deux facteurs à prendre en considération ici. Le premier est ce qui était réalisable, compte tenu des capacités apparentes des gouvernements en matière d’organisation, de données et de logistique. Et le second est de savoir ce que les citoyen.ne.s auraient soutenu. Les Canadiens et Canadiennes auraient-ils soutenu un ciblage différent dans le déploiement des vaccins? Et auraient-ils été favorables à ce que le Canada joue un rôle plus actif et plus généreux dans la fourniture de vaccins à l’échelle internationale?

Deux articles rédigés par des collègues et moi-même suggèrent que la réponse conditionnelle à ces deux questions est oui. Pour répondre à ces questions, une équipe dirigée par Raymond Duch et Philip Clarke du Nuffield College d’Oxford a interrogé les citoyen.ne.s de 13 pays, sur six continents, qui représentent plus de la moitié de la population mondiale. Notre étude a été menée en décembre 2020 et janvier 2021. Notre objectif dans cette étude était de comprendre à qui les citoyen.ne.s donneraient la priorité pour le déploiement des vaccins.

Un premier article (Duch et al. 2021) a examiné les préférences en matière de priorisation des vaccins à l’échelle nationale. Pour comprendre cela, nous avons présenté aux répondant.e.s du sondage plusieurs paires d’individus qui variaient en fonction de plusieurs caractéristiques, notamment leur âge, leur pathologie sous-jacente, leur revenu, leur capacité à travailler à domicile et leur type de profession. Plusieurs professions différentes étaient représentées, notamment les travailleurs.euses de la santé, les travailleurs.euses d’usine et les chauffeurs.euses de taxi.

Nous avons constaté que, dans pratiquement tous les pays, les citoyen.ne.s donnent la priorité aux personnes âgées et aux personnes souffrant d’affections sous-jacentes, mais aussi à celles qui exercent un rôle de prestation de services, notamment les chauffeurs.euses de taxi, et à celles qui occupent des emplois traditionnellement manuels, notamment les travailleurs.euses d’usine.

Qui sont les personnes reléguées au dernier plan? Ceux/celles qui ont plus d’argent et/ou qui ont la possibilité de travailler à domicile. Cette constatation s’applique à pratiquement tous les pays. C’était clair au Canada, et cela contraste fortement avec la façon dont son propre déploiement a privilégié ceux/celles qui avaient le temps, la capacité et les réseaux pour trouver les vaccins disponibles. Dans quelle mesure la troisième vague de la pandémie au Canada aurait-elle été différente avec un ciblage plus précoce, plus largement imaginé, mais administré de façon plus restrictive? Dans quelle mesure la population aurait-elle eu une meilleure opinion d’elle-même en tant que pays?

Un second article, plus court (Clarke et al. 2020), examine les préférences en matière de partage mondial des vaccins. Là encore, les résultats sont limpides. Avant le déploiement des vaccins et du quelconque mélange d’euphorie et de nationalisme que ces derniers ont suscité, les citoyen.ne.s des pays à revenu élevé étaient prêts à voir leurs pays partager leur approvisionnement en vaccins avec les pays à faible revenu. Il s’agit, là encore, d’une préférence partagée par la plupart des pays de notre échantillon.

Peut-être le pays n’avait-il ni la bande passante politique ni l’appétit pour mener une action nationale audacieuse et assurer un leadership mondial, mais le Canada aurait pu emprunter une voie différente pour le déploiement des vaccins. La voie qu’il a choisi d’emprunter a été remarquablement fructueuse, surtout au cours des deux derniers mois. Toutefois, ce n’est pas la seule voie qui s’offrait à lui.

« Le système politique est synonyme de changement. Il doit être axé sur le changement. Si vous ne changez pas les choses, vous n’êtes d’aucune utilité. » – Paul Keating, ancien premier ministre de l’Australie.

Les Canadiens et Canadiennes de tous les horizons politiques devraient être à la fois fiers et inquiets du rendement de leur classe politique et de leur classe dirigeante pendant la pandémie de COVID-19. Certes, l’objectif de ce rapport n’est pas de célébrer les succès du Canada, mais il faut noter qu’il y a eu des succès. Le rendement des provinces de l’Atlantique a été exemplaire, même s’il est oublié dans les provinces centrales. Partout au pays, certains éléments de la fonction publique ont entrepris de transformer la prestation des services et l’élaboration des politiques à un rythme jamais vu auparavant. Et le Canada a, dans l’ensemble, évité le degré de mauvais résultats observés dans des pays autrement bien gouvernés.

Mais il y a encore lieu de s’inquiéter. Sur au moins trois points, soit maintenir les écoles ouvertes, utiliser la technologie pour lutter contre la pandémie et établir les priorités en matière de vaccination, les dirigeant.e.s politiques du Canada ont fait preuve de moins d’imagination politique que leur public. Quelle en est la cause? Il s’agit probablement d’une combinaison de structures de conseil compliquées, d’une tendance naturelle à l’aversion au risque et, plus récemment, d’une simple fatigue accumulée. Mais une partie de la faute doit également être imputée aux citoyen.ne.s, qui auraient pu exiger davantage des politicien.ne.s, promettre plus de récompenses à ceux/celles qui ont tenu leurs promesses et pardonner à ceux/celles qui ont échoué dans leurs tentatives.

Longtemps après le passage de la pandémie, la politique aura encore de belles années devant elle. Mais ce ne sont pas les mégaproblèmes à résoudre qui manqueront. Espérons que l’une des leçons que le Canada puisse tirer de la pandémie est que les gouvernements peuvent diriger avec des objectifs plus grands et des gestes plus audacieux.

  1. Nous avons également mené la même étude auprès des député.e.s provinciaux et fédéraux, ainsi qu’auprès des conseillers.ères scolaires de l’Ontario. Nos résultats ne présentent pas de différences importantes.
  2. Le document est en cours de révision et disponible sur demande.
  3. Ce résultat a été mesuré en calculant une réponse moyenne à trois questions : « Je suis plus préoccupé par le fait que le gouvernement, plutôt que les entreprises privées, détienne mes données » (codage inversé); « Je suis prêt à renoncer à une partie de ma vie privée pour ralentir la propagation du coronavirus »; et « Le gouvernement devrait utiliser autant que nécessaire la technologie pour ralentir la propagation du coronavirus ». Les catégories de réponse étaient les suivantes : fortement en accord, plus ou moins d’accord, ni d’accord ni en désaccord, plus ou moins en désaccord, fortement en désaccord. La variable a été divisée au niveau de sa médiane, les personnes ayant un accord supérieur à la médiane étant codées 1 et les autres 0.
  4. Il s’agit d’une mesure prise comme moyenne des cinq questions suivantes. « En général, dans quelle mesure êtes-vous préoccupé par les points suivants : » « Votre vie privée lorsque vous utilisez Internet »; « Les organisations en ligne qui ne sont pas celles qu’elles prétendent être »; « Le vol d’identité en ligne »; « Les personnes en ligne qui ne sont pas celles qu’elles prétendent être »; « Votre carte de crédit peut être interceptée par quelqu’un d’autre lorsque vous l’utilisez pour un achat sur Internet ». Les catégories de réponses étaient les suivantes : pas du tout, pas beaucoup, quelque peu préoccupé et très préoccupé.

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