Fort d’une carrière qui couvre tant le secteur privé que public, Marc-André Blanchard est le bâtisseur de consensus par excellence, moteur de la réorientation des politiques à l’échelle mondiale.

« Nous devons tous créer des partenariats inédits et innovants. Il est essentiel de pouvoir compter sur plusieurs points de vue. Et cela nécessite la présence de personnes différentes autour de la table. »   

Marc-André Blanchard a eu deux vies professionnelles. L’une dans le secteur privé, l’autre dans le secteur public. Parfois à l’arrière-scène et d’autres fois, au premier plan, comme durant la période de 2016 à 2000 où il a été l’ambassadeur et le représentant permanent du Canada auprès des Nations Unies à New York.

C’est une combinaison de compétences, de champs d’intérêt et d’expérience qui fait de Blanchard un joueur inestimable sur la scène internationale, où il est reconnu pour sa capacité à rassembler les secteurs privé et public, les philanthropes, les agences gouvernementales et les organisations non gouvernementales pour le financement et la mise en œuvre d’importantes initiatives.

En ce moment, cette compétence est bien en vue.

Le premier vice-président et chef, CDPQ mondial, au sein de la CDPQ – groupe mondial d’investissement avec des actifs nets totalisant 473 G$ dans 70 pays – décrit le travail de l’investisseur institutionnel comme « une forme de politique parce que nous avons un double mandat : obtenir du rendement pour les déposants, mais aussi contribuer au développement économique du Québec. Et c’est pourquoi nous croyons être l’un des investisseurs les plus avant-gardistes au monde qui croit au pouvoir des communautés. »

L’infrastructure est l’un des axes d’investissement de la CDPQ, comme le Réseau express métropolitain (REM), un système de transport léger sur rail dans la région de Montréal. « Imaginez un fonds de pension qui conçoit, développe, construit et exploite un système de transport léger sur rail. Nous y sommes arrivés en raison de notre double mandat », explique-t-il.

La CDPQ fait également partie du consortium annoncé récemment pour la réalisation du plus grand projet d’infrastructure au Canada, un train de passagers à grande vitesse le long du corridor Toronto-Québec. « Et d’être sélectionné par le Canada pour ce faire, pour accélérer l’intégration de notre pays, c’est très excitant », dit-il.

L’an dernier, Blanchard a été choisi comme coprésident de la prestigieuse United Nations Foundation à Washington, D.C., aux côtés de l’entrepreneur Ted Turner et de Sa Majesté la reine Rania de Jordanie, entre autres sommités internationales travaillant à résoudre les problèmes mondiaux. Le curriculum vitæ de Blanchard était taillé sur mesure pour le poste. « C’était une belle reconnaissance », dit-il au sujet de sa nomination à la UN Foundation. « J’avais l’expérience du secteur privé, l’expérience gouvernementale et l’expérience multilatérale. Je suis très fier de cela. »

Engagé dans la vie publique dès son enfance dans son village natal de Saint-Zotique au Québec, un petit village de 1 500 habitants à l’ouest de Montréal. « Je suis issu d’une famille qui a toujours placé le service à la communauté en tête de ses priorités », explique-t-il. Son père, avocat, était le maire du village. La famille a fondé un centre d’hébergement et de soins de longue durée qui est maintenant détenu et exploité par son frère aîné, seul autre membre de la fratrie. Sa mère, qui n’était pas très éduquée, « aurait pu diriger une armée », confie-t-il en riant. « Elle est une force de la nature et c’est d’elle que j’ai appris qu’on avait besoin de la participation de tout le monde pour faire bouger les choses. »

« C’est la première fois que nous essayons d’y arriver à l’échelle de la planète. Beaucoup de gens se sont fixé des objectifs sans trop savoir comment ils allaient y parvenir. Mais ce n’est pas un problème. Concertons-nous pour trouver comment y arriver sans s’entre-tuer. »

À l’Université de Montréal, où il a étudié le droit, Blanchard a été inspiré par des professeurs tels que l’économiste et ancien premier ministre du Québec, Jacques Parizeau, et le politicien et diplomate Stéphane Dion. Il a obtenu plusieurs diplômes à l’extérieur du Canada : une maîtrise en droit international public de la London School of Economics suivie d’une maîtrise conjointe en affaires publiques et en relations internationales de l’Université Columbia à New York.

« Au départ, j’étais plus intéressé par la politique. Mais par la suite, j’ai été beaucoup plus inspiré et attiré par les politiques », explique-t-il en parlant de ce qu’il appelle son évolution.

Une partie de cette transition s’est produite lorsque j’étais à l’Université Columbia et que j’étais en stage aux Nations Unies. Je travaillais avec la République des Îles Marshall, l’année où elle est devenue une nation souveraine. Il a également fait un stage à l’organisation Robert F. Kennedy Human Rights avec des confrères ayant joué un rôle dans l’établissement de la règle de droit au Kenya. « Au début, j’étais très concentré sur l’importance de la gouvernance, de la règle de droit, et c’est ce qui m’a amené du côté des politiques », explique-t-il. « Je me suis demandé quelles étaient les politiques requises, dans un pays comme le Kenya de cette époque, pour garantir une paix durable et le respect des droits de l’homme. »

Il a alors réalisé que « ce sont les politiques qui lui permettraient d’avoir le plus d’influence. »

Dès le début de sa carrière de juriste, il a participé à la mise en place de politiques au Québec, contribuant à déterminer la meilleure voie à suivre pour la province. Lors du référendum québécois de 1995, alors qu’il travaillait dans un prestigieux cabinet d’avocats, il a fondé un groupe de jeunes professionnels, d’entrepreneurs et d’universitaires qui soutenaient que « la souveraineté du Québec n’était pas essentielle ni utile pour relever les défis auxquels était confronté le Québec à l’époque. » Peu de temps après, il devenait président du comité d’orientation du Parti libéral du Québec. Il note qu’une de ses plus grandes réalisations a été d’appuyer la légalisation du mariage civil des conjoints de même sexe.

« Et à partir de là, j’ai progressé », ajoute-t-il alors que son visage s’éclaire d’enthousiasme à l’évocation de son propre parcours. « Par la suite, j’ai été président du Parti libéral du Québec pendant huit ans, jusqu’en 2008. » À cette époque, il avait déjà joint le cabinet McCarthy Tétrault, où il a rapidement gravi les échelons jusqu’à devenir président et chef de la direction en 2009. Ce n’est qu’à compter de 2015 qu’il est retourné à la politique en tant que coprésident de l’équipe de transition du nouveau premier ministre Justin Trudeau.

L’année suivante, le premier ministre Trudeau l’a nommé ambassadeur aux Nations Unies. Durant cette période, il a siégé au Conseil canadien de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA). Tout en évitant les commentaires qui pourraient être perçus comme une critique du président Trump, la CDPQ ayant plus de 200 G$ d’actifs aux États-Unis, Blanchard commente la guerre commerciale actuelle en y allant de cette réflexion : « c’est le moment pour nous de voir comment nous pouvons renforcer et diversifier notre propre économie nationale. En revanche, la géographie ne changera jamais. Les États-Unis demeureront toujours notre plus important partenaire et, espérons-le, notre ami. »

Alors qu’il était en poste à l’ONU à titre d’ambassadeur, les efforts de Blanchard étaient surtout concentrés sur la mise en œuvre et le financement de nouvelles initiatives telles que l’Accord de Paris et les objectifs de développement durable (ODD). « Si vous demandez aux gens ce que je faisais à l’ONU, ils vous diront que « je suis le gars qui a fait entrer le secteur privé à l’ONU. J’ai amené la discussion sur le financement à la table. Avec l’ambassadeur de la Jamaïque, j’ai lancé le Groupe d’amis pour le financement des ODD et beaucoup des efforts déployés durant mon mandat ont été dirigés vers le rapprochement entre l’ONU, les gouvernements et le secteur privé dans le but d’accélérer la mobilisation de capital privé. Sans être une réforme formelle, ça a été une transformation importante à l’ONU. » Il a également coprésidé des sommets sur le financement des mesures liées à la COVID-19.

« Il y a des entreprises qui disposent d’une capitalisation boursière supérieure au PIB de la plupart des pays du monde », explique-t-il pour appuyer la collaboration des secteurs privé et public. « Pendant que j’étais à l’ONU, je me rappelle avoir dit que si Amazon était un pays, il aurait la taille du Canada d’un point de vue économique. C’est pourquoi nous devons résoudre l’enjeu des changements climatiques pour combattre les inégalités et atteindre les ODD. Nous devons réunir à la même table les gens qui contrôlent la technologie, les finances, les ressources, la société civile, le monde. »

« [Mettre fin au cloisonnement en silo] a été l’un de mes objectifs. Les silos sont partout. Il y a des silos au gouvernement comme il y en avait dans mon cabinet. Il y en a aussi aux Nations Unies. Et il y en a à la CDPQ. Mais pour être efficaces dans le monde actuel, et avec les changements que nous avons vu au cours des 25 dernières années et que nous voyons maintenant s’accélérer, nous devons tous créer des partenariats inédits et novateurs. »

En 2000, il s’est joint à la CDPQ. « C’était une décision naturelle », confie-t-il. « C’est une organisation importante pour le Québec, et pour le Canada. Lorsque les gens de l’ONU me demandaient quel était le secret du Canada, je répondais toujours que c’était la diversité de nos gens ». Ce sont nos ressources naturelles. Mais c’est aussi grâce à nos institutions publiques, des fonds de pension aux centres de la petite enfance. C’est le tissu social. »

À titre de chef mondial de l’investissement durable de la CDPQ, il a conservé son intérêt pour l’affectation de capital dans une transition plus verte et plus équitable, non seulement pour protéger la planète, mais aussi « parce que nous croyons qu’elle offre de meilleurs rendements ». … Il faut être conscient des risques, mais aussi de toutes les occasions qui en découlent. » En dépit des changements politiques annulant les mesures incitatives favorables aux investissements faibles en carbone, Blanchard ne s’attend pas à ce que la cible d’investissement change. « On a qu’à penser aux événements récents comme les incendies en Californie ou l’ouragan Debby qui a amené des pluies torrentielles au Québec l’an dernier. »

Le chemin vers la carboneutralité ne sera peut-être pas linéaire », fait-il remarquer. « C’est la première fois que nous essayons d’y arriver à l’échelle de la planète. Beaucoup de gens se sont fixé des objectifs sans trop savoir comment ils allaient y parvenir. Mais ce n’est pas un problème. Concertons-nous pour trouver comment y arriver sans s’entre-tuer. »

La dernière question semble évidente : Avez-vous déjà songé à vous lancer en politique?

« On me l’a demandé à toutes les élections », confie-t-il. « J’ai dit non jusqu’à maintenant. Mais c’est long une vie. »

Pourquoi avoir refusé? « Regardez la politique en ce moment. C’est très divisé, tellement polarisé. De mon côté, je suis un bâtisseur de consensus. Je veux réunir les gens. Et je crois que c’est ce que je trouverais difficile. J’ai toujours parlé à la partie adverse, que ce soit en litige ou aux Nations Unies. J’ai toujours entretenu des relations étroites avec tous mes adversaires. C’est probablement pourquoi je ne serais pas le meilleur politicien. »